Ordinateurs, vêtements, chaînes stéréo: trois catégories de produits qui font mentir la fameuse jérémiade du « tout coûte plus cher ». Et ce ne sont pas les seuls produits qu'on paie aujourd'hui à moindre prix que dans le bon vieux temps. Retour sur ces prix qui baissent et explications.

CONCURRENCE, INNOVATION... ET MAUVAISE QUALITÉ

En 1984, le Macintosh 128K se vendait 2495 $US, l'équivalent de 6880 $CAN d'aujourd'hui. Pour 128 ko de mémoire vive, rappelons-le. Le moindre portable neuf à 400 $ aujourd'hui en offre 30 fois plus.

En septembre 1970, le magasin montréalais LaSalle affichait fièrement dans La Presse sa « radio AM/FM Transistors à 4 haut-parleurs » pour 39,88 $. Elle en coûterait 256 en dollars d'aujourd'hui, pas exactement de quoi provoquer des émeutes chez Best Buy.

Et un étudiant qui serait tombé dans le coma en 1999 pour se réveiller aujourd'hui trouverait au moins une chose qui n'a pas changé : les t-shirts à 10 $.

Ces catégories de produits, et quelques autres, vont complètement à contre-courant de l'évolution des prix. Selon Statistique Canada, l'indice des prix à la consommation global, qui reflète l'inflation, a pratiquement triplé depuis 1980. L'alimentation, les meubles, les soins personnels, les voyages, entre autres, ont tous suivi la même courbe à la hausse.

CONCURRENCE

« Le facteur principal de la baisse des prix, c'est la concurrence », répond tout de go Fabiano Armellini, professeur en génie mécanique à Polytechnique Montréal.

La mécanique est simple : si un concurrent offre un prix plus bas, une entreprise doit le suivre ou être innovante sous peine d'être rayée de la carte.

La mondialisation, la démocratisation de l'internet et des consommateurs plus difficiles sont autant de facteurs qui ont contribué à accroître la concurrence précisément dans les domaines où on a constaté des baisses de prix au cours des années.

Notamment en techno, « où il s'agit de produits faciles à comparer, avec telle marque, tel modèle », explique JoAnne Labrecque, professeure en marketing à HEC Montréal. « Sur le web, les gens sont plus capables de comparer et ça a mis une pression sur les prix. »

BAS DE GAMME

Dans certains domaines, notamment les électroménagers et les vêtements, c'est l'apparition de gammes de produits de moindre qualité qui a entraîné les prix vers le bas.

« On va à la limite de ce qui est acceptable pour le consommateur, et dans certains cas, on va presque le frauder avec de la mauvaise qualité », estime Jocelyn Bellemare, professeur à l'École supérieure de mode de l'UQAM.

Cette analyse explique dans une certaine mesure la baisse des prix dans le vêtement, mais il reconnaît que même les vêtements de meilleure qualité ont vu leur prix baisser.

Pour les électroménagers, en revanche, les appareils bas de gamme ont réellement façonné le marché et sont devenus la norme, le produit standard. « Ce n'est plus la même qualité : votre frigo de 1980 était réparable, lui, dit Mme Labrecque, il devait durer 30 ou 40 ans. On est content aujourd'hui s'il dure 15 ans. »

PRODUCTIVITÉ

Cet argument de la mauvaise qualité ne convainc pas tout à fait Fabiano Armellini. Le professeur de Polytechnique, et expert en gestion de la technologie et de l'innovation estime qu'il s'agit le plus souvent d'une situation temporaire.

« Quelques entreprises chinoises ont eu la réputation de faire de la mauvaise qualité. C'était pareil au Japon dans les années 60 et 70. C'est sûr que pour concurrencer [les marques établies], ils vont entrer avec des produits moins bons et prendre des parts de marché. Mais avec l'amélioration continue, ils vont devenir des acteurs concurrentiels, même en ce qui concerne la qualité. »

Ce qui fait en fin de compte baisser les prix, c'est la productivité accrue, l'automatisation, ce qu'on appelle globalement l'« industrie 4.0 », où l'intelligence artificielle et les senseurs font leur entrée à l'usine. « Les entreprises sont à la recherche constante de perfectionnement dans la fabrication, rappelle-t-il. Toutes les années, elles ont des cibles d'amélioration. »

INNOVATION

C'est probablement l'explication la plus importante pour expliquer la baisse spectaculaire des produits technologiques. Les premières générations de ces appareils intègrent dans leur prix les coûts de recherche et développement.

« Le prix de départ couvre les frais d'innovation : on prévoit que la phase d'introduction va durer tant d'années, on sait qu'on va être capable de recouvrer ces frais », explique JoAnne Labrecque.

L'adoption d'une nouvelle technologie, puis sa désuétude rapide, ont également un impact sur les prix : les composantes utilisées dans les premiers modèles de téléphones intelligents ou d'ordinateurs il y a une décennie sont aujourd'hui vendues sur le marché à des prix dérisoires.

ATTENTION, CHUTES DE PRIX !

Coup d'oeil sur cinq catégories de produits qui coûtent moins cher aujourd'hui. Méfiez-vous, la comparaison est parfois trompeuse...

INFORMATIQUE

C'est l'exemple par excellence. Selon Statistique Canada, qui compile cette statistique seulement depuis 1994, les prix dans la grande famille de l'« équipement informatique et [des] dispositifs numériques », essentiellement les ordinateurs et les logiciels, ont continuellement chuté. Un exemple : si vous étiez prêt à mettre 3000 $ pour votre ordi en 1994, vous aurez un produit équivalent pour 143 $ aujourd'hui. Il s'agit essentiellement d'une application de la loi de Moore, le scientifique qui avait prédit justement en 1965 que la capacité informatique doublerait tous les 18 mois, à prix constant. Pourquoi ? À peu près tous les facteurs qui contribuent à la baisse des prix - l'automatisation, la mondialisation et, surtout, la recherche - y ont concouru.

ÉQUIPEMENTS VIDÉO ET AUDIO

Un peu moins commentée mais très appréciée des consommateurs, la baisse des prix des chaînes stéréo et des lecteurs vidéo est constante depuis 1985. Une petite consultation du catalogue de Distribution aux consommateurs en 1996 déniché par La Presse est plutôt amusante. Pour avoir l'équivalent numérique du gros lecteur VHS pour lequel vous étiez prêt à payer 299,98 $ en 1996, vous ne paierez que 58 $ aujourd'hui. La magnifique chaîne stéréo Sony à 499,98 $ ? Son équivalent se trouve en magasin en 2017 pour 96 $. Parfois, il n'y a eu que très peu d'innovations technologiques pour expliquer cette baisse, mais c'est l'arrivée sur le marché de produits asiatiques bas de gamme qui a généralement tiré les prix vers le bas.

ÉLECTROMÉNAGERS

En 1980, Beaulieu et Gladu, magasin sis rue Sainte-Catherine, annonçait des réfrigérateurs et des cuisinières d'entrée de gamme pour 250 $ - 751 $ en dollars d'aujourd'hui, selon la Banque du Canada. On trouve aisément en 2017 des électroménagers bien moins chers, mais la comparaison est trompeuse : c'est que l'entrée de gamme est de moins bonne qualité aujourd'hui et coûte par conséquent moins cher. C'est la seule façon de comprendre que Statistique Canada n'enregistre pas une baisse spectaculaire des prix des électroménagers depuis plusieurs décennies. « On ne peut pas dire que sur les 20 dernières années, les prix des électroménagers ont baissé, explique Clément Yélou, de Statistique Canada. On tient compte d'une qualité constante pour un produit. »

VÊTEMENTS

Au bout du fil, on sent le sourire de l'économiste et analyste de Statistique Canada Clément Yélou quand il observe la courbe des prix du vêtement. La tendance est clairement à la baisse depuis 2000, mais ce sont surtout les courbes en dents de scie qui sont uniques. « C'est l'effet de mode », explique-t-il. Ce que dit la courbe ? Une veste que vous avez payée 98 $ à Noël 1999 se vendrait 84 $ aujourd'hui. En tenant compte de l'inflation, il s'agit d'une baisse de 39 %.

Pour Jocelyn Bellemare, professeur à l'École supérieure de mode à l'UQAM, « il y a une baisse de qualité, mais les processus de fabrication se sont améliorés, de sorte que même les vêtements de qualité, par exemple les uniformes, ont vu leur prix baisser. »

ALIMENTATION

Le prix des aliments a de quoi torturer le statisticien le plus stoïque. Selon l'IPC, la hausse est constante, au moins dans les quatre dernières décennies. Et pourtant, confirment les experts, se nourrir coûte moins cher : le ménage québécois moyen y consacrait 21 % de son budget en 1981, contre 12 % aujourd'hui. « On est plus riches qu'on était, le revenu des ménages est plus élevé aujourd'hui », explique Charles-Félix Ross, directeur général de l'Union des producteurs agricoles et économiste. Il note également que l'IPC global - composé de quelque 600 biens et services - a augmenté plus vite que l'alimentation en magasin sur cette période, soit 150 %, plutôt que 144 %. « Et on a aujourd'hui une plus grande diversité et une meilleure qualité, on est mieux servis », conclut M. Ross.

COMMENT LIRE L'IPC

L'indice des prix à la consommation est établi tous les mois par Statistique Canada, à partir des prix d'environ 600 biens et services répartis dans 175 classes, pour une « qualité constante ou équivalente ». Ces prix sont pondérés en fonction de l'importance d'une dépense - la fluctuation du prix du lait aura moins d'impact que celle du loyer, par exemple. Depuis 2007, on utilise l'année 2002 comme point de repère : par définition, l'lPC de cette année-là est de 100. Toutes les variations de l'IPC sont donc à lire par rapport à cette année-charnière. Ainsi, un appareil qui aurait un indice de 115 en 2017 aura vu son prix augmenter de 15 %.