Thérèse travaille depuis 50 ans, dont 47 à la tête de son propre centre d'esthétique. Fatiguée de gérer des employés, elle rêve de retraite, mais a peu de placements et n'a aucune acheteuse en vue. « Je ne peux pas avoir travaillé autant dans ma vie et n'avoir rien », dit-elle.

Comme nombre d'entrepreneurs, Thérèse a réinvesti une bonne part de ses profits dans son commerce, situé au coeur d'une ville québécoise de taille moyenne. En 2000, elle a même acheté l'immeuble qui abrite le centre d'esthétique et deux appartements. Même si elle s'est toujours versé un salaire, elle n'a réussi à accumuler que 140 000 $ dans ses REER. « Je pensais vendre le commerce 100 000 $, puis louer le local à l'acheteur et éventuellement lui vendre la bâtisse. » C'était le scénario il y a quelques années. Depuis, la dame de 69 ans a déchanté.

Les esthéticiennes prêtes à sortir leur chéquier pour reprendre le flambeau ne courent pas les rues. Thérèse a sondé l'intérêt de ses deux employées l'an dernier, sans succès.

L'entrepreneure a fait part de son désir de vendre à différents organismes, dont le centre de transfert d'entreprise et la société de développement économique. Sans résultats jusqu'ici. Elle sait qu'elle devrait sonder des esthéticiennes salariées de salons concurrents, mais hésite. « Je ne suis pas assez certaine de mon prix pour approcher des esthéticiennes d'autres salons. Et j'ai peur que la clientèle me délaisse si elle sait que je veux vendre. »

Fatiguée des tracas

La situation du commerce s'est détériorée ces dernières années. Le chiffre d'affaires a fondu de plus du tiers, passant de 350 000 $ en 2010 à 200 000 $ l'an dernier.

L'immeuble a aussi occasionné son lot de tracas. Des problèmes de fondation ont nécessité il y a deux ans des travaux de 140 000 $, que Thérèse a financés en hypothéquant l'immeuble pour la moitié de sa valeur. Un refoulement d'égout dans un appartement a aussi fait des dégâts, heureusement couverts par les assurances. Échaudée, Thérèse serait heureuse de vendre. Mais doit-elle d'abord trouver une acheteuse pour le centre d'esthétique, afin de ne pas avoir de local vide ? Et si elle décide de fermer, faute d'acheteuse, réussira-t-elle à vendre l'immeuble sans trop y perdre ?

La future retraitée estime avoir besoin de 40 000 $ par année pour vivre confortablement, ou 35 000 $ sans trop d'activités ni voyages. Dans tous les cas, elle veut vivre dans sa maison le plus longtemps possible.

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PORTRAIT

Thérèse, 69 ans, divorcée et sans enfant

Propriétaire d'un centre d'esthétique

Salaire brut : entre 30 000 $ et 65 000 $ ; 25 700 $ prévus cette année

Immeuble commercial : 

 - Évaluation municipale : 256 000 $

 - Solde hypothécaire : 119 000 $

 -  Marge de crédit : 29 000 $

 -  Revenus totaux des appartements : 1100 $/mois

 -  Loyer au marché du commerce : 1000 $/mois

Résidence principale : évaluation municipale de 197 000 $ ; payée

REER : 500 $/mois ; 140 000 $ au total

RRQ : 881,57 $/mois

Sécurité de la vieillesse : 573,37 $/mois

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Un régime de retraite qui n'en est pas un

Les acheteurs sont rarement enclins à payer un gros prix pour un commerce de service, indique Martin Brassard, directeur, services stratégie et performance, à RCGT. Comme les revenus reposent sur le propriétaire et quelques employés, qui peuvent partir, les repreneurs rechignent à payer pour l'achalandage.

L'évaluateur agréé conseille normalement de planifier une vente cinq ans à l'avance afin de rendre l'entreprise plus attrayante. Dans le cas de Thérèse, cependant, il suggère de ne pas attendre. Les chiffres sont en baisse et elle ne semble pas motivée à les redresser. « Elle devrait trouver rapidement une acheteuse et la faire participer à la relance. »

En général, un commerce de service se vend à un prix équivalant à la valeur des équipements plus deux à trois ans de bénéfice net représentatif, pour l'achalandage.

Comme le centre d'esthétique est déficitaire, Thérèse n'obtiendra probablement que la valeur des équipements. « Il faudrait qu'elle fasse des profits de 20 000 à 25 000 $ par an de façon soutenable pour justifier une vente à 50 000 $ », dit M. Brassard.

Mettre la clé sous la porte

Si elle souhaite vendre son immeuble, Thérèse gagnerait à carrément fermer son centre, selon Roger Rhéaume, d'Immobilier Himalaya. « Un immeuble commercial se vend mieux avec un local vide puisque le nouveau propriétaire pourra y installer sa propre entreprise », indique ce courtier spécialisé en immobilier commercial depuis plus de 20 ans.

Thérèse peut louer le local en attendant de trouver un acheteur, mais elle devrait limiter le bail à cinq ans et inclure une option pour y mettre fin avec un préavis de six mois, ajoute-t-il.

Quant au prix, un immeuble commercial se vend « à la valeur de l'évaluation municipale ou plus, à moins d'être détérioré ».

L'heure des choix

Daniel Châtelois, conseiller sénior en planification financière et investissement à la Banque Laurentienne, a examiné si Thérèse avait les moyens de profiter de la retraite même si elle n'obtenait rien pour son centre d'esthétique.

Bonne nouvelle : ça se tient. Moins bonne nouvelle : il faudra faire des choix.

Avec des dépenses annuelles de 40 000 $, les REER et le profit sur l'immeuble commercial seront épuisés en 2026, quand Thérèse aura 79 ans. Elle devra alors vendre sa maison et diminuer progressivement son train de vie.

Si le budget est limité à 35 000 $, elle pourra attendre 83 ans pour vendre sa résidence.

« La dame peut prendre sa retraite, mais elle doit être consciente qu'elle devra à un certain moment se départir de sa maison ou prendre une hypothèque inversée », résume Daniel Châtelois.

Thérèse aurait un peu plus d'argent si elle décidait de louer son immeuble commercial plutôt que de le vendre. « Mais elle devrait trouver des locataires et assumer le risque de réparations, nuance le planificateur. Le stress que ça occasionne peut rendre la vente immédiate préférable, même si elle est moins payante. » En plus, la différence n'est pas très grande puisque Thérèse devrait de toute façon vendre l'immeuble d'ici à 2023 pour renflouer ses coffres.