Alors que les pièces et les billets sont moins présents dans nos portefeuilles et que les transactions électroniques gagnent du terrain, doit-on initier nos enfants à l'argent de plastique et leur verser leur allocation hebdomadaire par virement bancaire directement dans leur compte ? Le règne du petit cochon est-il fini ? Les avis sont partagés.

REMPLACER LA TIRELIRE PAR LA CARTE BANCAIRE

Quand Félix Saint-Germain a commencé à recevoir une allocation en échange de sa participation aux tâches domestiques, il n'a jamais vu la couleur de cet argent, pour ainsi dire : il allait directement dans son compte bancaire par virement électronique. Il y accédait par le guichet automatique, ou payait ses bonbons et autres Pokémons avec sa carte de débit en magasin.

« Je regardais mon relevé chaque mois pour voir combien j'avais dans mon compte et combien j'avais dépensé », raconte Félix, qui a maintenant 18 ans et vient de commencer le cégep.

Il a eu une carte de débit à 11 ans, ainsi qu'une carte de crédit à 14 ans, liée au compte de ses parents.

Pour être de son temps, faut-il initier sa progéniture dès son plus jeune âge à l'argent virtuel ? De toute façon, les parents ont moins de monnaie dans leurs poches, et les enfants peuvent obtenir une carte de débit avant même d'avoir appris à faire des additions.

AS-TU TA CARTE ?

Dès l'âge de 5 ou 6 ans, les petits peuvent avoir une carte de guichet pour faire des retraits dans leur compte et payer des achats. À 13 ans, ils ont accès à des cartes prépayées affiliées aux réseaux Visa et MasterCard, qui leur permettent de dépenser la somme versée dans le compte. À partir de 14 ans, ils peuvent obtenir une carte Visa ou MasterCard débit (avec les banques RBC, TD, CIBC, Scotia et BMO), notamment pour faire des achats en ligne, payés à même leur compte bancaire.

La carte de crédit est pour le moment inaccessible aux mineurs, à moins qu'elle ne soit liée au compte de leurs parents, qui sont responsables des paiements.

Tous ces outils sont pratiques. Mais entraînent-ils de mauvaises habitudes de consommation, puisque les jeunes ont accès à leur pécule en tout temps grâce à leur carte ?

C'est un risque, selon Marie Lachance, professeure en sciences de la consommation à l'Université Laval. « Même si un enfant de 6 ans a une carte de débit, il doit aussi apprendre à manipuler de l'argent, souligne-t-elle. Compter les sous ou les dollars qu'on a ramassés, acheter des choses en argent comptant et voir qu'il en reste moins ensuite, c'est un apprentissage plus concret que de simplement voir des chiffres sur un relevé. »

À Desjardins, même si un enfant de 5 ans pourrait en théorie obtenir une carte de débit associée à son compte, on ne la recommande pas avant 12 ans.

« Avant cet âge, nous considérons qu'il y a des risques que l'enfant ne comprenne pas les tenants et aboutissants de ce mode de paiement », indique Lori Brabant-Hudon, responsable des programmes éducatifs chez Desjardins.

Chaque caisse peut cependant avoir sa propre politique à ce sujet. Certaines refusent d'émettre des cartes de débit pour les enfants de moins de 14 ans.

D'ailleurs, pour le programme des caisses scolaires, présent dans 1180 écoles primaires, il n'y a pas de carte de débit associée aux comptes. « L'objectif est d'apprendre aux jeunes à épargner, alors on ne veut pas les inciter à dépenser », souligne Mme Brabant-Hudon.

LACUNES FINANCIÈRES

Les parents devraient discuter de questions financières avec leur enfant au moment où ils lui ouvrent un compte, surtout s'il a accès à une carte bancaire. Mais comme ils sont de plus en plus endettés et épargnent de moins en moins, ils ne sont peut-être pas les mieux placés pour éduquer leur marmaille à ce sujet.

« S'il n'y a pas d'accompagnement des parents, ou s'ils n'ont pas les connaissances nécessaires pour bien informer les enfants, c'est problématique. » - Philippe Viel, porte-parole de l'Union des consommateurs

La disparition du cours d'économie du programme scolaire au secondaire et son retour timide à la dernière rentrée, comme cours optionnel seulement, sont décriés par ceux qui regrettent le manque de connaissances financières de la population.

Les nombreux programmes éducatifs créés par les institutions financières pour pallier ce manque dérangent l'Union des consommateurs.

« Ça nous interpelle que Desjardins et les banques soient présentes dans les écoles, et sur les campus des cégeps et universités, dit Philippe Viel. Elles font beaucoup d'efforts pour attirer les jeunes. Quand on choisit une banque, on est captif, c'est compliqué de changer ensuite. Alors c'est très payant pour elles d'offrir des comptes sans frais et d'autres avantages pour attirer ces proies alléchantes dans leurs filets. »

CONSOMMATEUR RESPONSABLE

L'argent de plastique n'est cependant pas toujours néfaste, si on sait l'utiliser de façon responsable. Félix Saint-Germain peut en témoigner : il est un adepte de l'épargne et un consommateur averti.

« Plusieurs de mes amis dépensent pour des sorties et des vêtements dès qu'ils ont leur paye, mais je préfère mettre de l'argent de côté, dit-il. J'inscris toutes mes dépenses dans mon téléphone, et je regarde à la fin du mois si elles ont trop augmenté. »

Il a acquis cette habitude très jeune : peu après avoir obtenu une carte de débit, il se souvient d'avoir fait une quinzaine de transactions en un mois. « Quand j'ai reçu mon relevé de compte avec la liste de mes achats de bonbons et autres gugusses, j'ai réalisé que j'avais trop dépensé et je n'étais pas fier de moi. J'ai affiché le relevé au mur de ma chambre, pour me souvenir de réfléchir avant d'acheter », raconte-t-il en rigolant.

Un truc que de nombreux consommateurs pourraient adopter pour réduire leurs dépenses.

PETITE LEÇON D'ÉPARGNE ET DE CRÉDIT

Les parents sont mal à l'aise de parler de fric avec leurs enfants, selon plusieurs études. Pourtant, ils ont une énorme influence sur les habitudes d'épargne et de consommation de leur progéniture, notamment par l'exemple qu'ils représentent. Voici des sujets à aborder quand les jeunes commencent à utiliser certains outils financiers.

La première carte de débit

D'OÙ VIENT L'ARGENT ?

Un guichet automatique peut avoir l'air d'une source illimitée de billets. Les enfants doivent comprendre qu'il permet d'accéder au compte bancaire, où se trouve l'argent gagné en travaillant ou autrement. Et que si le compte est vide, le guichet ne donnera rien. Montrez-leur vos opérations bancaires en ligne, en expliquant que votre solde diminue avec les retraits et achats par carte de débit.

PENSER AVANT D'ACHETER.

Encouragez les enfants à réfléchir aux effets d'une dépense sur leur pécule. La satisfaction qu'ils en obtiendront vaut-elle le prix à payer ?

OÙ VA L'ARGENT ?

Les jeunes peuvent apprendre à quoi sert un budget en écrivant leurs dépenses, ou en utilisant un outil budgétaire. S'ils ont envie d'un bien ou d'une sortie spéciale, encouragez-les à se fixer des objectifs d'épargne pour accumuler la somme nécessaire.

La première carte de crédit

QU'EST-CE QU'UNE DETTE ?

Qui dit crédit dit endettement. En utilisant une carte de crédit, vous empruntez de l'argent. Avant d'y recourir, prévoyez comment vous rembourserez ces sommes.

VIVRE SELON SES MOYENS

Le crédit n'est pas un revenu supplémentaire, il ne permet pas de dépenser plus. En fait, s'il faut rembourser une dette à même son revenu régulier, il reste moins d'argent pour vivre. Quand on ne peut payer le solde de notre carte de crédit chaque mois, ça veut dire qu'on vit au-dessus de nos moyens.

LE COÛT DES INTÉRÊTS

Si vous ne remboursez pas le solde au complet chaque mois, vous payez des intérêts. Donc, tous vos achats coûtent plus cher. Montrez à votre adolescent un relevé de carte de crédit qui indique combien de temps il faut pour rembourser une dette en ne faisant que le paiement minimum.

LE DOSSIER DE CRÉDIT

Les retards de paiement ou le dépassement des limites de crédit, en plus d'occasionner des frais, sont inscrits au dossier de crédit, ce qui peut nuire aux futures demandes d'emprunt, comme un prêt automobile. Un bon dossier de crédit peut aussi être important pour la recherche d'un appartement et d'un emploi, puisque des propriétaires et des employeurs vérifient les antécédents en matière de crédit.

Source : Agence de la consommation en matière financière du Canada (ACFC)

UN GUICHET POUR ENFANTS CHEZ DESJARDINS

Le premier guichet automatique destiné exclusivement aux enfants vient d'apparaître à la Caisse Desjardins de Rosemont-La Petite-Patrie. Mais il ne devrait pas les inciter à dépenser plus : les seules opérations possibles sont les dépôts. Le projet « Le monde de Rosemont » veut inciter les jeunes de 6 à 12 ans à épargner, tout comme la caisse scolaire. L'enfant obtient une carte et choisit un paysage, dans lequel il peut ajouter un élément de son choix à chaque dépôt. Le « monde » qu'il se crée apparaît sur l'écran interactif du guichet et sur les écrans installés autour. Le guichet fonctionne depuis la mi-juillet. Une soixantaine d'enfants l'ont utilisé jusqu'à maintenant. Ils reçoivent 5 $ pour leur premier dépôt, et la caisse leur remettra 10 $ s'ils font au moins sept dépôts d'ici l'été prochain. Une façon de fidéliser la jeune clientèle ? « Ce n'est pas notre objectif principal, notre but est plutôt éducatif, répond Claudine Gagnon, responsable du projet à la Caisse. Les petits accompagnant leurs parents qui viennent retirer au guichet pourront aussi voir l'aspect épargne. » « Ça nous permet aussi de rejoindre les parents. » Qui, souvent, ont également besoin d'éducation financière.

L'ADO DÉPENSE, LE PARENT PAIE ?

Au Québec, la loi n'empêche pas un mineur de posséder une carte de crédit. Mais en pratique, les institutions financières n'en accordent pas avant 18 ans. Cela pourrait-il changer bientôt, avec la réforme de la Loi sur la protection du consommateur ? Yannick Labelle, avocate pour l'Union des consommateurs, répond à nos questions.

Que dit la loi ?

Selon l'article 157 du code civil, un mineur peut, compte tenu de son âge et de son discernement, contracter seul pour satisfaire ses besoins ordinaires et usuels. Un jeune pourrait faire valoir qu'une carte de crédit est nécessaire pour répondre à ses besoins essentiels.

Pourquoi les banques n'accordent-elles pas de cartes de crédit aux mineurs ?

Elles estiment qu'il est trop risqué de prêter à des jeunes. Et il n'est pas clair que les parents pourraient être tenus responsables des dettes de leurs enfants, selon l'Office de protection du consommateur (OPC).

Qu'est-ce qui pourrait changer ?

En 2010, pour lutter contre le surendettement, des travaux avaient été menés pour modifier la Loi sur la protection du consommateur, mais le projet de loi est mort au feuilleton. Des consultations ont été relancées à l'automne 2015 pour remettre cette réforme sur les rails. On propose notamment que l'autorisation d'un parent soit exigée pour conclure un contrat de crédit avec un mineur.

L'Union des consommateurs s'oppose à ce changement. Pourquoi ?

Si le parent donne son autorisation, c'est lui qui devient responsable de la dette de son enfant, en cas de défaut de paiement. L'institution financière se déresponsabilise complètement, elle se protège, et le risque est transféré aux parents.

Est-ce que les mineurs devraient pouvoir détenir une carte de crédit?

Des jeunes de 16 ou 17 ans qui travaillent et sont financièrement indépendants pourraient avoir besoin d'une carte de crédit. Mais ça ne serait pas possible si leurs parents ne donnent pas l'autorisation.

Y a-t-il une meilleure façon de protéger les mineurs contre les dangers du crédit?

Le premier projet de loi visant à protéger les consommateurs contre le surendettement proposait d'obliger les prêteurs à vérifier la capacité de rembourser des clients avant de leur accorder un prêt. Mais dans la nouvelle proposition, cet élément a été édulcoré. Les exigences seraient beaucoup moins sévères pour les prêteurs (Me Yannick Labelle a participé aux consultations de l'OPC à ce sujet).