Il y a 10 ans, 80 % des ventes sur eBay étaient des enchères, le mode de vente que proposait le site de commerce électronique à ses débuts. Depuis, ce taux a dégringolé et se situe à peine à 20 %. Que s'est-il passé ?

« Pour beaucoup d'achats, les gens savent ce qui constitue un bon prix et veulent aller plus vite », explique Andrea Stairs, directrice générale d'eBay Canada, en entrevue téléphonique. « Nous avons dû nous adapter. Par exemple, il est possible pour un vendeur d'ajouter un bouton "Achetez-le maintenant" à une mise aux enchères. Ce sera le prix qu'il estime maximal ou à tout le moins satisfaisant pour son objet. Ça permet de gagner du temps tout en explorant tout de même la possibilité de vendre à un prix inférieur au prix optimal. Il y a aussi un type d'enchères appelé "meilleure offre", où le vendeur peut négocier avec un ou plusieurs acheteurs. C'est l'équivalent du "prix négociable" des petites annonces. Cela dit, pour la majorité de nos vendeurs, le prix fixe est la stratégie préférable. »

La baisse de popularité des enchères est pour nombre d'économistes la preuve que l'être humain n'est pas un « homo economicus » basant ses décisions financières seulement sur des analyses coûts-bénéfices. 

« Tout d'abord, l'idée que les enchères soient la forme de vente la plus efficace ne tient pas compte du temps qu'il faut consacrer à chaque transaction », explique Matthew Backus, un économiste à l'Université Columbia de New York qui a beaucoup publié sur le sujet. 

« Le temps, c'est de l'argent et, surtout, on n'a pas toujours l'énergie nécessaire à suivre une mise aux enchères. Grosso modo, quand il y a un grand marché pour un objet très standard, par exemple un nouvel iPad, le prix fluctue très peu. Et à l'opposé, dans les marchés des objets de collectionneurs de curiosités ou très spécialisés, il y a tellement peu de demande qu'il ne va y avoir qu'une seule offre par mois dans une enchère. Il vaut mieux dans ce cas négocier avec les acheteurs intéressés. »

AFFLUX DE MARCHANDISES NEUVES

En 2013, des économistes de l'Université Stanford, en Californie, ont tenté de quantifier les différents éléments de la baisse de popularité des enchères, dans une étude publiée par la revue du Bureau national de recherche économique (NBER). Leur verdict : à peine un septième de la baisse de 33 % de la portion des ventes sur eBay qui étaient des enchères entre 2005 et 2009 était expliquée par l'afflux de marchandises neuves de grande distribution (2,5 %) ou par un plus grand nombre de vendeurs professionnels ayant ouvert l'équivalent d'un magasin virtuel (2,8 %).

« Depuis une centaine d'années, le commerce dans les pays occidentaux a privilégié les prix fixes, explique l'auteur principal de l'étude de 2013, Jonathan Levin. Le commerce électronique semblait pouvoir changer cela, parce que le coût des enchères et du fait de lier un nombre important de vendeurs et d'acheteurs devenait soudainement négligeable. Mais finalement, le commerce électronique a progressé de manière exponentielle alors que les enchères stagnaient. »

Une explication pourrait tourner autour des téléphones intelligents : les séances eBay sur un appareil mobile durent 25 % moins longtemps et les acheteurs y consultent 50 % moins d'objets différents que sur un ordinateur. « Les enchères ne semblent pas être pratiques pour la majorité des acheteurs », explique M. Levin.

Les secteurs d'eBay où les enchères sont toujours prisées sont les objets de collection et l'art, où elles frisent la moitié des transactions. « Ce sont des catégories où il y a beaucoup d'objets uniques dont il est difficile de déterminer la valeur, dit Mme Stairs, d'eBay Canada. On parle aussi d'objets non standards ou plus vieux, particulièrement en électronique. Si quelqu'un vend des pièces d'un vieux modèle d'ordinateur qui a encore la faveur de fans, les enchères seront souvent privilégiées. »

ET LE QUÉBEC ?

La Belle Province n'est pas différente du reste de la planète pour ce qui est des enchères, qui tournent autour de 20 % des ventes sur eBay, selon Andrea Stairs. « Le Québec est généralement un peu en retard sur le reste du Canada pour ce qui est du commerce électronique, et la situation sur eBay reflète cela, dit Mme Stairs. Il y a moins d'offre, moins de demande. Nous avons lancé notre site en anglais en 2000 et le site canadien-français en 2006. Au Québec comme ailleurs, les trois catégories les plus populaires sont l'électronique, la mode et les objets de collection. » La plupart des vendeurs québécois incluent au moins une brève description en anglais de leurs objets, selon Mme Stairs. « Et les gros vendeurs savent que pour maximiser la valeur de leur stock, ils doivent répondre en anglais aux questions des acheteurs américains. » Le site eBay offre dans certains marchés une traduction automatique des annonces, mais pas au Québec. « On travaille là-dessus », dit Mme Stairs.

LES OPTIONS DE RECHANGE AUX ENCHÈRES CLASSIQUES

Les enchères sont une option de rechange idéale, du point de vue de la théorie économique, à la tyrannie du prix fixe. Comme elles ne conviennent visiblement pas à la plupart des gens, les sites de commerce en ligne ont inventé d'autres approches pour tenter d'obtenir le meilleur prix, tant pour les acheteurs que pour les vendeurs. Voici quatre exemples.

UNE FIN INDÉTERMINÉE

Beaucoup d'enchères sur eBay ont une durée limitée. Cela ouvre la porte à une stratégie frustrante pour la majorité des acheteurs : faire une mise juste avant la fin, dans l'espoir que les autres acheteurs intéressés n'aient pas le temps de renchérir. « Un acheteur victime de cette stratégie sera entre 4 % et 18 % moins susceptible de retourner sur eBay », explique Matthew Backus, de Columbia, qui a publié une étude sur le sujet l'an dernier sur NBER. « Pour éviter cela, plusieurs sites d'enchères offrent maintenant la possibilité que la fin de l'enchère survienne à un moment qui sera déterminé par le vendeur, mais non annoncé aux acheteurs. »

ACHETEZ MAINTENANT

Les enchères auxquelles les acheteurs ont la possibilité de mettre un terme en cliquant sur un bouton « Achetez maintenant » (Buy it now) augmentent de 4 % à 10 % les revenus des vendeurs, selon la catégorie d'objets, selon une étude publiée il y a un an dans NBERpar un économiste de l'Université Stanford. L'approche, qui est utilisée dans 80 % des mises aux enchères sur eBay, est particulièrement intéressante quand la valeur de l'objet est difficile à déterminer, par exemple quand il s'agit d'un objet particulièrement à la mode (billets de spectacle, articles technologiques offerts dans un pays étranger).

UN ACHAT MYSTÈRE

Une autre innovation des débuts du commerce électronique était l'approche « dites-nous combien vous voulez payer », popularisée par le site Priceline. « L'attrait au départ pour les hôtels était d'attirer de nouveaux clients », explique Chris Anderson, économiste à l'Université Cornell. « Ç'a largement été remplacé par l'"affaire mystère", où on achète une chambre dans un hôtel ayant certaines caractéristiques, mais qui n'est pas nommé. Le rabais correspond à la valeur pour l'hôtel que l'acheteur soit un nouveau client. C'est d'ailleurs ce qui garantit la valeur pour l'acheteur : les hôtels qui participent aux sites d'"affaires mystères", par exemple sur Priceline, ne bradent pas leurs chambres, mais font un investissement de marketing. »

DES CHIFFRES RONDS

Les enchères dont les vendeurs donnent comme mise de départ un chiffre rond reçoivent des offres et vendent plus rapidement, selon une étude de Matthew Backus, de l'Université Columbia, publiée plus tôt cette année dans NBER. L'effet est faible, de 3 % à 5 % du prix de vente, mais il montre que les acheteurs préfèrent la simplicité, selon M. Backus.