Régime enregistré d'épargne invalidité ? Le Québec traîne la patte. L'offre de véhicules financiers est boiteuse. Les conseillers des institutions s'y connaissent peu. Les ressources sont mal connues. Pourtant, qui a davantage besoin d'une solide planification qu'une personne handicapée ?

LE QUÉBEC EN RETARD

Les Québécois ouvrent moins de comptes REEI qu'ailleurs au Canada, mais les institutions financières ne leur tendent pas la main. Le cri du coeur de deux experts.

Ouvrir un régime enregistré d'épargne-invalidité (REEI) ? On croirait que c'est un des premiers gestes que ferait le parent d'un enfant handicapé. « Moi aussi, relance Guillaume Parent. C'est pourtant pour cette raison que je me suis lancé dans ce domaine. »

Le président du cabinet de services financiers pour personnes handicapées Finandicap vit lui-même avec une paralysie cérébrale et se déplace en fauteuil roulant.

Il a ouvert son cabinet en 2010, convaincu de l'utilité du REEI.

« J'ai parti ça très naïvement, comme tout entrepreneur. Mais avec la ferme conviction que ce programme et l'accompagnement d'épargne allaient être la clé de voûte pour réduire la pauvreté chez les personnes handicapées. Et je suis tellement déçu ! »

« En 2010, poursuit-il, je pensais qu'en 2015, on atteindrait au Québec facilement 40 000 comptes ouverts. »

En décembre 2015, 16 553 comptes avaient été ouverts par des Québécois depuis le lancement du programme, en décembre 2008.

Le Québec a ouvert 2 comptes par 1000 habitants, moitié moins qu'en Colombie-Britannique ou au Manitoba, à peine 60 % de la moyenne canadienne.

« Le Québec est deux à trois ans en retard par rapport aux leaders que sont la Colombie-Britannique et l'Ontario » , observe M. Parent.

« En tant que société, nous sommes en train de nous priver de montants qui dépassent l'entendement. Ces montants, je les ai toujours considérés comme le début d'une potentielle nouvelle économie, le début d'une nouvelle façon de faire les soins, d'organiser les services, dans 20 ou 30 ans. » - Guillaume Parent, président du cabinet de services financiers pour personnes handicapées Finandicap

MACHINE À SAUCISSES

Quand Guillaume Parent a voulu ouvrir son propre REEI, ce fut le parcours du combattant.

« Je me suis heurté à des portes closes, je me suis heurté à un conseiller qui voulait me vendre une assurance invalidité. C'était affreux. Et moi, je connais ça, j'étais intéressé et je voyais la valeur du programme. »

Les conseillers des institutions financières connaissent mal le programme et s'y intéressent rarement.

« Les banques font leur job pour ce qui est de l'intégration au travail des personnes handicapées, mais pour ce qui est des REEI, c'est de la machine à saucisses. C'est du centre d'appels. C'est moins humain que d'ouvrir un compte d'opérations. »

DES VÉHICULES FINANCIERS LIMITÉS

Cet intérêt pour le moins mitigé se traduit par une offre de services limitée. « La loi sur l'épargne-invalidité permet beaucoup plus de produits que ce que le marché offre présentement, déplore Guillaume Parent. Il y a une institution au Québec qui ne vend que des placements garantis, alors que nous avons un horizon de placement de 50 ou 60 ans ! »

Sur sa page internet relative aux REEI, Desjardins ne présente que des placements garantis à taux fixe, des placements garantis liés aux marchés et un compte d'épargne stable REEI à taux spécifiques.

« C'est correct d'être plus sécuritaire quand l'horizon de retraite s'approche, mais ça a un coût tellement élevé de se camper tout de suite dans ce segment quand on fait de l'épargne, commente son associé Jonathan Vandal. Il faut battre l'inflation ! C'est difficile de le faire avec des CPG en ce moment. »

Des segments complets de l'industrie sont absents du marché des REEI, soulèvent-ils.

« Les compagnies d'assurance, où sont-elles ? », demande Guillaume Parent.

« Il n'y en a pas. Quand les comptes vont commencer à se débourser, la loi prévoit que ce sera des rentes. Ce sont des compagnies d'assurance qui les offrent. Il n'y en a pas ! » - Jonathan Vandal, associé au cabinet de services financiers pour personnes handicapées Finandicap

LAISSER MIJOTER ET GOÛTER

Pas étonnant, dans ce contexte, que le parent d'enfant handicapé, débordé par les problèmes de tous ordres, soit peu attiré par le REEI.

« Quand tu as des rendez-vous chez le médecin, quand tu as de la difficulté à payer l'épicerie, quand il a fallu que les deux parents se retirent du marché du travail et deviennent eux-mêmes prestataires de l'aide sociale - on en a, des cas comme ça ! -, il est difficile de commencer à penser à dans 10, 20 ou 30 ans... », souligne Jonathan Vandal.

Mais il faudrait tout de même prendre le temps d'ouvrir un compte, d'y verser ne serait-ce que 5 $ par mois, question de récolter quelques subventions.

« On commence et on laisse mijoter... On met la casserole sur le feu et on s'occupe d'autres choses pendant ce temps-là. Mais c'est dur de convaincre les gens de faire ça. »

Il suffirait d'y goûter pour y prendre goût, dit-il.

LE REEI EN DEUX MOTS (ET QUELQUES CHIFFRES)

Cotisation : jusqu'à 200 000 $ durant la vie

Subvention : jusqu'à 70 000 $ durant la vie

LES SUBVENTIONS

Revenu familial égal ou inférieur à 89 401 $

Sur la première tranche de 500 $ : 3 $ pour chaque dollar versé en cotisation, jusqu'à un maximum de 1500 $ par an.

Sur la tranche suivante de 1000 $ : 2 $ pour chaque dollar versé en cotisation, jusqu'à un maximum de 2000 $ par an.

Une cotisation de 1500 $ peut donc donner droit à une subvention de 3500 $.

Revenu familial supérieur à 89 401 $

Sur la première tranche de 1000 $ : 1 $ pour chaque dollar versé en cotisation, jusqu'à un maximum de 1000 $ par an.

LE BON CANADIEN POUR L'ÉPARGNE-INVALIDITÉ

Aucune cotisation requise

Revenu familial du bénéficiaire

Inférieur à 26 021 $ : bon de 1000 $

Entre 26 021 $ et 44 701 $ : selon la formule de calcul

Plus de 44 701 $ : aucun bon

MYTHES ET TROUS (DE MÉMOIRE)

La vie avec un handicap est déjà bien assez compliquée ! Ajoutez-y des programmes de soutien d'une confondante complexité. Pas étonnant qu'on s'y perde. Quelques idées reçues et points méconnus ou négligés...

DES MYTHES

Pour le REEI, il faut toujours prendre en compte le revenu des parents.

Pour l'établissement du taux de subvention au REEI, les revenus des parents sont toujours considérés ? Faux.

« Pour un enfant de 19 ans, même s'il demeure chez ses parents, ce n'est que son revenu qui est retenu, et le cas échéant celui de son conjoint », précise Jonathan Vandal.

On ne peut faire des retraits du REEI qu'à partir de 60 ans.

C'est ce que croient faussement beaucoup de gens, indique Jonathan Vandal. Ce mythe provient de la règle qui stipule que lorsqu'un retrait est effectué d'un REEI, les subventions et les bons qui se trouvent dans le REEI depuis moins de 10 ans doivent être remboursés au gouvernement selon une formule prédéterminée.

Comme les subventions cessent à 49 ans, 60 ans est l'âge auquel on est certain de pouvoir retirer sans remboursement. Mais rien n'empêche de faire des retraits plus tôt, si besoin est.

Les contributions au REEI risquent de réduire l'aide sociale.

Faux. Les contributions, bons et subventions au REEI ne sont pas pris en compte pour l'admissibilité à l'aide sociale. « C'est expressément exclu de toutes les façons, insiste Jonathan Vandal. Les retraits peuvent éventuellement avoir un impact, mais pas le fait de détenir des sommes. »

Il faut que mon enfant handicapé souscrive une assurance vie.

Quelle assurance vie faut-il à mon enfant handicapé ? La question est souvent posée à Jonathan Vandal. « Est-ce qu'on a besoin de l'assurer ? », répond-il. Le principe de base est le suivant : il faut assurer la personne dont la mort causerait des préjudices importants à ceux qui en sont dépendants. C'est le cas des parents qui ont un enfant handicapé à leur charge, quel que soit l'âge de celui-ci.

ET DES TROUS

Un REER peut être « roulé » au REEI de l'enfant.

À la mort d'un parent, son REER pourrait être transféré sans impact fiscal - « roulé », dit-on - au REEI de son enfant handicapé et dépendant. « Un parent d'une famille monoparentale qui a des REER et dont l'enfant est dépendant de lui au sens de la loi de l'impôt, pourrait transférer sans impact fiscal des sommes du REER si on le prévoit adéquatement au testament », indique Jonathan Vandal.

Les sommes pour personnes handicapées sont transférables.

Dans les déclarations de revenus, les sommes pour personnes handicapées sont transférables au parent qui a la charge. « C'est très souvent méconnu », souligne Jonathan Vandal.

Les années manquées depuis 2008 ne sont pas perdues.

Le REEI a été instauré en 2008. « Les droits sont cumulatifs depuis la date de création ou depuis la date à laquelle on est admissible au programme, fait valoir Jonathan Vandal. Ils peuvent être accumulés durant 10 ans. Ceux de 2008 pourront être utilisés jusqu'en 2017. »

Toutefois, le gouvernement limite ses subventions à 10 500 $ par année civile. « Il y a donc une planification à faire. »

L'aide financière aux études peut être remise sous forme de bourse.

« Dans le cas des prêts aux enfants qui font des études postsecondaires, les prêts peuvent être transformés en bourses, souligne Guillaume Parent. Ce n'est pas connu ! »

L'aide financière calculée selon la situation de l'étudiant pourrait lui être remise sous forme de bourse s'il est atteint d'une déficience fonctionnelle majeure : une déficience visuelle ou auditive grave, une déficience motrice, une déficience organique.

ORGANISER SA VIE

Le REEI est peut-être l'outil le plus important, mais ce n'est pas le seul instrument dans la boîte à outils financiers d'une personne handicapée. En fait, c'est tout l'édifice de l'existence qui doit être organisé et consolidé. Petit plan de vie.

CRÉDITS D'IMPÔT

Les divers crédits d'impôts et mesures fiscales destinés aux personnes handicapées sont-ils bien connus des personnes concernées ? « Ah non ! Absolument pas », réplique vivement Jonathan Vandal, de Finandicap. 

Du côté fédéral, la somme pour personne handicapée s'établit à 7899 $ en 2015. 

Elle correspond à la ligne 316 de la déclaration de revenus lorsqu'on la demande pour nous-même, et à la ligne 318 pour une personne à notre charge.

Si la personne handicapée a moins de 18 ans, une somme de 4607 $ s'y ajoute.

Avec un taux d'imposition de 15 %, moins l'abattement du Québec qui s'applique, un crédit total de 12 506 $ procure donc en 2015 un remboursement de 1566 $, « dans la mesure où on a de l'impôt à payer », souligne Jonathan Vandal.

Lorsqu'on atteint 18 ans, le crédit supplémentaire de 4607 $ (en 2015) prend plutôt la forme d'un crédit pour aidant naturel, à la ligne 315. 

AU QUÉBEC

Il s'agit de la somme pour déficience grave et prolongée, demandée à la ligne 376. C'est un crédit non remboursable de 2595 $ en 2015.

À un taux de 20 %, il donne droit à un remboursement de 519 $, si on a de l'impôt à payer.

À partir de 18 ans, le crédit pour aidant naturel, au Québec, est pour sa part remboursable, ligne 462 (autres crédit, code 2). Il pouvait atteindre 1154 $ en 2015.

PRESTATIONS DE SOUTIEN AUX ENFANTS

Les suppléments pour enfants handicapés s'ajoutent aux prestations fiscales canadiennes et au paiement de Soutien aux enfants du Québec.

Au fédéral, la prestation pour enfant handicapé peut atteindre 224 $ par mois (début 2016), selon le revenu familial.

Au Québec, le supplément pour enfant handicapé est fixé en 2016 à 189 $ par mois, peu importe la situation familiale.

SOLIDARITÉ SOCIALE

À 18 ans, le programme de Solidarité sociale, qui s'adresse aux personnes qui ont « des contraintes sévères à l'emploi », peut prendre le relais. 

Des limitations s'appliquent à l'admissibilité.

En 2016, la prestation s'établit à 947 $ par mois.

Les biens immobiliers, un héritage et les bénéfices d'une police d'assurance sont exemptés jusqu'à concurrence d'une somme totale de 203 000 $.

« Le REEI ne compte dans aucun de ces montants-là », souligne Jonathan Vandal.

REEI

Le REEI demeure le fondement de la planification financière. Jonathan donne l'exemple de son frère trisomique, âgé de 29 ans.

« Mon frère est en ressources intermédiaires d'hébergement », explique-t-il. Ce service coûte environ 740 $ par mois. 

« Le constat, c'est qu'il manque 2000 à 3000 $ par année. Qui les met ? Il est bien certain que c'est ma mère et moi. Notre objectif, c'est que le REEI vienne suppléer comme sécurité financière. »

Ils versent donc tous les deux des contributions au REEI du jeune homme.

ASSURANCE VIE

Qu'arriverait-il à la personne handicapée si la personne qui en a la charge mourait avant que le REEI soit suffisamment garni ?

Une assurance vie temporaire prendra le relais.

« Il viendra un moment où il y aura assez d'argent dans le REEI. À ce moment-là, on n'a plus besoin d'assurance, que ce soit vie ou invalidité », note Jonathan Vandal.

PLANIFICATION SUCCESSORALE

Restera encore à faire une planification successorale pour s'assurer que les biens que le parent léguera à son enfant inapte soient convenablement gérés. 

ET LES AUTRES...

On trouve encore une large panoplie d'outils et de programmes de soutien. Quelques exemples : 

- Le crédit pour frais de garde est bonifié pour les enfants handicapés.

- Le régime d'accès à la propriété, qui comporte des assouplissements pour les personnes qui ont droit au crédit d'impôt pour personnes handicapées.

- Le contrat d'intégration au travail.

Et près de 40 autres mesures...

BUT LUCRATIF, VOCATION SOCIALE

Les services financiers aux personnes handicapées demandent plus que des connaissances techniques. La sensibilité est un atout indispensable.

Guillaume Parent, président et fondateur du cabinet de services financiers pour personnes handicapées Finandicap, arrive tout juste d'une semaine de croisière. Comme l'explique son associé Jonathan Vandal, c'est à peu près la seule formule qui lui soit accessible pour le traditionnel séjour hivernal dans le Sud.

« Dans le sable, les roues de fauteuil roulant, ce n'est pas fameux », lance en riant Guillaume Parent.

Il est atteint de paralysie cérébrale. Correction : il vit avec la paralysie cérébrale. La formule est moins dramatique et plus positive, suggère Jonathan Vandal.

« Ça fait partie de notre réalité », observe-t-il.

Cette compréhension du quotidien des personnes handicapées - et de leurs parents - est au coeur des services de leur cabinet.

EMPATHIE FINANCIÈRE

Finandicap compte quatre associés - dont la conjointe de Guillaume, Fanny Allary - et une demi-douzaine de conseillers.

« Les représentants qu'on cherche, ce ne sont souvent pas des gens de finance, souligne M. Vandal. C'est beaucoup plus des gens avec de l'empathie. »

« La finance, on peut apprendre ça à tout le monde. Mais de l'empathie, de la compréhension et de la compassion, tu n'apprends pas ça facilement. » - Jonathan Vandal

Par exemple, leurs représentants doivent reconnaître rapidement si une famille est passée au travers du processus d'acceptation. « On peut arriver dans une famille et parler de l'enfant handicapé et ça passe très bien », dit Jonathan Vandal. Mais il arrive que dans une autre famille, le mot « handicapé » ne passe pas et qu'il faille ajuster le discours.

LE PARCOURS DE GUILLAUME

Guillaume Parent a étudié en finances à l'Université Laval. Il a d'abord travaillé chez Fondaction CSN, « où [il a] pris goût à l'entrepreneuriat et [a] compris la dynamique d'entreprise et comment monter un projet », relate-t-il.

Il a entendu parler du régime enregistré d'épargne-invalidité peu de temps après son lancement, fin 2008.

« J'ai cogné à beaucoup de portes pour me faire embaucher et aucune ne s'ouvrait à cette opportunité. Je me suis dit O.K., pas plus fou qu'un autre, allons-y ! »

Il fonde son cabinet en 2010.

L'ARRIVÉE DE JONATHAN

En 2013, Jonathan Vandal, comptable professionnel agréé de formation, menait une fructueuse carrière chez Raymond Chabot.

Aîné d'un jeune frère trisomique, il était en quête de ressources et de services pour assurer son avenir financier. « Je me disais que ça n'avait pas de bon sens que personne ne fasse ça. »

Une recherche sur Google lui permet de repérer la firme de Guillaume Parent.

« Un dimanche d'août 2013, je lui ai envoyé un courriel à 4 h du matin. »

Guillaume Parent et Fanny Allary ont été convaincants. « En un mois, j'étais rendu ici. Et je n'étais pas prêt à aller en affaires, je peux vous garantir que ce n'était pas mon plan financier. »

Jonathan Vandal se défend de tout angélisme.

« Les gens disent : c'est donc bien beau ce que tu fais. Bon. La première des choses, ce qu'on fait, c'est qu'on a identifié une clientèle avec des besoins, et on lui offre des services de qualité. Ce n'est rien de différent de n'importe quelle autre entreprise. »

La différence est plutôt dans la conscience de son utilité.

« Nous, on pense qu'on est une entreprise à but lucratif, mais à vocation sociale. »