Une nouvelle vague de commerces à bas prix déferle sur le Québec. La dernière récession et la forte croissance des achats en ligne ont obligé les commerçants à revoir leur modèle d'affaires. Nombreux sont les secteurs où on mise avant tout sur le prix le plus bas, mais le consommateur en a-t-il pour son argent ?

UN MODÈLE DE CONSOMMATION EN TRAIN DE « S'ANCRER »Ce n'est pas d'hier que les magasins à bas prix existent. Au Québec, les grandes surfaces comme Greenberg, Woolco, Croteau et autres bannières se sont inscrites dans cette mouvance dans la période d'après-guerre jusque dans les années 80. Puis, le concept de « prix entrepôt » s'est imposé avec des bannières comme Réno-Dépôt, Club Price (devenu Costco), Super C et Maxi, lesquelles existent encore.

Le concept du « low cost », tel qu'on le connaît aujourd'hui, serait beaucoup plus récent. Il provient surtout d'Europe et des États-Unis, où la densité de population a favorisé son émergence. Objectif visé : offrir les meilleurs prix possible en ayant les coûts d'exploitation (nombre restreint d'intermédiaires, service à la clientèle quasi inexistant, etc.) les plus bas. Bref, on offre l'essentiel et on affiche un prix séduisant.

« Ça peut être vu comme une bonne nouvelle pour le consommateur, car le "low cost" a une influence pour garder les prix plus bas, croit Francine Rodier, professeure au département de marketing à l'École des sciences de la gestion (ESG) de l'UQAM. Plus le consommateur est informé, plus il a de pouvoir dans son jeu. Il va y avoir encore beaucoup de réajustements dans le commerce. On n'est pas au bout de nos surprises. »

La facilité déconcertante avec laquelle on peut comparer les prix grâce à une multitude d'applications ou de sites internet joue pour beaucoup dans cette nouvelle vague. Autrement dit, l'accès à la mobilité donne un nouveau souffle au commerce de détail au rabais, d'ordinaire tributaire des cycles économiques, soutient JoAnne Labrecque, professeure en marketing à HEC Montréal.

« Je crois que cette fois-ci, on assiste à un phénomène de fond. On est en train de voir un modèle de consommation s'ancrer. Le consommateur sait qu'il peut désormais acheter sans payer une grosse marge de profit au détaillant », soutient-elle.

Des secteurs peu visités, comme celui de l'entraînement physique ou, a contrario, matures, comme ceux de l'alimentation ou des meubles, connaissent une renaissance au Québec grâce à une migration vers les commerces à bas prix.

Les Supercentres de Walmart, Économax, Éconofitness, tous en pleine expansion au Québec, en sont des exemples probants. Des niches, comme le transport aérien au rabais, par exemple, sont sur le point de prendre leur envol.

CHANGEMENTS MAJEURS EN ALIMENTATION

Le secteur alimentaire est sans doute celui qui va connaître les plus importants chambardements. Partout au Canada, y compris au Québec, Walmart veut ouvrir davantage de Supercentres, où de 25 à 35 % du magasin est consacré à l'alimentation.

Chez Maxi, le numéro un du « low cost » alimentaire au Québec, on dit voir d'un bon oeil l'arrivée d'une « saine concurrence », mais d'un autre côté, on fourbit les armes. Offre plus élargie de fruits et légumes (notamment plus d'aromates frais), section de fruits et légumes imparfaits, nouvelle section de produits naturels et bios, les visées de Walmart semblent être dérangeantes.

Fait intéressant : ailleurs au Canada, Loblaws procède à certains tests dans le commerce à bas prix. La bannière dirigée par la famille Weston a récemment créé en Ontario et en Alberta la bannière The Box, sorte de Maxi, mais dans des locaux plus petits et avec une liste restreinte de produits. Ce concept, qui se rapproche du « hard discount », sera-t-il un jour le bienvenu au Québec ? Trop tôt pour le savoir, nous dit-on aux bureaux de Loblaws.

Mais le prix le plus bas n'est pas une arme absolue dans le secteur de l'alimentation. « Au Québec, les gens sont plus enclins à payer plus cher pour leur panier d'épicerie. Le ménage moyen québécois va dépenser 14 % de son budget (le taux le plus élevé au Canada). Oui, les Québécois veulent payer moins cher, mais la qualité et la variété vont jouer pour beaucoup », explique Sylvain Charlebois, professeur au Food Institute de l'Université de Guelph.

Dans le secteur du vêtement, le « low cost » prend aussi de l'expansion. En Europe, par exemple, des boutiques de vêtements, comme la chaîne britannique Primark, sont de véritables bulldozers. Sous-vêtements à 2 $, t-shirts à 3 $, jeans à 19 $, etc.

Primark doit en principe s'installer prochainement aux États-Unis. Les Québécois chercheurs d'aubaines devront encore patienter.

AVANTAGEUX, MAIS PAS TOUJOURS

Est-ce vraiment plus économique de faire ses achats auprès d'un commerce ou d'une entreprise au rabais ? Oui, mais pas toujours, avons-nous constaté après quelques comparaisons en ce qui concerne le pain, les meubles, les billets d'avion et les centres d'entraînement physique.

Du pain pour des miettes

Les pains vendus dans les supermarchés sont offerts à une fraction du prix dans les comptoirs de surplus. Weston, BimboBread et autres Boulangerie St-Méthode en exploitent tous. Ces pains et pâtisseries sont écoulés parce que leur date de péremption approche ou qu'ils ne font pas le poids indiqué sur l'emballage. Exemples : des tartelettes Grannys sont offertes à 3,49 $ pour une boîte de 16 tartelettes dans les magasins au rabais de Canada Bread. Au Maxi, pour le même prix, on obtient six tartelettes. Chez Metro, on en obtient en promotion 12 pour 5 $. La semaine dernière, dans les comptoirs au rabais de Boulangerie St-Méthode, les pains Grand-Père se détaillaient 3,09 $, contre 4,29 $ et 4,69 $ respectivement chez Maxi et Metro.

Meubles : à l'avantage du client

Nous avons comparé les prix d'électroménagers et de téléviseurs vendus chez le détaillant au rabais Économax et d'autres détaillants. Dans la majorité des cas, les ensembles de laveuse-sécheuse (entre 1649 $ et 1959 $), de même que les frigos (de 1579 $ à 1979 $), étaient légèrement moins chers chez Économax. Idem pour les téléviseurs. Après de simples appels, sans avoir trop négocié, il a toutefois été possible d'obtenir de meilleurs prix ailleurs. Chez Sears, on égalait les prix et on ajoutait 100 $ de rabais supplémentaires. Chez Best Buy, on promettait d'égaler le prix d'un « magasin dans une même ville ou d'un site transactionnel se terminant par ‟.ca" ». Et on offrait 10 % de rabais sur la différence de prix.

Transport : pas si économique que ça

Omniprésents en Europe et aux États-Unis, les transporteurs aériens à bas prix se font attendre au Canada. La compagnie islandaise WOWAir desservira l'aéroport Montréal-Trudeau en mai prochain. Entre-temps, il faut se rendre aux États-Unis où Spirit Airlines et Allegiant Air sont accessibles. Quatre billets allers-retours entre Montréal et Fort Lauderdale coûtaient entre 1900 $ et 1940 $ avec Air Transat ou American Airlines. Avec Spirit Airlines, au départ de Plattsburgh, les billets coûtaient 1500 $, mais cela ne comprenait pas certains frais supplémentaires comme la surcharge pour le bagage à main. Ajoutez le kilométrage aller-retour jusqu'à Plattsburgh et faites vos calculs avant de crier à l'aubaine du siècle.

La bonne forme pour 9 $

Les centres d'entraînement physique à bas prix sont en croissance au Québec. Propriété d'Énergie Cardio, Éconofitness a ouvert 35 gyms depuis 2013 et espère atteindre les 50 succursales en 2016. L'abonnement mensuel coûte 10 $. À ce prix-là, il n'y a pas d'instructeurs en chair et en os. Pour se doucher, il faut payer un supplément. L'enseigne canadienne Fit for Life vient tout juste de faire son entrée au Québec. Ici, c'est 9 $ par mois pour s'entraîner. Les douches et le sauna sont gratuits, et on y trouve des entraîneurs en chair et en os. Des frais d'inscription de 68 $ font grimper la facture réelle à 14,66 $ par mois.

FORTE CONCURRENCE DANS LE MEUBLE ET L'ALIMENTATION

Voici deux secteurs d'activités où le « low cost » a le vent en poupe au Québec et où la concurrence se fait de plus en plus féroce, au grand plaisir des consommateurs. 

MEUBLES

Le retour du prix entrepôt

Deux enseignes québécoises à bas prix spécialisées dans la vente de meubles connaissent une forte croissance ces dernières années : Économax et Surplus RD. Elles misent sur le concept de « prix entrepôt ». Surplus RD a ouvert 13 magasins. Le détaillant entend ouvrir 20 succursales d'ici 2017. Son modèle d'affaires : vendre au plus bas prix des surplus, des stocks d'entreprises qui ont fait faillite, des retours de marchandises, mais aussi, de plus en plus, des meubles neufs du Canada, d'Asie et des États-Unis. Sa stratégie : avoir pignon sur rue dans des locaux non aménagés, notamment d'anciens Zellers vides, dont les contrats de location, à court terme, sont très avantageux. Économax, dont les 11 magasins sont propriété de BMTC (Brault et Martineau et Ameublements Tanguay), promet d'égaler les prix de la concurrence et d'offrir 10 $ de rabais supplémentaire. Quant aux grandes surfaces (Sears, The Brick, etc.), elles rivalisent d'ingéniosité (carte de points, garantie prolongée, politique du meilleur prix) pour faire elles aussi des offres qu'elles disent imbattables. Bref, ça joue dur.

ALIMENTATION

Multiplication des Supercentres

Walmart le claironne partout : elle veut intensifier sa présence dans l'alimentation partout au pays. À la mi-janvier, le Walmart de Beauport est devenu le 300e Supercentre au Canada. Au Québec, l'objectif est de convertir l'ensemble des 68 magasins en Supercentres, des succursales où fruits et légumes frais, boucherie (fraîche et surgelée) et boulangerie sont notamment offerts. Le géant américain, qui occupe actuellement environ 8 % du marché de l'alimentation au Québec, vient donc s'immiscer dans la niche occupée par Maxi (où on se targue d'être numéro un dans le « low cost » au Québec), Super C, de même que Costco, lequel ne cesse de gagner des parts de marché ces dernières années. Autre élément qui fera l'affaire de bien des consommateurs : Walmart applique la même politique que Maxi : trouvez un aliment moins cher ailleurs et on vous l'offrira au même prix.