Les parents d'enfants handicapés n'ont pas, comme les autres, la satisfaction de les voir voler de leurs propres ailes quand ils deviennent adultes. Ils doivent souvent rester présents pour les aider financièrement et pour d'autres aspects de leur vie quotidienne.

C'est ce qui inquiète Lise et Claude : ils ont 70 et 72 ans et commencent à penser à ce qui arrivera le jour où ils ne seront plus là pour s'occuper de deux de leurs quatre enfants, qui sont handicapés, se déplacent en fauteuil roulant et souffrent d'un léger retard mental.

Le niveau scolaire de Simon, 38 ans, est d'environ le début du secondaire. Son frère Michel, 40 ans, se débrouille mieux : il sait bien lire et compter.

Les deux frères vivent ensemble, en appartement, dans un duplex appartenant à leur frère aîné, Sylvain. Le logement a été adapté à leurs besoins.

Ils reçoivent des prestations de solidarité sociale - dont les montants sont un peu plus élevés que ceux de l'aide sociale. Ils touchent aussi une petite allocation en participant à un programme de stages supervisés en milieu de travail.

Comme ils sont loin de rouler sur l'or, leurs parents les aident de différentes façons.

« On donne environ 100 $ par mois à chacun, mais le mois dernier, il a fallu augmenter à 150 $. » - Lise

« On leur achète des vêtements quand ils en ont besoin, on paie leur facture de cellulaire, leur abonnement au gym, leur épicerie parfois à la fin du mois. Ils viennent aussi souvent manger à la maison, et on les conduit à certaines activités parce qu'ils ont droit à un nombre limité de trajets avec le transport adapté », dit Lise.

QUESTIONS INQUIÉTANTES

Elle évalue à environ 2000 $ par année l'aide accordée à chacun de ses fils handicapés. Sans le soutien de leurs parents, Michel et Simon auraient du mal à boucler leurs fins de mois et vivraient beaucoup moins confortablement.

Les deux hommes ne sont pas considérés comme inaptes. Cependant, s'il vivait seul, Simon aurait du mal à gérer correctement son argent et plusieurs activités quotidiennes, selon Lise.

« Comment nous assurer que nos fils ne soient pas laissés à eux-mêmes après notre décès ? se demande leur mère. Si on leur laisse un héritage, est-ce que leurs prestations seront diminuées ? »

Que de questions inquiétantes pour des parents !

PORTRAIT

Lise, 70 ans, et Claude, 72 ans

REVENUS DE RETRAITE

60 000 $ par an

ACTIFS

Maison : 275 000 $

Épargne-retraite (FERR) : 535 000 $

CELI : 16 000 $

Assurance vie : 300 000 $ pour lui, 100 000 $ pour elle

Simon, 38 ans

PRESTATIONS DE SOLIDARITÉ SOCIALE

937 $ par mois

STAGES

70 $ par mois

Michel, 40 ans

PRESTATIONS DE SOLIDARITÉ SOCIALE

1067 $ par mois

STAGES

92 $ par mois

UNE FIDUCIE POUR LA TRANQUILLITÉ D'ESPRIT

Laisser derrière soi des enfants vulnérables exige une soigneuse planification de sa succession. Les parents doivent y consacrer du temps, de la réflexion et, malheureusement, ils auront une facture plus salée à payer chez le notaire que pour une succession plus simple.

Actuellement, les testaments de Lise et Claude prévoient que s'ils meurent tous les deux, leurs deux fils aînés héritent chacun, en plus de leur part d'héritage, de la portion revenant à leurs frères handicapés. « C'est pour que les deux plus vieux puissent gérer l'héritage des plus jeunes à leur place », explique Lise, qui est consciente que ce n'est peut-être pas la meilleure façon de procéder.

En effet, la notaire Danielle Beausoleil qualifie même cette planification de « dangereuse ». « De cette façon, tout l'héritage passe dans le patrimoine des deux aînés, et on ne sait pas ce qui peut se passer plus tard. »

« Par exemple, si l'un des frères plus vieux décède ensuite, c'est sa succession à lui qui hérite, et l'héritage des parents risque de ne pas servir au bien-être des plus jeunes. » - Danielle Beausoleil, notaire

Dans une telle situation, elle recommande la création d'une fiducie.

À quoi sert une fiducie testamentaire ?

À protéger des héritiers vulnérables, en donnant de son vivant des instructions sur la gestion et l'utilisation des sommes léguées au décès. L'actif de la succession est remis à une fiducie, qui s'occupe de la distribuer selon les directives prévues au testament.

Qui gère la fiducie ?

Vous décidez qui sera fiduciaire : une personne de confiance ou une société de fiducie.

Combien ça coûte ?

Entre 2500 et 3000 $ pour un couple.

Lise et Claude pourraient prévoir dans leur testament que les dépenses qu'ils assument actuellement pour leurs fils handicapés seront prises en charge par la fiducie après leur décès, suggère Me Beausoleil.

Si les deux hommes recevaient directement leur part d'héritage, ils pourraient perdre une partie de leurs prestations gouvernementales. Contrairement à l'aide sociale, les prestataires de la solidarité sociale peuvent hériter d'actifs d'une valeur maximale de 203 000 $ sans que leurs allocations soient réduites.

Les actifs des parents totalisent actuellement 1,2 million, incluant les bénéfices de l'assurance vie. S'ils mouraient maintenant, leurs héritiers recevraient 964 000 $ après impôts, soit 240 000 $ pour chacun des enfants, en supposant que l'héritage est partagé en quatre parts égales.

Si la fiducie hérite de la part des fils handicapés, leurs allocations ne seront pas touchées, à condition que les deux bénéficiaires ne reçoivent pas de paiements fixes. « Si on prévoit des versements mensuels, à partir des revenus d'intérêts, par exemple, au-delà de 100 $ par mois, leurs prestations seraient diminuées, note Danielle Beausoleil. Les montants placés en fiducie doivent plutôt servir à leur verser des montants discrétionnaires, selon les besoins, et à leur payer des petites douceurs, qui améliorent leur qualité de vie. »

Leur frère aîné, propriétaire de leur logement, devrait-il être nommé fiduciaire ?

« Le frère peut être en conflit d'intérêts. S'il est susceptible d'hériter de ses deux cadets à leur décès, il pourrait avoir intérêt à garder le plus d'argent possible dans la fiducie. » - Danielle Beausoleil

« Si les parents lui font confiance pour préserver le bien-être de ses frères, l'idéal serait de lui adjoindre une personne indépendante pour la gestion de la fiducie », souligne-t-elle.

LÉGUER LA MAISON ?

Les parents pourraient songer à léguer leur maison aux deux enfants défavorisés. « Ils auraient un endroit où rester et n'auraient plus de loyer à payer », souligne Me Beausoleil. Étant donné que la maison vaut 275 000 $, il leur resterait 206 000 $ à recevoir de la succession (103 000 $ chacun). Cette somme pourrait être placée en fiducie pour assumer les dépenses liées à la propriété.

HANDICAP, LOI ET IMPÔTS

Qui peut recevoir des prestations de solidarité sociale ?

Les personnes qui ont des contraintes graves à l'emploi et qui ne peuvent subvenir à leurs besoins de base en raison de leur situation financière.

Quels sont les allègements fiscaux pour les personnes handicapées ?

Québec verse une somme aux personnes ayant des limites marquées à accomplir une activité courante de la vie quotidienne.

C'est un crédit d'impôt non remboursable - ceux qui ne paient pas d'impôt ne reçoivent rien - pouvant atteindre 1000 $ par année.

Au fédéral, le crédit d'impôt pour personnes handicapées (CIPH), aussi non remboursable, peut atteindre 7800 $.

Qui peut bénéficier d'un régime enregistré d'épargne-invalidité (REEI) ?

Les personnes admissibles au CIPH peuvent ouvrir un REEI afin d'accumuler de l'épargne à l'abri de l'impôt pour leur retraite. Les cotisations ne sont pas déductibles du revenu, mais elles donnent droit à une subvention gouvernementale de 300 %, 200 % ou 100 % selon le revenu familial du bénéficiaire et son niveau de cotisation.

Un des avantages du REEI : si le bénéficiaire hérite de sommes provenant d'un fonds enregistré de revenus de retraite (FERR), comme ce sera peut-être le cas de Simon et Michel, ces sommes peuvent être « roulées » dans le REEI d'un enfant ou d'un petit-enfant, sans qu'il y ait d'impôt à payer.

Pour qui et pourquoi, la déclaration d'inaptitude ?

Une personne majeure peut être déclarée inapte si elle ne peut prendre de décisions pour les sujets qui la concernent. Selon le degré d'inaptitude, il y a trois régimes de protection possibles.

Personne inapte de façon totale et permanente : le tribunal nomme un curateur pour s'occuper d'elle.

Inaptitude partielle ou temporaire : on nommera plutôt un tuteur.

Personne qui a besoin de conseils pour prendre certaines décisions pour l'administration de ses biens : on nommera un « conseiller au majeur ».

Les parents peuvent être nommés tuteurs, curateurs ou conseillers au majeur. Après leur décès, c'est un conseil de famille qui décide qui jouera ce rôle.