Mélanie et Louis ont déménagé à Montréal pour deux raisons. « Nous devions faire trois heures de route par jour pour aller travailler et nous voulions nous rapprocher de ma mère qui est atteinte de la maladie de Parkinson et qui demeure à Montréal », explique Mélanie, 46 ans.

En 2013, le couple achète donc un duplex pour la rondelette somme de 429 000 $. La petite famille - Mélanie et Louis ont un jeune garçon d'âge scolaire - déménage dans la métropole. Tout est prévu dans les moindres détails : le couple rénovera le sous-sol pour accueillir la mère de Mélanie. Celle-ci déboursera mensuellement 1000 dollars.

Ce montant, additionné aux paiements mensuels du locataire du deuxième niveau (745 $), permettra au couple de boucler les fins de mois sans trop de difficulté.

Mais voilà, à peine emménagent-ils sur l'île que le projet déraille. La mère de Mélanie est contrainte d'aller en résidence privée en raison de son état de santé. « Cela changeait les prévisions financières que nous avions faites », poursuit-elle.

Une mauvaise surprise n'arrive jamais seule. La liste des rénovations nécessaires à l'entretien de l'immeuble ne cesse de s'allonger. « Les rénovations du sous-sol sont écartées à cause des coûts. Les fenêtres doivent être changées rapidement (environ 7000 $) car leurs contours sont pourris », raconte-t-elle.

D'autres anomalies font surface. Le balcon arrière a pourri prématurément ; le réservoir d'eau chaude doit être changé ; un « ventre de boeuf » à l'avant du duplex doit être réparé.

« L'inspection a été mal faite, mais c'est très difficile et très dispendieux de revenir contre eux », a dit Mélanie. 

Les dépenses s'accumulent et le couple envisage de se départir du duplex. En début d'année, il entame des démarches pour vendre l'immeuble. « Notre agent nous a conseillé de demander le même prix que nous avions payé (429 000 $). Du coup, nous acceptons de perdre tout ce que nous avons payé pour les rénovations », dit-elle, précisant que l'offre reçue jusqu'à présent était bien en deçà (411 000 $). « L'acheteur a voulu obtenir notre duplex à un prix plus bas que l'évaluation de la Ville. »

LOURDS FRAIS DE PÉNALITÉ

Le couple n'est toutefois pas au bout de ses peines. Une troisième mauvaise surprise l'attend : Mélanie et Louis devront débourser près de 20 000 $ de frais de pénalité pour mettre un terme prématurément à leur contrat hypothécaire. « Et cela, c'est sans compter les frais de courtage de l'agent immobilier que nous devons assumer [23 000 $] », dit-elle, exaspérée et découragée.

Mélanie ne mâche pas ses mots : la situation est cauchemardesque ! La totalité des pertes pourrait atteindre 50 000 $. « Cette somme, nous devrons la débourser non pas parce que nous avons trop consommé, mais plutôt parce que nous accumulons les mauvaises surprises. »

« C'est très préoccupant et stressant comme situation. Tout ce que nous faisons, c'est régler des problèmes et payer pour de mauvaises surprises. Nous ne pouvons plus voyager et, évidemment, tout cela finit par s'étendre sur le personnel », ajoute Mélanie.

Mélanie sait qu'il n'y a pas de sortie gracieuse à cette situation. N'empêche, elle espère stopper l'hémorragie et tourner la page de ce sombre chapitre sans y perdre trop de plumes. « Quelles sont les options qui s'offrent à nous, sachant qu'il est difficile, voire impossible, de débourser pour d'autres mauvaises surprises ? »

PORTRAIT

Valeur de la maison : 429 000 $

Mensualités : 2230 $/le 15 de chaque mois

Taux d'intérêt : 3,76 %

Nombre d'années qu'il reste à payer : 23 ans et demi

Revenu location : 745 $ (765 $ à partir de juillet)

Valeur du duplex souhaitée : 429 000 $

Pénalité : 20 000 $

Frais de courtage : 23 000 $ (estimé, incluant les taxes, si on vend autour de 411 000 $)

RÉNOVATIONS

Depuis 2013 :

Portes et fenêtres : 6800 $ (140 $/mois sur AccordD jusqu'en 2019, soit 5 ans)

Changement du panneau électrique : 800 $

Rénovations nécessaires :

Réservoirs à eau chaude : 400 $ + 12,93 $/mois en location

Ventre de boeuf apparent : 4850 $ + taxes

Balcon arrière (bois pourri) : à estimer

Salaire du couple :

• Louis : 1800 $ net/toutes les deux semaines

• Mélanie : 1200 $ net/toutes les deux semaines

Paiement automobile : 270 $/mois

Assurance automobile : 62 $/mois

Essence : 100 $/mois

Transport en commun : environ 1900 $/an

Épicerie : 450 $/toutes les deux semaines

Dépenses voyage : aucun voyage depuis trois ans

PERSPECTIVES

« Casser » un contrat hypothécaire engendre des frais de pénalité salés. Extrêmement salés même ! « Les pénalités hypothécaires ne sont pas encadrées en ce moment. Les institutions financières font ce qu'elles veulent comme elles veulent », déplore Dominique Gervais, avocate chez Option consommateurs.

L'organisation fait pression depuis nombre d'années auprès des gouvernements canadien et québécois pour qu'ils encadrent plus étroitement les pratiques relatives aux pénalités. Au fil des ans, Dominique Gervais a vu plusieurs dossiers où les pénalités grimpaient jusqu'à « 15 000, 17 000 ou 20 000 dollars ».

Faute de baliser les pratiques, le gouvernement fédéral a publié une ligne directrice (DC-9 : Divulgation de la pénalité pour remboursement anticipé des hypothèques) qui contraint les institutions financières à plus de transparence à l'égard des emprunteurs. Celles-ci doivent entre autres inclure dans les contrats les détails du calcul des pénalités ainsi que la description des éléments pris en compte dans la formule utilisée pour établir les pénalités.

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Pour l'essentiel, les institutions financières utilisent deux méthodes de calcul à leur disposition pour établir les frais de pénalité et elles appliquent celle qui les avantage le plus.

MÉTHODE 1 : La pénalité représente l'équivalent de trois mois d'intérêt.

MÉTHODE 2 : Les institutions financières font le calcul différentiel ; elles soustraient du taux d'intérêt officiel du contrat celui du futur prêt. Elles multiplient alors le résultat par le nombre de mois qu'il reste à payer selon l'échéance établie. C'est cette dernière qui est généralement adoptée.

Cette méthode de calcul s'appuie « sur le taux d'intérêt anticipé - celui indiqué dans le contrat - et non le taux d'intérêt appliqué », indique Dominique Gervais, précisant que le taux utilisé est du coup plus élevé.

À noter : les institutions ajoutent régulièrement à la pénalité des frais d'administration - qui peuvent être de quelques centaines de dollars - et réclament toutes « les petits bonbons et avantages offerts lors de la signature de l'acte hypothécaire », précise Dominique Gervais.

Tant qu'elles sont inscrites dans le contrat, ces pratiques sont tout à fait légales. Seul hic : « Les clauses sont très souvent incompréhensibles au point où il est difficile pour quelqu'un de savoir à quoi s'attendre », note l'avocate.

Et personne n'échappe à ces clauses. « Ce sont des formulaires d'adhésion qui tous doivent signer. Ils sont souvent similaires d'une institution à l'autre et comportent les mêmes clauses. S'il est possible de négocier les taux d'intérêt, il est pour ainsi dire impossible d'en négocier les termes. »

SOLUTION

« Tout indique qu'ils se trouvent dans une situation où ils doivent sauver les meubles en réduisant autant que faire se peut l'impact de cette situation sur leurs finances personnelles », indique Dany Provost, directeur à la planification financière et fiscale chez SFL, Partenaire de Desjardins sécurité financière.

Son de cloche similaire de la part de Clarisse Nkaa, avocate et conseillère budgétaire chez Option consommateurs : « Il faut garder à l'esprit qu'il n'existe pas de solution miracle ; il est clair que la situation est difficile. » Jongler avec les chiffres ne résoudra pas l'impasse, le couple doit faire les bonnes actions.

Elle conseille ainsi à Marie et Louis d'entamer des négociations auprès de l'institution financière avec laquelle ils ont signé le contrat : « Par exemple, s'ils veulent acheter un autre immeuble plus modeste, ils pourraient tenter de négocier une réduction, voire l'annulation de la pénalité hypothécaire s'ils contractent une nouvelle hypothèque auprès de cette même institution. »

Dany Provost est du même avis. Toutefois, en agissant de la sorte, le couple devra se résoudre à « perdre le gros bout du bâton » quand viendra le temps de négocier un taux d'intérêt avantageux. Comme l'institution n'est pas dans l'obligation de réduire ou d'abolir la pénalité, elle pourrait bien revoir à la hausse son taux d'intérêt.

Il note qu'ils ont plus de chances d'obtenir de telles concessions de la part de leur institution actuelle qu'en faisant le saut chez un concurrent qui ne déboursera certainement pas les 20 000 $ de pénalité pour gagner un nouveau client.

Cependant, souligne Clarisse Nkaa, l'achat d'un immeuble, même modeste, comporte son lot de risques. Et Marie et Louis devront les considérer s'ils ne veulent pas revivre le même cauchemar. « Si le couple n'est plus en mesure d'assumer aucun risque, la location pourrait être une solution temporaire, le temps de se refaire une santé financière », dit-elle.

Clarisse Nkaa n'écarte pas le scénario d'un recours pour vice caché. « Le couple pourrait ainsi réduire le montant de sa réclamation. » Et les frais encourus ? « Ils pourraient se représenter seuls à la cour des petites créances, ce qui limiterait les dépenses du recours judiciaire. »

Avant d'entamer une telle procédure, Clarisse Nkaa rappelle l'existence du processus de médiation à la cour des petites créances. Très souvent, les litiges sont réglés plus rapidement, ce qui permettrait au couple de ne pas trop attendre avant de récupérer un montant qui lui servirait à réduire une partie de la somme due.

Pour sa part, Dany Provost rappelle qu'il est « triste, difficile, voire décevant » de perdre un tel montant. Néanmoins, compte tenu de leur situation, de leurs revenus et de leurs emplois, Marie et Louis peuvent passer au travers. « Une fois le chapitre terminé, ils pourraient, s'ils le désirent, récupérer l'équivalent de la somme à l'aide d'un budget plus serré au cours des prochaines années », rappelle-t-il, indiquant que cela leur permettrait de ne pas plomber leur prévision de retraite, par exemple.

Il conseille ainsi au couple de s'asseoir avec un conseiller financier et d'établir un plan de match. L'optimisme est de mise lors d'épreuves, souligne-t-il.