Chaque semaine, un financier répond à nos questions. Il donne sa lecture des marchés, offre son point de vue sur la Bourse et lance quelques conseils d'investissement. Cette semaine, Christine Décarie, vice-présidente principale, gestionnaire de portefeuille et responsable de la recherche mondiale au Groupe Investors.

À votre avis, quel est l'événement le plus significatif des derniers jours à la Bourse ?

C'est la remontée des taux obligataires à long terme aux États-Unis et au Canada, qui renforce une tendance observée dans ce marché depuis la mi-avril. Cette remontée corrige un peu la faiblesse anormale des taux à long terme qui prévalait depuis l'an dernier, et qui était un peu à contre-courant de l'amélioration de l'économie aux États-Unis.

En fait, cette faiblesse des taux à long terme en Amérique du Nord découlait surtout de l'afflux de capitaux obligataires provenant d'Europe, où le rendement obligataire est presque nul en raison des mesures fiscales et monétaires pour stimuler l'économie.

Par ailleurs, malgré la légère remontée des taux obligataires à long terme, j'estime que les récentes données économiques aux États-Unis ont repoussé d'au moins trois mois, en septembre plutôt qu'en juin, la possibilité d'une première remontée des taux à court terme par la Réserve fédérale américaine (Fed).

Quel indicateur suivez-vous le plus attentivement en ce moment ?

Comme gestionnaire de fonds d'actions, j'ai toujours l'oeil sur des indicateurs à moyen terme pour guider mon évaluation du risque de la prochaine récession.

Mais à plus court terme, les indicateurs que je surveille concernent l'inflation aux États-Unis. En particulier les chiffres relatifs à l'inflation de base (core inflation), qui excluent les prix plus volatils comme ceux de l'alimentation et de l'énergie.

Pour le moment, ces chiffres demeurent positifs pour la continuité de la croissance économique sans soubresaut de la politique monétaire de la Fed. Ce contexte demeure aussi favorable pour le marché boursier.

Que feriez-vous avec plusieurs milliers de dollars à investir ?

Dans le cadre d'un portefeuille diversifié, je préconise encore nettement une surpondération en actions par rapport aux titres à revenu fixe.

Selon les grands marchés boursiers, je vois encore des occasions de surpondération sur la Bourse américaine, malgré sa très bonne performance des dernières années.

Je préconise aussi une surpondération en actions européennes, parce que c'est encore le moment d'y saisir de belles occasions avant que la relance économique s'y confirme. En fait, j'estime que la Bourse européenne est dans une situation comparable à celle d'il y a deux ou trois ans, sur la Bourse américaine.

Du côté de la Bourse canadienne, je préconise une pondération relativement neutre - le rendement prochain de la Bourse américaine s'annonce meilleur - et une approche très sélective parmi les secteurs.

Par exemple, je m'attends à un rendement avantageux avec les grands assureurs vie comme Manuvie et l'Industrielle Alliance, qui devraient profiter du rehaussement des taux obligataires.

Je vois des occasions aussi chez des transporteurs ferroviaires comme le CN et Union Pacific aux États-Unis, d'autant qu'ils ont subi récemment une mini-correction qui ne correspond pas à leur potentiel important de hausse de prix et de revenus.

Parmi les actions québécoises, j'ai un intérêt envers Rona et sa nouvelle direction qui améliore ses résultats d'exploitation, en dépit de la faiblesse du marché résidentiel.

Dans le secteur industriel, l'entreprise Héroux-Devtek (trains d'atterrissage en aviation) m'attire parce qu'elle est très bien gérée pour continuer de profiter du cycle favorable dans le marché aéronautique. Aussi, ses actions se sont repliées de 10 % récemment sans motif valable, à mon avis.

À l'opposé, quel placement évitez-vous ces temps-ci ?

Ce sont encore les titres à revenu fixe, même si nous sommes tous un peu tannés d'entendre ce message !

Les obligations européennes à long terme sont à éviter complètement parce que leur rendement est dérisoire - et même négatif après impôt et inflation - par rapport aux risques économiques et financiers qui persistent en Europe.

Sur la Bourse canadienne, j'éviterais d'investir davantage dans des titres considérés comme « défensifs », tels les services publics et la consommation de base (alimentation). Leur valorisation m'apparaît surélevée grâce surtout à l'attrait de leur dividende dans un contexte de rendement obligataire anormalement bas.

Qu'est-ce que les marchés sous-estiment le plus actuellement ?

À mon avis, la croissance de l'économie mondiale pourrait s'avérer meilleure qu'attendu au cours des prochains trimestres, et peut-être dès la fin de cette année.

Ce contexte devrait avantager les marchés des matières premières et du pétrole. Peut-être même jusqu'à permettre à ces entreprises de récupérer une partie de la dévaluation boursière qu'elles ont subie depuis deux ans.

N'empêche, des placements additionnels dans ces secteurs devraient encore être planifiés et effectués de façon progressive.

Christine Décarie est vice-présidente principale, gestionnaire de portefeuille et responsable de la recherche mondiale au Groupe Investors, à ses bureaux de Montréal.

Comme gestionnaire de portefeuille, elle dirige un fonds d'entreprises québécoises ayant 255 millions en actifs sous gestion.

À titre de directrice de recherche, elle supervise des activités qui s'adressent aux gestionnaires de fonds chez Investors, qui cumulent plus de 35 milliards en actifs de clients-investisseurs.