Johanne doit quitter sa maison. Quand ? Elle ne le sait pas. Dès qu'elle sera vendue. Dans trois mois, six mois...

Elle doit la quitter parce que son mari l'a quittée, explique la femme de 53 ans. « Mais ce n'est pas ça que vous voulez savoir. »

La maison vaut environ 340 000 $. « Une fois tout payé, parce qu'on a fait des consolidations de dettes avec notre hypothèque, il devrait nous rester au maximum 50 000 $ chacun. »

Le divorce n'est pas encore prononcé. « Une fois divorcée, je vais avoir droit à la moitié de son fonds de pension, qui va valoir environ 125 000 ou 130 000 $ au maximum, explique-t-elle. Et en REER, j'ai au maximum 10 000 $. Et c'est tout. »

Pas tout à fait : elle a aussi une fille de 19 ans, encore aux études, qui habite avec elle.

« Que dois-je faire ? Investir dans une maison ou un condo, ou prendre un logement et investir ? »

Johanne habite la couronne nord. « On trouve des petits condos à 125 000 ou 150 000 $. C'est mieux que de payer un loyer dans le vide. Mais dans deux ans, où va être ma fille ? Si j'achète un condo, ça prend un 5 ½. Dans deux ans, je vais être prise avec mon grand 5 ½ toute seule. »

Une complication s'ajoute. « Je ne suis pas assurable pour une assurance hypothèque pour le moment. Ils ne veulent pas m'assurer. »

Pour quelle raison ?

« J'ai fait des tentatives de suicide. »

« Je vais bien ! », nous rassure-t-elle, avant d'éclater de rire : « C'est peut-être avec madame Deschâtelets que j'aurais dû parler ! »

Emploi incertain

Johanne est pour l'instant en congé de maladie. Elle retourne travailler le 18 avril. « Par contre, je sais que ce n'est que pour un mois parce que, comble de malheur, mon patron n'a plus d'argent pour me payer. »

Johanne est conseillère en hébergement pour les personnes âgées. « J'étais payée en avances sur commission. On emmène les gens visiter une résidence, ils signent un bail et quand ils emménagent, on envoie la facture à la résidence, qui paie un ou deux mois plus tard. »

À son retour au travail, elle touchera pendant quelques semaines les arrérages sur les commissions gagnées avant son congé de maladie. Ensuite, ce sera sans doute l'assurance-emploi.

« C'est sûr que je vais essayer de trouver un autre emploi, mais ce ne sera peut-être pas la même chose. J'avais quand même un revenu de 44 000 $ par année avec 10 000 $ de dépenses, ce qui fait que je m'en tirais quand même pas trop mal. »

Son futur ex-mari lui verse pour l'instant 2000 $ par mois pour couvrir les frais de logement. Avec les 1600 $ qu'elle touche mensuellement en prestations de maladie de l'assurance-emploi, elle boucle son budget sans problème. « C'est après que je ne sais pas quoi faire. »

« Je n'ai jamais été très brillante pour faire des économies. Vous me donnez cinq dollars et j'en dépense dix. »

Elle n'a pourtant aucune dette. Elle conduit un véhicule payé, modèle 2005, « qui va probablement me demander d'aller se reposer un jour ».

Les perspectives d'emploi ? « Ce ne sera pas facile. Les compagnies dans mon domaine n'engagent qu'à commission. Mais je vais finir par trouver, c'est sûr. Au pire, je retournerai réceptionniste. Pourvu que ce soit avec le public. »

Ça lui plairait. « Mais c'est sûr que ce n'est pas le salaire que je rêve d'avoir. »

Elle aimerait gagner 40 000 $ par année, mais dans sa région, elle estime le salaire d'une réceptionniste à 30 000 ou 32 000 $.

Elle a songé à lancer sa propre agence de conseil avec l'argent qu'elle tirera du divorce, mais « [elle est] très peureuse de ce côté-là, parce qu'après ça, [elle n'aura] plus de sous. »

Une transition difficile...

PORTRAIT

Johanne, 53 ans

En procédure de divorce

Mère d'une fille de 19 ans

En arrêt de travail jusqu'à la fin avril pour cause de maladie

Prestations actuelles de l'assurance-emploi : environ 1600 $ par mois

Revenus de travail : 43 000 $, plus 10 000 $ pour ses dépenses

Copropriétaire d'une maison d'une valeur de 340 000 $

Sa part après la vente : environ 50 000 $

Au divorce, elle touchera près de la moitié du fonds de retraite de son conjoint, soit environ 60 000 $.

Épargnes

REER : 4000 $

REER de conjoint : 4000 $

Aucune dette

Location, location, location

Il n'y a pas de réponse miracle. Pas de voie idéale.

Refaites d'abord vos forces, Johanne.

Reconstruisez vos assises physiques, morales et financières.

« Il n'y a pas beaucoup de solutions », souligne d'emblée la planificatrice financière Josée Laframboise, de BMO Groupe Financier.

Notre lectrice aimerait retrouver une propriété bien à elle.

Dans sa première communication, elle a confié qu'elle n'était pas admissible à « l'assurance hypothécaire ».

Il y avait confusion possible avec l'assurance prêt hypothécaire, qui permet de faire un emprunt avec une mise de fonds inférieure à 20 % du prix d'achat.

Lors d'une seconde conversation, Johanne a précisé qu'elle parlait en fait de l'assurance-vie prêt hypothécaire, qui rembourse le prêt hypothécaire en cas de la mort de l'emprunteur.

Une telle assurance est-elle essentielle ? Le décès de Johanne ne placerait pas de personnes à charge dans une situation difficile. Son héritière - vraisemblablement sa fille majeure - pourrait vendre la propriété sans difficulté majeure. Là n'est pas le point d'achoppement.

« La plus importante question concerne sa situation d'emploi, relève la planificatrice. Johanne est en congé de maladie. Il y a une crainte de perte d'emploi à son retour. Sa situation familiale est instable. »

Cette situation incertaine a d'autres conséquences. « Si elle fait un emprunt hypothécaire, le prêteur va faire une analyse complète. Il est certain qu'elle va avoir de la difficulté à emprunter. »

La conclusion tombe.

« Avec toute cette incertitude, est-elle prête à s'engager dans d'autres dettes ? Je mettrais ce projet sur la glace. La solution la plus viable serait de louer. »

Quelques chiffres

Josée Laframboise a tout de même évalué le scénario de l'achat d'un condo. Supposons une copropriété existante de 150 000 $, au sommet de la fourchette suggérée par Johanne. Avec un condo neuf, il faudrait encore ajouter les TPS et TVQ, moins le remboursement applicable.

Avec une mise de fonds de 20 %, soit 30 000 $, pour éviter la prime d'assurance prêt hypothécaire, l'emprunt s'élève à 120 000 $.

Un emprunt de 120 000 $, amorti sur 25 ans avec un taux d'intérêt de 2,79 %, produit une mensualité de 556 $, calcule la planificatrice.

« Il faut ajouter les frais de condo, que nous ne connaissons pas. »

Supposons 125 $ par mois, plus 175 $ pour les impôts fonciers, sur la base de quelques exemples relevés à Laval. Le total mensuel s'élève à 856 $.

La planificatrice a ensuite comparé avec le marché locatif. « Pour un cinq et demi à Laval, près du métro, il faut compter 900 $ par mois. »

La location d'un condo ferait monter le loyer à 1200 $. « Ce pourrait être aussi la location de condo avec option d'achat », observe-t-elle au passage, sans insister.

En réalité, en évoquant la cohabitation avec sa fille pendant un certain temps encore, Johanne répond elle-même à sa propre question. Mieux vaut louer plus grand pour accueillir sa fille, puis acheter quand ses besoins définitifs seront fixés.

Par ailleurs, un nouvel emploi intéressant dictera peut-être un déménagement. Pour l'instant, il est préférable de limiter les contraintes : il est plus facile de changer de logement que de vendre un condo.

Bref, tout milite pour la location, même si le loyer apparaît pour l'instant plus élevé qu'une mensualité hypothécaire.

La retraite

Josée Laframboise soulève un autre point. « Johanne n'a pas beaucoup d'épargne pour sa retraite. Elle a 53 ans et seulement 8000 $ en REER. »

Par contre, ajoute-t-elle, « elle va avoir un montant de 50 000 $ après la vente de sa maison, et elle recevra une somme de 60 000 $ en provenance du fonds de retraite de son conjoint, qui sera sans doute mise dans un compte de retraite immobilisé (CRI) ».

Un petit rappel : un CRI est un régime enregistré d'épargne-retraite dans lequel ont été transférés des fonds provenant d'un régime de retraite. Parce que le CRI doit procurer un revenu de retraite, on ne peut généralement pas y faire de retraits prématurés.

Avec ces 110 000 $, « Johanne a quand même une stabilité devant elle, souligne la planificatrice. Ces sommes, plutôt qu'investies dans l'immobilier, pourraient être consacrées à la retraite ».

Le confort peut prendre plusieurs formes.

La location de propriété avec option d'achat

Johanne rêve d'acquérir un condo, même si sa situation financière est instable. Elle disposera tout de même d'une somme pour la mise de fonds. La location avec option d'achat serait-elle une solution ? Révision (critique) du principe.

TROIS FORMULES

Entente directe entre le locataire/futur acheteur et le propriétaire/vendeur 

L'entente inclut un bail et un contrat pour l'option d'achat. Consultez un juriste - avocat ou notaire - avant de vous engager.

Location avec option d'achat d'un condo neuf auprès du promoteur 

« Est-ce qu'on paie le juste prix ? interroge Me Yves Joli-Coeur, du cabinet De Grandpré Joli-Coeur, spécialiste en copropriété. Si le locataire exerce son droit d'achat, aura-t-il la possibilité de vérifier la qualité de l'administration ? »

Location/achat d'une propriété avec intermédiaire 

L'intermédiaire achète la propriété et la loue au futur acheteur, avec option d'achat. Ce service vise les propriétaires en difficulté financière et les acheteurs qui n'ont pas accès pour l'instant aux prêts hypothécaires ordinaires.

Les firmes spécialisées semblent se multiplier. Une rapide recherche sur l'internet fait apparaître une dizaine de sites qui proposent des services de location de maison avec option d'achat. Certains sont liés entre eux.

Quelques-uns ne montrent aucun numéro de téléphone : le seul moyen de communication est une adresse courriel ou un formulaire d'inscription.

« Sur un des sites, je lisais que vous n'avez pas à débourser pour payer les taxes municipales et scolaire. C'est inclus dans le loyer ! Est-ce qu'ils prennent les gens pour des idiots ? », s'insurge Guylaine Lafleur, notaire et planificatrice financière chez Bachand Lafleur Groupe Conseil.

COMMENT ÇA FONCTIONNE ?

Quel est le principe d'une location/achat avec intermédiaire ? Prenons l'exemple de Devenir Proprio, l'entreprise de Joffrey Bélanger, qui pratique cette activité depuis 2012. « Nous avons fait 23 transactions en deux ans », confie-t-il.

Ses services s'adressent aux futurs propriétaires qui ont difficilement accès à un prêt standard : nouveaux arrivants, divorce, faillite ou proposition de consommateur au cours des dernières années...

« Ils ont souvent la mise de fonds pour acheter, mais ils n'ont pas le crédit adéquat pour passer à la banque », indique M. Bélanger.

L'entreprise achète la propriété et la loue au client pour une durée de un à trois ans, au terme de laquelle celui-ci peut la racheter à un prix fixé au départ.

« Le terme est prédéfini par un courtier hypothécaire qui analyse le dossier, pour savoir combien de temps ils vont avoir besoin pour rebâtir leur crédit et leur situation financière et être aptes à un rachat. »

Le prix de rachat est basé sur sa valeur actuelle de la propriété, plus une plus-value annuelle estimée en fonction de son marché - environ 2 % par année, dit-il. « Pour faire notre profit, il faut acheter à rabais. Celui qui paie notre profit, c'est le vendeur motivé qui vend sa maison ou son condo en bas de son évaluation marchande, pour que nous soyons en mesure de la vendre à sa valeur marchande au client qui est dans le besoin. »

La propriété doit donc répondre aux critères de l'entreprise.

Le client doit déposer un dépôt initial, calculé en fonction du risque qu'il représente. Il équivaut généralement à environ 5 % de la valeur de rachat. Cette somme sera appliquée en mise de fonds lors du rachat.

Le locataire paie un loyer. « En fonction du prix de rachat, je calcule, avec un intérêt de 4 %, en incluant taxes municipales, scolaire et assurances, combien ça va leur coûter lorsqu'ils achèteront la propriété dans deux ans. » Il suppose un amortissement de 25 ans et il tient compte de la prime de l'assurance prêt hypothécaire de la Société canadienne d'hypothèques et de logement (SCHL). « Comme s'il achetait. »

Son hypothèse : le locataire fait ainsi, aux yeux de son futur prêteur, la preuve de sa capacité à soutenir une hypothèque et ses frais afférents.

De cette mensualité, une part sera applicable à la mise de fonds pour l'achat final. « Ce montant varie selon la mise de fonds de départ, la mise de fonds totale qu'il faut accumuler, et dépend aussi du terme de location. »

Les coûts d'entretien de la propriété sont à la charge du locataire. « Ils font faire une inspection au départ et ils décident si la propriété leur convient. » L'inspection de la propriété et l'évaluation de sa valeur sont payées au départ par le locataire.

La mise de fonds - où la garantie, si vous préférez - est perdue si l'option d'achat n'est pas exercée. Tout comme les mensualités, bien sûr.

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Exemple de contrat de location avec option d'achat après un an

Valeur marchande de la propriété au moment de l'achat : 260 000 $

Prix d'achat par l'intermédiaire : 239 900 $

Prix de revente après un an si le locataire exerce son option d'achat : 269 100 $ (plus-value sur un an: 3,5 %)

Dépôt initial applicable à la mise de fonds si l'option d'achat est exercée : 10 000 $

Mensualité : 1675 $

La mensualité inclut :

- capital et intérêts calculés avec un taux de 4 % et un amortissement sur 25 %

- l'impôt foncier municipal et la taxe scolaire

- l'assurance habitation

Sur la mensualité, une somme de 290 $ sera applicable à la mise de fonds si l'option d'achat est exercée (3480 $ après 12 mois)

Mise de fonds accumulée après 12 mois : 13 480 $ (3480 $ + 10 000 $), soit 5 % du prix de rachat.

Cette somme est perdue si l'option d'achat n'est pas exercée.

Source : Devenir Proprio inc.

Comparaison

En supposant un appartement loué 900 $ par mois pendant un an, le locataire aurait pu épargner 775 $ par mois (1675 $ - 900 $), soit 9300 $ après un an plutôt que 3480 $. Sans risque.

La question : pourquoi est-il si urgent d'emménager ?

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QU'EN PENSENT-ILS ?

Le président de l'Organisme d'autoréglementation du courtage immobilier du Québec (OACIQ), Robert Nadeau, rappelle d'abord les responsabilités des courtiers et agents immobiliers.

« Ils ont l'obligation déontologique de révéler leur qualité de courtier à tout intervenant, donc au locataire possible. Ils ne peuvent pas agir comme intermédiaires pour le locataire ni pour le vendeur. S'ils sont intéressés à acheter l'immeuble eux-mêmes, il y a conflit d'intérêts. »

Peut-être le consommateur a-t-il certaines garanties ?

M. Nadeau se montre très circonspect à l'endroit des services de location avec option d'achat. Il a jeté un coup d'oeil sur quelques sites. « Je n'aime pas quand il est dit qu'on perd tout si on n'exerce pas son option d'achat. Pour moi, c'est surligné en rouge.

« À défaut, poursuit-il, je dirais à ces locataires-acheteurs d'aller au moins chercher un courtier pour négocier. Sinon, qu'ils fassent examiner auparavant la portée juridique de ce qu'ils vont signer par un notaire ou un avocat. »

« Ça s'adresse à des gens vulnérables, conclut-il. J'ai beaucoup de réserves. »

L'OACIQ confirme - sans vouloir donner plus de détails - que des plaintes ont été déposées à propos de la location avec option d'achat.

L'avis d'un planificateur

Sylvain Tremblay, vice-président du conseil de l'Institut québécois de planification financière et vice-président, gestion privée, chez Optimum gestion de placement, fait également quelques mises en garde.

Dans le cas d'une location de condo neuf avec option d'achat, il recommande de ne faire affaire qu'avec des promoteurs sérieux, à la réputation bien établie, et de consulter un notaire compétent.

Il s'inquiète par ailleurs de la situation budgétaire du locataire-acheteur.

« Pour quelqu'un qui n'est pas capable de bien gérer son budget, s'embarquer dans une structure de financement comme celle-là, ce n'est pas plus avantageux que de s'acheter un condo quand tu n'as pas les moyens de t'en acheter un. »

Enfin, attention aux services d'intermédiaires. « Je serais prudent. Il faudrait que mon dossier soit bien ficelé. Je m'assoirais avec mon planificateur financier et je me demanderais si j'ai les moyens ou non de faire ça. »