Annie vit le même cauchemar pour la deuxième année. La saison des déclarations de revenus se pointe en même temps que le soleil printanier et la travailleuse autonome de 28 ans craint de « se faire ramasser par les impôts ».

Être travailleuse autonome n'est pas mon premier choix », confie-t-elle d'entrée de jeu. La petite entreprise pour laquelle elle travaillait a fermé ses portes en 2012. Faute de dénicher un emploi stable dans son secteur, l'édition, elle cumule ici et là les contrats de rédaction et de correction.

Au cours des deux dernières années, son salaire a considérablement varié en fonction des contrats obtenus. Il oscille entre 28 000 et 38 000 $. « C'est beaucoup moins que ce que je faisais avant, alors que je gagnais un peu moins de 50 000 $. »

Annie ne s'en cache pas : elle vit mal l'incertitude de la travailleuse autonome. Lucide, elle dit devoir jongler avec deux nouvelles réalités : ajuster son train de vie en fonction de sa baisse de salaire et apprendre les rouages financiers et fiscaux qu'elle ne connaissait pas jusqu'alors. « Avant, c'était simple, mon employeur faisait des retenues à la source tout au long de l'année », dit-elle.

« Je suis bonne pour faire mon budget quotidien et mensuel, mais j'arrive difficilement à prévoir ce que je dois mettre de côté. J'en apprends constamment... mais chaque fois, c'est à cause d'oublis de ma part et de trucs dont je ne connaissais même pas l'existence », raconte-t-elle.

L'an dernier, pour la première fois, elle a fait affaire avec un comptable pour ses déclarations de revenus. « Mais quand je lui demande ce que je dois garder comme factures pour pouvoir déduire le maximum, il me répond simplement qu'il s'agit de tout ce qui est lié à mon emploi. »

« C'est bien beau, déduire le maximum, mais ça ne règle pas le fait que je ne sais pas, année après année, ce que je vais devoir payer en fin de compte », dit-elle.

DES FINANCES PRÉCAIRES

L'an dernier, Annie a établi une entente de paiement sur six mois avec Revenu Québec pour étaler les sommes dues l'année précédente, soit près de 4000 $. Une somme qui incluait l'impôt et la TPS-TVQ.

Ces « mauvaises surprises » pèsent sur des finances déjà précaires. Après la faillite de l'entreprise pour laquelle elle travaillait et la baisse de salaire qui en a découlé, elle a consolidé ses dettes d'études et celles de sa marge de crédit. La somme s'élevait à 15 000 $.

« Mes parents, qui ont de meilleurs taux d'intérêt que moi (2,9 %), m'ont donné un coup de pouce en reprenant ma dette. Je les rembourse à coups de 550 $ par mois, j'aurai fini de les rembourser dans deux ans », dit-elle.

Si Annie doit être travailleuse autonome encore quelques années, elle ne veut plus de mauvaises surprises. Elle enchaîne : « Je n'aime pas jouer à l'autruche. J'aimerais savoir tout ce que je peux déduire potentiellement et surtout savoir combien d'argent je dois mettre de côté en prévision de ce que je devrai. »

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LE PORTRAIT

Claudine, 58 ans

Revenus de travail autonome

2013 : 12 000 $

2012 : 15 000 $

2011 : 44 000 $

2010 : 38 000 $

Compte d'épargne : 5000 $

CELI : 18 000 $

REER et CRI : 149 000 $

Fonds de travailleurs : 41 000 $

Condo d'une valeur de 250 000 $

Hypothèque de 50 000 $, à 3,4 % d'intérêts, amortie sur 25 ans

Dépenses de logement (en incluant l'hypothèque) : 480 $/mois

Autres dépenses : 1500 $/mois

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PORTRAIT

Salaire : 38 000 $

Loyer (électricité et chauffage inclus) : 550 $

Internet : 95 $/mois

Téléphone cellulaire : 70 $/mois

DÉPLACEMENTS

Transports en commun : 72 $/mois

Taxi (pour raisons professionnelles) : 300 $/an

Location d'auto : 500 $/an

Ouvrages de référence, achat de publications : environ 500 $/an

Honoraires comptables : 250 $/an

Repas et frais de représentation : environ 250 $/an

Cotisation professionnelle : 0 $

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SOLUTION

L'organisation. Voilà le mot d'ordre du travailleur autonome, laisse entendre Richard Lalongé, comptable et expert-conseil chez Banque Nationale Gestion privée 1859. « Le travailleur autonome a à la fois les responsabilités de l'employé et celles de l'employeur », résume-t-il.

Porter deux chapeaux est difficile pour quiconque, comme Annie, s'habitue à sa nouvelle réalité. Premier conseil : garder les traces de tout ce qui touche ses activités professionnelles. « En théorie, toute dépense raisonnable qui est liée au travail est susceptible d'être déductible », dit-il.

La liste est longue : frais de location d'un bureau (ou pourcentage d'un appartement utilisé à des fins professionnelles), dépenses matérielles (ordinateur, imprimante, ouvrages), déplacement et voyages d'affaires (transports en commun, taxi, automobile), cotisations professionnelles et, enfin, repas et frais de représentation.

En ce qui a trait aux frais de représentation, il y a toutefois une limite à leur déductibilité au Québec. Cette limite se situe entre 1,25 % et 2 % du chiffre d'affaires et ils ne sont déductibles en général qu'à raison de 50 %. Dans le cas d'Annie - qui gagne entre 32 500 $ et 52 000 $ -, la limite est fixée à 650 $. Évidemment - on ne le répétera jamais assez -, « elle doit être capable de justifier chaque dépense et garder les pièces justificatives », précise Richard Lalongé.

Deuxième conseil : dénicher un comptable en qui Annie a confiance, qui peut répondre à ses questions. « Il saura déduire tout ce qu'il y a à déduire », dit-il. Qui plus est, les honoraires juridiques et comptables sont généralement déductibles.

Le défi d'Annie en est avant tout un d'organisation et de prévision. Richard Lalongé avance quatre éléments que la jeune travailleuse autonome devra considérer dans sa planification. « Et elle constatera que c'est environ 30 % de son revenu qu'elle devra mettre de côté au fil de l'année », dit-il.

1. LES IMPÔTS : 15 % À 18 % DE SES REVENUS

« On le sait, le taux d'imposition dépend de son revenu imposable. Un travailleur autonome qui fait 30 000 $ [nets de ses dépenses] devrait payer environ 15 % en impôt ; si son revenu grimpe à 40 000 $, ce sera 18 %. Comme son revenu fluctue, Annie pourrait penser à mettre près de 20 % de côté pour payer ses impôts. Elle peut effectuer les paiements grâce au système d'acompte provisionnel, obligatoire pour les contribuables qui doivent débourser plus de 1800 $ en impôt à la fin de l'année. Les acomptes sont payables chaque trois mois et du coup ça lui permet d'éviter de payer les intérêts lorsqu'elle fait ses impôts au printemps. »

2. DÉDUCTION À LA SOURCE : 11,5 % DE SES REVENUS

« Le travailleur autonome est son propre employeur. Du coup, il a les responsabilités qui en découlent. Pour la Régie des rentes du Québec (RRQ), il doit débourser la part de l'employeur (5,25 %) et celle de l'employé (5,25 %). Il doit également penser au Régime québécois d'assurance parentale (0,99 %). Ces sommes sont calculées sur le revenu net. »

3. TPS-TVQ : REMBOURSER LES TAXES

« Lorsqu'une personne commence à gagner plus de 30 000 $, elle doit s'inscrire au registre de la TPS et TVQ. Il est possible de rembourser les taxes annuellement, mais la plupart du temps les gens le font de façon trimestrielle. Ce qui est chargé en taxe n'appartient évidemment pas au travailleur autonome. Ces sommes doivent être retournées au gouvernement. Il est possible de déduire de cette somme les taxes que le travailleur a payées pour des raisons professionnelles. Je conseille généralement à mes clients de s'inscrire à la méthode rapide du gouvernement du Québec. Il s'agit d'envoyer 3,6 % de la TPS (5 %) et 6,6 % de la TVQ (10 %). » De plus, il est possible de bénéficier d'un crédit de 1,0 % sur les premiers 30 000 $ (TPS comprise) de revenus perçus des clients.

4. LE COUSSIN

« Les entrées d'argent des travailleurs autonomes sont souvent irrégulières. Il est conseillé de se faire une petite réserve, une trésorerie, pour pouvoir payer les dépenses courantes quand les rentrées d'argent se font attendre. Idéalement, la réserve devrait être l'équivalent de trois mois de son train de vie habituel. Pour quelqu'un qui a un coût de vie de 35 000 $, ça équivaut à 8750 $. Mieux vaut avoir une telle réserve que d'utiliser une marge de crédit avec des intérêts. » Toutefois, si cette dernière devient indispensable, il devient important de séparer ses dépenses personnelles et d'entreprises. Les intérêts sur une marge de crédit utilisée à des fins d'affaires sont déductibles.

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PERSPECTIVE

Pour éviter les mauvaises surprises, les travailleurs autonomes peuvent se tourner vers les acomptes provisionnels, soit des paiements partiels d'impôt à date fixe, quatre fois par année. Pour y avoir accès, ils doivent s'inscrire auprès de Revenu Québec et de l'Agence du revenu du Canada. « L'avantage principal, outre le fait d'étaler les paiements, c'est que les intérêts ne courent pas », indique Sylvain Chartier, fiscaliste et expert-conseil à la Banque Nationale Gestion privée 1859.

Tout le monde y gagne, laisse-t-il entendre. Tout d'abord, ce système permet aux différents ordres de gouvernement de ne pas attendre jusqu'au mois d'avril pour cueillir les sommes qui leur sont dues. En contrepartie, les travailleurs autonomes étalent leurs paiements tout au long de l'année et, du coup, ne paient pas d'intérêts. « Ça évite les mauvaises surprises », dit Sylvain Chartier.

Reste maintenant à établir le montant des paiements. L'Agence du revenu du Canada propose trois méthodes de calcul.

MÉTHODE 1 : SANS CALCUL

Le gouvernement détermine le montant des acomptes provisionnels en fonction des renseignements des déclarations de revenus des deux dernières années. Ce montant est inscrit sur le formulaire « Acomptes provisionnels » envoyé aux particuliers. Même si les montants se révèlent insuffisants, s'ils sont payés aux dates prévues, le particulier n'aura pas à payer d'intérêts.

MÉTHODE 2 : CALCUL BASÉ SUR L'ANNÉE PRÉCÉDENTE

Le particulier détermine lui-même le montant des acomptes provisionnels qu'il versera. Le travailleur doit alors tenir compte des montants d'impôt et de cotisations qui figurent dans sa déclaration de revenus de l'année précédente.

MÉTHODE 3 : CALCUL BASÉ SUR L'ANNÉE COURANTE

Le montant des acomptes provisionnels est établi par vous. Vous pourriez avoir avantage à choisir cette méthode de calcul si vous prévoyez payer, pour l'année courante, moins d'impôt et de cotisations que l'année précédente.

Il est de la responsabilité du travailleur de choisir la méthode qui lui convient le mieux en fonction de sa réalité. « Si quelqu'un sait, par exemple, que son revenu bondira ou baissera considérablement une année, il peut réajuster le tir en conséquence », indique Sylvain Chartier.