Toutes les semaines, un financier répond à nos questions. Il donne sa lecture des marchés, offre son point de vue sur la Bourse et lance quelques conseils d'investissement. Cette semaine, Charles Lefebvre, chef des placements et responsable de la répartition des actifs chez Optimum Gestion de placements.

À votre avis, quel est l'événement le plus significatif des derniers jours à la Bourse ?

C'est l'annonce du nombre impressionnant de 295 000 emplois créés en février aux États-Unis, qui demeurent le moteur de la croissance économique mondiale.

C'est maintenant plus de 3 millions d'emplois qui se sont rajoutés au cours de la dernière année. C'est aussi la meilleure création d'emplois depuis la crise financière et la grande récession de 2008-2009.

Cette vigueur du marché de l'emploi aux États-Unis augure d'un redressement prochain du taux d'intérêt directeur de la Réserve fédérale américaine (Fed), ce qui aura certainement un impact négatif en Bourse.

Depuis la crise financière américaine de 2008 et la crise économique européenne de 2011-2012, la Fed a maintenu son taux directeur à un niveau historiquement bas, et pour une période de temps anormalement longue.

Durant cette période, le marché boursier américain a réalisé des gains substantiels - de l'ordre de 20 % annualisés - , alors que les conditions de marché étaient des plus favorables pour les titres à revenu variable.

Quels indicateurs suivez-vous le plus attentivement en ce moment ?

Je surveille la progression des salaires aux États-Unis parce que, malgré un taux de chômage qui s'améliore depuis 2008 et qui avoisine la moyenne de l'après-guerre, soit 5,5 %, le pouvoir d'achat des ménages américains avait continué de s'effriter au cours des dernières années.

Dans ce contexte, une remontée des salaires qui augmenterait le pouvoir d'achat des Américains renforcerait le scénario d'une accélération de l'activité économique.

Ce regain économique très attendu depuis la crise de 2008-2009 est encore terni par la piètre qualité des emplois créés jusqu'à maintenant, la faible progression du secteur immobilier et la baisse des commandes de biens durables.

Que feriez-vous avec plusieurs milliers de dollars à investir ?

J'investirais davantage une partie de mes placements en actions canadiennes et européennes plutôt qu'en actions américaines, déjà très valorisées. Et ce, malgré plusieurs facteurs de risque bien présents de part et d'autre de l'Atlantique.

La Bourse canadienne a été lourdement ébranlée par la chute des cours de l'énergie et autres matières premières depuis quelques trimestres. Mais là, ces secteurs cycliques amorcent une consolidation, et leurs fondamentaux s'améliorent.

De plus, avec la dépréciation du dollar canadien (favorable aux exportateurs de matières premières), je considère que les titres de ces secteurs cycliques, qui pèsent 40 % de la Bourse canadienne, représentent désormais une meilleure occasion d'investissement.

Quant au marché des actions européennes, il est encore confronté à un sentiment négatif parmi les investisseurs et la communauté financière en général.

Pourtant, avec l'assouplissement quantitatif (achat massif d'obligations) qui s'amorce à la Banque centrale européenne (BCE), une devise qui s'est retranchée presque à parité avec le dollar américain et des gains de productivité découlant de la chute des coûts d'énergie, je considère que le marché boursier européen offre désormais un potentiel de rendement plus favorable à court et à moyen terme pour les investisseurs.

À l'opposé, quels placements évitez-vous ces temps-ci ?

À l'instar du consensus dans le milieu du placement, je pourrais m'acharner sur le marché obligataire et son faible rendement dans un contexte de taux très faible.

Mais ce que je crains davantage comme chef des placements, c'est le risque croissant d'un repli du marché des actions américaines.

À l'opposé du marché boursier européen, la Bourse américaine suscite de plus en plus parmi les investisseurs un sentiment d'un marché rendu à l'apogée d'un long cycle haussier.

Ce sentiment est aussi alimenté par l'impact appréhendé sur l'économie d'un dollar fort, des profits d'entreprises américains anormalement élevés en proportion de la croissance du PIB et des conditions monétaires moins favorables que les années précédentes.

Qu'est-ce que les marchés sous-estiment le plus actuellement ?

À mon avis, c'est l'impact à long terme de l'endettement public et privé dans la majorité des pays développés et émergents, combiné à l'impact économique et financier du vieillissement de leur population.

C'est un cocktail bouillonnant qui pourrait maintenir encore pour longtemps des pressions baissières sur le rendement des obligations (taux d'intérêt) et du marché boursier, ainsi que sur la croissance dans les principales économies du monde.

À court et à moyen terme, cette situation alimentera la volatilité sur les marchés boursiers et financiers.

Mais à plus long terme, les investisseurs devront s'habituer à des taux d'intérêt qui demeurent sous leur niveau d'avant la crise (de 2008-2009), à des marchés boursiers qui peinent à réaliser des rendements à double chiffre (de 10 % et plus), et le PIB des principales économies qui croît à un rythme très inférieur à la moyenne des 40 dernières années.

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Charles Lefebvre est chef des placements et responsable de la répartition des actifs chez Optimum Gestion de placements. Il est actuaire de formation et détenteur du titre d'analyste financier certifié (CFA). Optimum Gestion de placements est une firme montréalaise d'une trentaine de professionnels qui gère 7,8 milliards en actifs pour une clientèle d'investisseurs institutionnels et privés.