Tout va bien, très bien même. Ils sont heureux, les enfants sont grands. Lise est à la retraite, Michel espère la rejoindre dans trois ans. Mais à 60 ans (et quelques négligeables poussières), il est temps de remettre un peu d'ordre dans la situation financière et juridique du ménage. On néglige, on retarde, et qui sait ce qui peut survenir...

« Auriez-vous l'amabilité de nous renseigner sur l'ordre à suivre et quels types de professionnels nous devrions consulter pour régulariser notre situation financière ? », nous demande Lise.

Elle nous trace un court portrait matrimonial. Lisez lentement.

« Je suis divorcée depuis 27 ans. Mon conjoint n'est pas encore divorcé, malgré que cela fasse plus de 30 ans que nous sommes ensemble... Par contre, il avait obtenu une séparation légale de sa femme [séparation de corps] il y a environ 29 ans. »

Le fils de Lise et Michel achève ses études. De sa première union, Michel a deux enfants, tous deux dans la trentaine.

Lise a dressé la liste des tâches du grand ménage.

- Divorce de Michel à l'amiable

- Quittance sur la maison (hypothèque acquittée en 2011)

- Planification successorale

- Besoins en assurance vie

- Refaire les testaments

- Mandats d'inaptitude

- Planification de retraite pour Michel (d'ici 5 ans)

Quel est l'ordre de priorité ? Qui faut-il consulter ? Qu'est-ce qui peut être reporté ? Quelles démarches peuvent-ils entreprendre eux-mêmes à l'aide de trousses et formulaires pour le public ? « On essaie de faire l'essentiel tout de suite », indique Lise.

L'objectif consiste bien sûr à épargner quelques dollars en frais juridiques.

Mettre la main à l'ouvrage

À vrai dire, Lise a déjà pris quelques initiatives.

Pour enregistrer une quittance sur l'hypothèque, elle a téléchargé pour 23,57 $ le document proposé sur le site du Réseau juridique du Québec, une filiale de Jurismedia.

« Après avoir rempli le document, j'ai eu besoin d'une information de la notaire qui avait fait la première quittance avant le dernier renouvellement. Celle-ci m'a informée qu'il devait y avoir absolument la signature du notaire pour la quittance et qu'elle ne prenait pas les papiers d'un autre, qu'il n'y avait pas que des papiers à signer, mais aussi des recherches afin de voir s'il n'y avait pas d'autres hypothèques existantes... »

Bref : « 500 $ pour ce papier. »

Lise a mis un terme à l'initiative. Jurismedia a remboursé les 23,57 $.

Divorce à l'amiable (plus ou moins)

Elle avait elle-même piloté son divorce à l'amiable en 1988, sans trop de difficulté.

En 2013, elle a voulu aider Michel à faire la même chose en utilisant la Demande conjointe en divorce sur projet d'accord du ministère de la Justice. Ils ont rempli les formulaires, réuni les documents, apporté le dossier pour signature à l'ex-conjointe de Michel. Mais elle habite à 900 km de Montréal. Difficile de régler ces questions à distance : modifications, erreurs, mauvais district judiciaire...

Lise a songé à confier la démarche à Jurismedia, qui offre un service de rédaction de procédures familiales à l'amiable. Le service complet de divorce à l'amiable pour les couples sans enfant à charge ni pension alimentaire coûte 900 $. Mais il y a encore des formulaires à remplir...

« J'ai envoyé une demande de tarif pour divorce à une avocate », dit-elle.

Elle réfléchit toujours.



Portrait


Michel

60 ans et des poussières

Lise

60 ans et des miettes

Hypothèque : acquittée depuis 2011

Aucune quittance

Les faits : 

Michel et Lise vivent ensemble depuis 30 ans.

Ils ont un fils de 25 ans.

Lise est divorcée depuis 27 ans.

Michel est séparé légalement depuis 29 ans.

Michel a deux enfants d'une première union, tous deux dans la trentaine.

Leur objectif : 

Mettre de l'ordre dans leur situation matrimoniale et dépoussiérer leurs testaments.

Solution : ordre et méthode

Pour faire un peu de ménage, nous avons fait appel à la notaire Guylaine Lafleur, du cabinet Bachand Lafleur Groupe conseil.

Elle a mis bon ordre dans les tâches au programme.

Retroussons-nous les manches.

1- Testament olographe

La question de l'urgence relève toujours de la même hypothèse : qu'adviendrait-il si l'un des deux conjoints mourait demain ?

Les testaments de Lise et Michel ne correspondent plus du tout à leur situation. Premier geste : chacun devrait rédiger un testament olographe, en attendant un testament plus définitif, une fois réglé le divorce de Michel.

« Il doit être rédigé de la main du testateur et daté et signé par lui », rappelle Me Lafleur.

2- Mandat en cas d'inaptitude

Le plus souvent, les mandats en prévision d'inaptitude sont rédigés par un notaire en même temps que les testaments.

Dans la mesure où les intentions sont simples - un mandataire à la personne et aux biens, un mandataire remplaçant -, c'est peut-être le document que Lise et Michel pourraient le plus facilement rédiger sans intermédiaire, par exemple avec le formulaire proposé par le Curateur public du Québec.

« Le mandat en cas d'inaptitude pourrait être signé tout de suite parce que ça n'implique pas de négociations avec les autres. Ça se fait quand même relativement rapidement », indique Guylaine Lafleur.

3- Le divorce de Michel 

« Obtenir le divorce du conjoint est assez prioritaire », constate la notaire.

Michel a obtenu un jugement de séparation de corps (couramment appelée séparation légale) il y a près de 30 ans. En soi, ce jugement ne constitue pas une annulation ou une rupture de l'union maritale, mais il peut être pris en considération à divers degrés.

Dans le cas de la RRQ, par exemple, le fait que Michel soit séparé légalement pourrait permettre à Lise de toucher la rente de conjointe survivante s'il décédait.

Par contre, les régimes complémentaires de retraite considéreront généralement que Michel est toujours marié. Si c'est le cas, Lise ne pourrait donc pas toucher la rente de conjointe survivante à titre de conjointe de fait.

« Il faut voir si Michel participe à un régime et vérifier si, du fait qu'un jugement de séparation de corps a été rendu, Lise se qualifie ou non à titre de conjointe dans le régime de monsieur », avise Me Lafleur.

Le divorce de Michel lèverait l'ambiguïté. Pour obtenir ce divorce, le plus facile et le plus sûr est de confier toute la procédure à un avocat, mais le ministère de la Justice propose un petit guide et des formulaires pour les personnes qui désirent préparer et présenter elles-mêmes une « demande conjointe en divorce sur projet d'accord ».

4- Une planification successorale

Une fois le divorce prononcé, un notaire, idéalement doublé de la qualité de planificateur financier, pourra préciser avec Lise et Michel quels sont leurs intentions testamentaires et leurs objectifs successoraux. « Il faut absolument que le divorce soit rendu pour savoir ce qu'il y a à régler », fait valoir Me Lafleur.

Ce sera l'occasion de vérifier si l'assurance vie peut s'inscrire dans la stratégie successorale.

5- Le testament final

Avec ces éléments en main, on pourra rédiger des testaments qui répondront aux besoins actuels de Lise et Michel. Si leurs intentions sont le moindrement complexes, il sera préférable de confier la tâche à un notaire.

Ce sera le cas de la transmission de la propriété, notamment. « Ils veulent peut-être prévoir des choses concernant la maison pour protéger le conjoint, indique Me Lafleur. Après autant d'années, ils ne voudront pas que le conjoint survivant se retrouve à la rue parce que les enfants de l'autre conjoint réclament la moitié de la valeur de la maison et veulent la vendre immédiatement. »

6- Assurance vie

Si la planification successorale s'appuie sur une stratégie d'assurance vie, Michel et Lise consulteront alors un conseiller en sécurité financière. Un exemple : « Si on veut que la valeur de la maison que détient un des conjoints puisse être léguée à ses enfants respectifs, peut-être que le conjoint survivant pourrait contracter une assurance sur la tête de l'autre pour racheter sa part. »

La pertinence d'une telle stratégie dépend bien sûr de l'assurabilité et du coût des primes.

7- Planification de la retraite

La retraite de Michel est prévue dans un délai de trois à cinq ans. Plus il retarde l'évaluation de sa situation, moins il a de temps pour prendre les mesures correctrices qui pourraient être nécessaires. « Un planificateur financier pourra faire des projections de revenus de retraite, rappelle Me Lafleur. S'il y a des choses un peu plus sophistiquées, comme des analyses de régimes de retraite particuliers, il pourra consulter un planificateur qui a une expertise dans les régimes de retraite. »

8- Quittance

La quittance hypothécaire est le document par lequel le prêteur hypothécaire reconnaît qu'il a été remboursé. Il permet de radier la charge de l'hypothèque inscrite pour la propriété au registre foncier. « Ce n'est pas une urgence, souligne Me Lafleur, mais il va falloir le faire. » Tôt ou tard. Au plus tard au moment de la vente de la propriété, dans lequel cas ce sera généralement le notaire de l'acheteur qui se chargera de la quittance.

Bien entendu, les frais seront payés par Lise et Michel. Il sera sans doute préférable qu'ils fassent cette démarche eux-mêmes, avant cette échéance. « Il est peut-être plus facile d'obtenir un meilleur prix pour la quittance quand on a la possibilité de faire affaire avec qui on veut », souligne Me Lafleur.

Et puisqu'on parle de quittance, que se passerait-il si Lise et Michel se quittaient ? Même après 30 ans, une convention de vie commune ne leur serait pas inutile. Comme le rappelle Me Lafleur, c'est un contrat liant deux personnes, alors qu'un testament peut être modifié unilatéralement.

Perspective : plombier juridique

Quelles démarches Lise et Michel peuvent-ils faire eux-mêmes, avec l'aide des formulaires et trousses destinés au grand public ?

Il en va des testaments, mandats et autres quittances comme de la plomberie pratiquée en dilettante : on sait quand on commence à jouer dans les tuyaux, mais on ne sait pas quand on va finir, ni combien de fois il faudra retourner à la quincaillerie.

« Tu fais venir le plombier, et en 40 minutes, c'est fini, constate la notaire Guylaine Lafleur. C'est la même chose pour des testaments et des mandats. Pour être sûr que ce soit bien fait, il faut s'informer. Lise avait acheté une trousse qui ne faisait pas l'affaire, et il a fallu qu'elle se fasse rembourser. »

Divorce à l'amiable

Utiliser le guide du ministère de la Justice pour une « demande conjointe en divorce sur projet d'accord » ?

Le site du Ministère fait lui-même une mise en garde. « Cette procédure de demande paraît simple, et plusieurs seront tentés d'épargner les honoraires d'un conseiller juridique. Mais attention, chaque conjoint doit être en mesure d'évaluer soigneusement toutes les conséquences, tant personnelles que financières, du projet d'accord qu'il signera. Si vous ne connaissez pas bien vos droits et vos obligations, il est préférable d'avoir recours à un conseiller juridique. »

Sur le web >>

Dans la mesure où les ex-conjoints s'entendent et qu'aucune somme ou pension alimentaire n'est à verser, une requête autonome en divorce à l'amiable ne représente pas un risque très élevé, estime Guylaine Lafleur. « Il y a des gens qui sont allumés et débrouillards. Lise a fait son propre divorce à l'amiable elle-même et elle a probablement économisé des sous. Mais combien d'heures a-t-elle investies ? Ça dépend si on a le temps et qu'on est capable d'arriver à un résultat. »

Lise a rencontré plus d'obstacles pour le divorce à l'amiable de Michel, dont l'ex-conjointe habite à grande distance.

Quand Lise a voulu faire appel au service de divorce à l'amiable du Réseau juridique du Québec, elle s'est également heurtée à quelques difficultés pour réunir les renseignements nécessaires. « Je vois mal mon conjoint demander à son ex-femme combien elle gagne par année », dit-elle.

« C'est à l'amiable », fait valoir de son côté l'avocat Marc Gélinas, éditeur du site web Réseau juridique. « Si les gens ne sont pas prêts à fournir la documentation, ça ne marche pas. Généralement, ce sont les ex-conjoints qui font ça ensemble, pas l'ancienne conjointe et la nouvelle. »

Sur le web : Réseau juridique

https://www.avocat.qc.ca/

Mandats et testaments

Le mandat en prévision d'inaptitude est probablement le document le plus susceptible d'être rempli sans l'aide d'un juriste. Le Curateur public du Québec propose d'ailleurs sur son site un guide et un modèle.

Sur le web >> 

« Dans les formulaires sur le marché, je n'ai jamais vu de modèles qui permettaient de nommer un mandataire à la personne et un mandataire aux biens qui soient différents, souligne toutefois Me Lafleur. Il faut que ce soit des situations simples où le même individu est nommé pour la personne et pour les biens. Sinon, on a besoin de conseils. »

Le cas du testament est plus complexe. « La famille de Lise est reconstituée, observe la juriste. Il y a un enfant commun et des enfants d'une première union. Il y a certains défis de rédaction, et on a besoin de conseils pour le faire. »

Quittance

La quittance hypothécaire est un cas spécial. Comme Lise s'en est aperçue avec le formulaire de quittance vendu sur le site du Réseau juridique du Québec, le document doit impérativement passer entre les mains d'un notaire. « On préfère ne pas en vendre, indique Marc Gélinas. Le problème, c'est qu'il faut qu'un notaire le signe. On a un avertissement sur le site : avant de l'acheter, assurez-vous que votre banque puisse le signer. »

Sur le web : https://www.avocat.qc.ca/quittance.htm

Conseils juridiques

Devrait-on utiliser des formulaires préétablis pour rédiger soi-même ses documents juridiques ? Il faut mettre en balance l'effort consenti et les économies réalisées. « Quels sont les risques en le faisant moi-même ?, demande Me Lafleur. Si je me trompe, est-ce que je risque d'avoir des coûts qui m'empêcheront d'atteindre mes objectifs ? »

Selon l'avocate Lisanne Blanchette, d'Option consommateurs, on devrait d'abord vérifier si des trousses gratuites sont offertes et s'assurer que l'information est à jour.

« Si les gens ont des questions, j'irais avec des trousses faites par le Barreau ou Éducaloi, pour s'assurer de la neutralité de l'information, avise-t-elle. Certains sites gouvernementaux vont proposer des trousses d'information. La Fondation du Barreau offre aussi ses guides Seul devant la cour. C'est bien, mais se démêler, parfois, c'est plus difficile. Il faudra peut-être consulter un professionnel quand même. »

Mieux vaut appeler le plombier avant les dégâts.

Sur le web : https://www.educaloi.qc.ca/

https://www.barreau.qc.ca/fr/

Séparation de corps et rentes de retraite

Lise et Michel vivent ensemble depuis 30 ans. Lise a divorcé de son ancien conjoint en 1988.

Michel et son ancienne conjointe, appelons-la Claire, ont obtenu un jugement de séparation de corps - couramment appelé séparation légale - en 1986.

Un beau cas.

Lise toucherait-elle une rente de conjoint survivant si Michel décédait ?

Allons-y, tenez-vous bien.

Voyons d'abord la RRQ.

Si le jugement de séparation de corps a été rendu après 1993, la RRQ considérera l'union comme rompue. L'ex-conjointe séparée ne se qualifierait donc pas pour la rente de conjoint survivant. La nouvelle conjointe de fait pourrait donc y avoir droit.

Si le jugement de séparation a été rendu en 1993 ou plus tôt (ce qui est le cas de Michel), la question se complique. À certaines conditions, Claire, l'ancienne conjointe, pourrait tout de même être admissible à la rente de conjoint survivant. Parmi ces conditions : au moment du décès du cotisant, personne ne vivait maritalement avec lui depuis trois ans ou plus. Or c'est justement le cas de Lise. Lise pourrait donc être admissible à la rente de conjoint survivant.

Subtilité : dans tous ces cas, si Claire et Michel avaient repris leur vie en commun pendant un quelconque moment après le jugement de séparation de corps, ils seraient à nouveau considérés comme mariés.

« Cette situation fait en sorte que fréquemment, faute d'avoir des papiers en règle, ce sont les ex-conjoints d'il y a longtemps plutôt que les conjoints des dernières années qui deviennent les bénéficiaires de la rente de conjoint survivant », souligne Pierre Turgeon, porte-parole de la Régie des rentes du Québec.

Que se passe-t-il avec un régime complémentaire de retraite, un compte de retraite immobilisé ou un fonds de revenu viager ?

Nous résumerons ici les grandes lignes pour les régimes assujettis à la Loi sur les régimes complémentaires de retraite, donc ceux du secteur privé, universitaire ou municipal. Les règles diffèrent pour les régimes administrés par la CARRA ou de compétence fédérale.

Première notion : pour qu'un conjoint de fait soit admissible à la rente de conjoint survivant, le conjoint cotisant au régime ne doit pas être marié.

Deuxième notion : le conjoint séparé légalement n'est pas admissible à la rente de conjoint survivant.

Appliquons-les au cas de Lise, Michel et son ancienne conjointe Claire.

Claire n'a pas droit à la prestation de conjoint survivant parce qu'elle est séparée légalement de Michel.

Mais aux yeux du régime, Lise ne se qualifie pas non plus comme conjointe de fait, puisque Michel est marié.

Cela dit, Lise pourrait tout de même avoir droit à la prestation si Michel l'a désignée bénéficiaire ou s'il l'a prévu dans son testament.