Le sort en est jeté : c'est à partir d'avril que les familles paieront un tarif modulé selon leurs revenus pour envoyer leurs enfants en CPE. Mais les parents visés par la hausse ne verront la facture que dans un an, au moment de faire leur déclaration de revenus 2015.

Pour avoir une idée de la note qui les attend, ils peuvent utiliser le calculateur mis en ligne par le ministère des Finances du Québec.

Mais les familles dont la situation est atypique auront peut-être du mal à déterminer combien ils devront allonger.

C'est le cas de Maude et Manuel, un couple fin trentaine, parents de deux bambins de 16 mois et 2 ans et demi respectivement. Maude, qui a reçu pendant un an des prestations du Régime québécois d'assurance parentale (RQAP), a décidé de retarder son retour au travail. Elle est en congé sans solde et a l'intention d'utiliser l'épargne accumulée dans ses REER pour suppléer à l'absence de revenu de travail.

Quant à Manuel, comme son employeur n'offre pas de régime de retraite, il a investi dans l'immobilier, il y a une dizaine d'années, en achetant un duplex, avec l'idée de s'en servir pour financer ses vieux jours. L'immeuble lui procure déjà des revenus nets d'environ 14 000 $ par année.

Leur question : à quel point l'utilisation de leur épargne REER et les revenus de loyer auront-ils une incidence sur les tarifs qu'ils devront payer pour envoyer leurs enfants en CPE ? Leur aîné fréquente déjà une garderie subventionnée.

« Nous nous demandons quoi faire, puisque nous aurons bientôt deux enfants en CPE et désirons en avoir un troisième bientôt, explique Maude. Comme notre maison est trop petite, nous aurons besoin de déménager ou d'agrandir, ce qui engendrera aussi des frais. »

Pourquoi leurs enfants fréquentent-ils le CPE, alors que Maude est en congé ? demanderont certains. « Nous tenons à envoyer les enfants à la garderie, car pour nous, les CPE sont l'équivalent d'une prématernelle, répond Maude. Nous pourrions peut-être les envoyer dans un groupe multiâge à temps partiel pour diminuer les coûts, mais ce n'est pas certain. » Elle ajoute que l'aînée doit demeurer au CPE l'an prochain pour que les enfants aient une place assurée lors de son retour au travail - en raison de la règle qui donne la priorité pour l'admission aux enfants d'une même famille.

OÙ FAIRE FRUCTIFIER SON ÉPARGNE ?

Parmi ses autres interrogations, le couple se demande où il doit diriger son épargne en priorité ? REER, CELI ou REEE (régime enregistré d'épargne étude) ?

Comme bien des épargnants, Maude et Manuel ne savent pas à qui s'adresser pour obtenir des conseils financiers et sont déçus des services qu'ils obtiennent.

« Notre comptable ne semble pas capable, ni désireux de nous aider avec les questions fiscales, dit Maude. Notre planificatrice financière semble se soucier seulement de nous vendre des REER, sans tenir compte du fait que j'ai déjà un régime de retraite à prestations déterminées... Vraiment, nous avons besoin de gens pour nous aider et ne les trouvons pas. »

Insatisfaite de ses placements sûrs qui rapportent peu, Maude a retiré 35 000 $ d'épargnes qu'elle a prêtés à son mari pour réduire la marge hypothécaire sur le duplex. Elle s'est aussi inscrite au programme de gestion des finances personnelles du collège de Rosemont, dans l'espoir d'y voir plus clair et de prendre les meilleures décisions pour faire fructifier son argent.

Le portrait

Maude, 38 ans, enseignante

Revenu actuel : 33 000 $ (RQAP et congé sans solde)

Revenu d'emploi lors du retour au travail

Temps plein : 76 000 $

Temps partiel :  38 000 $

Manuel, 38 ans, informaticien

Revenu : 78 000 $

Revenus de location : 24 000 $

Deux enfants de 16 mois et deux ans et demi.

MAISON

Valeur : 298 000 $

Entièrement payée

(Déménagement ou agrandissement à prévoir : coût de 100 000 à 200 000 $)

DUPLEX

Valeur : 425 000 $

Hypothèque : 235 000 $ à 2,6 % d'intérêts

Marge hypothécaire : 10 000 $ à 3,6 % d'intérêts

Revenus : 24 000 $

Dépenses : 10 000 $

DETTE

Prêt-auto : 3000 $ à 0 % d'intérêts

REER

Manuel : 115 000 $

Maude : 48 000 $

(Cotise aussi au RREGOP)

REEE : 3150 $

Facture salée : La solution

Les familles ayant des revenus plus élevés paieront plus cher pour envoyer leurs enfants dans des Centres de la petite enfance (CPE), peu importe la source de ces revenus. Ça signifie que la facture de Maude et Manuel tiendra compte des revenus de loyer ainsi que des fonds retirés de leurs REER pendant le congé sans solde de Maude. Pas moyen de faire autrement.

Cette facture sera plus salée, c'est certain. De combien ?

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Voici un résumé de l'impact de la hausse des tarifs de garde dans leur cas.

FACTURE DE CPE POUR DEUX ENFANTS : 

Coût actuel, à 7 $/jour : 3640 $/année

Après la hausse : 

Si seul le revenu d'emploi de Manuel est pris en compte (78 000 $) : 4300 $/an

Avec les revenus de loyer (14 000 $) : 5400 $/an

Avec 25 000 $ de retrait des REER de Maude : 5700 $/an

Lors du retour au travail à temps plein de Maude : 8490 $/an

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Manuel a choisi d'investir dans l'immobilier en prévision de sa retraite. Les revenus nets de 14 000 $ qu'il touche chaque année grâce à son immeuble lui coûteront 1100 $ de plus par année en frais de garde. Est-ce à dire qu'il aurait été préférable qu'il favorise plutôt l'investissement dans ses REER ?

« Normalement, ça prendrait de très gros rendements sur les placements pour obtenir la même rentabilité. »

Avec les sommes que Maude planifie retirer de ses REER, la hausse des tarifs signifie que la famille paiera 2000 $ de plus par année pour envoyer ses deux enfants en CPE.

Le jour où elle sera au travail à temps plein, la facture annuelle sera de 8490 $, soit 4850 $ de plus qu'avec les tarifs actuels. Une différence non négligeable.

Le couple devra s'assurer de planifier cet important paiement. En effet, le nouveau tarif de base - 7,30 $ par jour par enfant - sera payable directement au service de garde subventionné, alors que la somme supplémentaire à payer selon le revenu familial sera versée à même la déclaration de revenus. Dans leur cas, selon le scénario d'un retour au travail à temps plein de Maude avec deux enfants en CPE, la facture sera de 4700 $.

Un des problèmes rencontrés avec le calculateur des tarifs de garde, c'est qu'il ne permet pas de faire la simulation si on n'a aucun revenu, et que notre conjoint est le seul soutien de la famille - ce qui sera le cas de Maude si elle décide de ne pas toucher à ses REER pendant son congé sans solde. Est-ce parce que le ministère des Finances estime qu'une personne sans revenu n'enverra pas ses enfants en CPE ? On permet pourtant de mettre à zéro le revenu du conjoint.

Épargne-étude: pour les études, et pour les subventions

Où investir leur épargne pour qu'elle rapporte le plus ? REER, CELI ou REEE ? C'est l'une des questions que se posent Maude et Manuel.

« Généralement, pour les parents, c'est le REEE qui l'emporte, grâce aux subventions gouvernementales pour l'épargne étude, qui sont supérieures aux économies d'impôt que l'on réalise en cotisant au REER », explique Dany Provost.

En effet, pour une cotisation de 2500 $ par année au REEE de leur enfant, les parents reçoivent une subvention maximale de 750 $ des gouvernements du Canada et du Québec, soit 30 % de leur effort. Ils accumulent donc 3250 $ dès la première année. Si la même somme est investie chaque année pour obtenir le maximum de subventions gouvernementales (soit 10 800 $ par enfant à vie), la somme accumulée sera généralement supérieure aux bénéfices d'un REER.

Comparaison sur 15 ans, pour Maude et Manuel, pour un investissement initial de 5000 $.

Revenu actuel : 111 000 $ (en congé parental)

Revenu à la retraite : 108 000 $ (70 % de leur revenu d'emploi)

Selon les calculs de Dany Provost, le REEE rapporte plus que le REER, même si l'on tient compte du rendement qui s'accumulerait sur la somme initiale jusqu'à la retraite du couple, en 2042. « S'ils n'ont pas de REEE, ils devront trouver ailleurs dans leur budget les sommes nécessaires pour les études postsecondaires de leurs enfants, explique le spécialiste. On pourrait penser que, à cause de ces dépenses, ils auront moins d'argent disponible pour investir dans les REER. Quand on regarde des questions de finances personnelles, il faut toujours se demander à quoi on renonce lorsqu'on fait un choix. Tout est lié. »

Infographie La Presse