Pas facile de reprendre le contrôle de ses finances personnelles. Pas facile, non plus, de trouver de bons conseils en cas de problèmes financiers, ou simplement quand on cherche à mieux gérer son argent. À qui peut-on réellement faire confiance? Les conseillers financiers travaillent-ils vraiment dans notre intérêt supérieur?

Pénible sortie du gouffre financier

En septembre dernier, trois familles aux prises avec des ennuis d'argent acceptaient courageusement de raconter aux lecteurs leurs démarches pour sortir leurs finances du rouge. Trois mois plus tard, l'une d'entre elles s'est retirée du projet, mais les deux autres ont repris le contrôle de leur situation financière, avec l'aide de spécialistes, et ont un plan pour en finir avec l'endettement. La tâche n'est pas facile, mais une saison plus tard, leur portrait financier s'est déjà grandement amélioré.

Karine et Rémi : quelques années pour sortir du rouge

Karine, 36 ans, travailleuse sociale

57 000 $/année

Rémi, 38 ans, technicien en informatique

48 000 $/année

Deux enfants de 4 et 8 ans

Dettes : Hypothèque : 185 540 $ (sur une maison de 270 000 $) Marge de crédit hypothécaire : 22 000 $ Marge de crédit personnelle Rémi : 5000 $ Prêt auto : 20 540 $ Prêt étudiant Karine : 7740 $ Prêt étudiant Rémi : 560 $ Prêt pour meubles : 460 $ Total : 241 840 $

Le couple a mis l'une de ses deux voitures en vente, espérant en obtenir 7000 $. Ce montant permettra de rembourser la marge de crédit de Rémi, de payer les meubles et le prêt étudiant de Rémi, tout en réduisant les dépenses de transport. Ensuite, grâce à d'autres ponctions dans le budget, ils pourront consacrer de 250 à 300 $ par mois au paiement des autres dettes.

Objectif pour le remboursement de la marge de crédit hypothécaire : 2023.

Autres dépenses réduites : -Ligne téléphonique résidentielle : 35 $/mois-Restaurant, vêtements, vacances : environ 150 $/mois

Professionnels consultés :

-Conseillère budgétaire de l'ACEF de la Rive-Sud de Montréal

-Coach budgétaire

-Planificateur financier

Meilleures leçons retenues de l'expérience : « Ne pas dépenser plus que ce que nous avons, ce qui semble évident et si simple, mais que nous avons malheureusement oublié dans les dernières années. »

« Avoir des objectifs à court, moyen et long terme, ce qui nous permet d'y aller par étapes, de prioriser, de faire face à notre problème d'endettement et de faire les changements nécessaires sans se décourager ! »

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Marie-Ève : sur la voie de l'indépendance

Marie-Ève Rousseau, 33 ans, formatrice en technologies de l'information, en couple, mère d'un garçon de 9 mois

Revenu personnel : 60 000 $ par année (actuellement en congé de maternité : 40 000 $ par année). Revenu du conjoint : 65 000 $ par année. Le couple gère ses finances séparément.

Dettes de Marie-Ève : Carte de crédit : 7800 $ Emprunt pour meubles : 1220 $ Emprunt à des proches : 9500 $ Prêt auto : 14 800 $ Total : 33 320 $

Depuis trois mois, Marie-Ève a réduit de 600 $ le solde sur sa carte de crédit et remboursé 500 $ à ses proches.

Elle a réduit ses dépenses d'environ 400 $ par mois. Après son retour au travail, en janvier, elle estime qu'elle sera en mesure de consacrer 800 $ par mois au remboursement de ses autres dettes.

Objectif pour le remboursement des dettes (sauf prêt-auto) : mars 2017

Professionnels consultés :

-Conseillère budgétaire de l'ACEF de Lanaudière

-Notaire

-Coach financière

Meilleure leçon retenue de l'expérience : « Il faut démystifier les chiffres et y mettre de l'ordre. La rencontre avec l'ACEF m'a beaucoup aidée à y arriver et à trouver des informations plus difficiles à obtenir et auxquelles je n'aurais pas pensé. »

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Votre conseiller financier vous conseille-t-il vraiment?

« Quand on a rencontré notre conseiller financier à la banque, on s'attendait à recevoir des conseils adaptés à notre situation. Mais finalement, il n'était pas là vraiment pour nous conseiller, puisqu'il nous a octroyé un prêt qui dépassait notre capacité de paiement. »

Voilà le constat de Martine qui, avec son conjoint François*, se retrouve étranglée financièrement en raison d'une hypothèque trop élevée et d'autres dettes accumulées.

En plus de la banque, Martine et François ont consulté une conseillère d'une firme de placements, recommandée par une connaissance. « Elle nous a fait déménager nos placements vers sa firme et nous a dit qu'on devait prendre plus de REER. Alors qu'on n'arrive pas à rembourser nos cartes et marges de crédit », déplore François.

Bien des consommateurs font le même constat : le titre de conseiller financier est trompeur. « Les consommateurs pensent qu'ils vont obtenir des conseils, alors que c'est surtout de la vente », souligne Robert Pouliot, membre du conseil de FAIR Canada, un organisme de défense des épargnants, et chercheur au Groupe international de recherche en éthique financière et fiduciaire (GIREF) de l'UQAM.

Bien sûr, on pourrait répondre que c'est à chacun de voir à sa propre santé financière. Mais ce n'est pas si simple. « Un nombre considérable de consommateurs n'ont pas un niveau de littératie financière suffisant pour prendre des décisions financières éclairées », souligne un rapport sur l'accessibilité aux conseils financiers préparé l'année dernière par l'Union des consommateurs. « Des professionnels doivent être disponibles pour les aider, en examinant l'ensemble de leur situation financière, de façon indépendante et désintéressée, à un coût approprié à leur budget. »

Mais malheureusement, ce n'est pas ce qui se passe. Les consommateurs, surtout s'ils ont des revenus modestes, ne savent pas à qui faire confiance, connaissent mal les services financiers et les professionnels du domaine, et obtiennent des conseils à la pièce, lorsqu'un besoin spécifique se présente : achat d'une propriété, emprunt, retraite, etc. Pourtant, une vision d'ensemble est indispensable pour prendre les meilleures décisions.

*Les noms ont été changés pour préserver l'anonymat.

Lisez le rapport de l'Union des consommateurs sur l'accès aux services financiers >>

Des écueils qui nous empêchent d'y voir clair

Vous cherchez les meilleurs conseils avant d'emprunter ? Ou alors vous voulez faire fructifier votre argent ? Mieux vaut vous renseigner consciencieusement avant de consulter des professionnels. Parce que leurs intérêts ne sont peut-être pas les mêmes que les vôtres.

Voici quelques raisons qui pourraient vous empêcher d'obtenir les meilleurs conseils financiers :

-Des titres trompeurs

Conseiller en placement, conseiller en sécurité financière, conseiller en finances personnelles, conseiller en gestion des avoirs... On s'attendrait à ce que ces professionnels aient pour tâche principale de prodiguer des conseils. Or, ils vendent tous des produits. « Ça confond les consommateurs », souligne Cinthia Duclos, professeure à la faculté de droit de l'Université Laval et membre du Groupe de recherche en droit des services financiers. « Par exemple, les gens pensent qu'un conseiller en sécurité financière va regarder l'ensemble de leur situation, alors que son rôle est de vendre de l'assurance. »

-Confusion dans les titres, les services et l'encadrement

Courtier en placement, représentant en épargne collective, planificateur financier, gestionnaire de portefeuille... Rares sont les consommateurs qui connaissent les différences entre ces différents titres. « Sont-ils indépendants ou non, quels services offrent-ils, quels produits vendent-ils, qui surveille leur travail et vers qui on peut se tourner en cas de problème ? Ça varie pour chacun, explique Cinthia Duclos. Parfois, une même personne cumule plusieurs titres, on en perd notre latin ! »

« Il existe tellement de chapeaux et de règlements, pas toujours complémentaires, souligne Philippe Viel, porte-parole de l'Union des consommateurs. Il faudrait mettre de l'ordre dans tout ça et avoir un seul endroit où se tourner en cas de problème. »

-L'intérêt du client passe-t-il avant tout ?

Les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) ont proposé d'introduire pour les conseillers et courtiers un « devoir légal d'agir au mieux des intérêts de leurs clients », ce qu'on appelle aussi le « devoir fiduciaire ». Mais à la suite de consultations menées en 2013, au cours desquelles le milieu financier a manifesté son opposition à ce projet, l'initiative n'a toujours pas connu de suites.

« Avec ces changements, les conseillers auraient l'obligation de favoriser l'intérêt des clients avant le leur, explique Robert Pouliot. Ils devraient trouver le meilleur produit, au meilleur prix, le plus adéquat pour chaque client. »

Au Québec, le Code civil prévoit déjà une obligation à cet égard. « Mais qui va engager des frais pour poursuivre son conseiller devant les tribunaux parce qu'il l'a mal conseillé ? », demande M. Pouliot.

En principe, plus on a affaire à une personne vulnérable, qui a peu de connaissances financières, plus le conseiller financier doit faire preuve de loyauté et de diligence pour bien le conseiller, précise Cinthia Duclos.

-Les incitatifs à la vente pour les conseillers financiers

Les bonis, les objectifs à atteindre, les commissions et autres cadeaux utilisés pour mousser les ventes dans l'industrie des services financiers peuvent placer les conseillers en conflit d'intérêts, surtout si ces méthodes de rémunération ou d'encouragement ne sont pas divulguées aux clients.

Les ACVM remettent aussi en question certaines commissions versées aux courtiers - les commissions de suivi, celles qui sont versées chaque année au représentant qui vous a vendu des fonds communs de placement.

Mais il faudrait aussi s'intéresser aux incitatifs offerts aux conseillers pour l'octroi de prêts. « C'est clair qu'il y a des abus. Des conseillers peuvent proposer aux clients des prêts qui ne sont peut-être pas adéquats pour eux, parce que leur rémunération est basée sur une cible à atteindre, souligne Robert Pouliot. Quand on me propose d'emprunter pour investir dans mon REER, c'est un conflit d'intérêts direct. »

-L'absence de mesures pour responsabiliser les prêteurs

Un projet de loi visant à lutter contre le surendettement des consommateurs, qui prévoyait notamment des mesures pour responsabiliser les prêteurs quant aux prêts octroyés, est toujours sur la glace à Québec, après avoir fait l'objet de nombreux travaux et consultations.

« Actuellement, c'est strictement la responsabilité du consommateur s'il ne réussit pas à rembourser son prêt, souligne Philippe Viel. Mais quand on demande un prêt de 5000 $, l'institution financière vous offre 20 000 $. Elle a évidemment intérêt à prêter un montant plus élevé, pour faire plus de profits. »

L'encadrement et la formation des conseillers qui offrent des prêts hypothécaires sont aussi très variables, ajoute Cinthia Duclos.

-Le manque de vision d'ensemble de la situation financière des consommateurs

Pour déterminer combien elle pourra vous prêter pour acheter une maison, votre institution financière vous demandera vos revenus, le solde de vos dettes et vos frais de logement. Mais rien sur vos dépenses et autres obligations financières, par exemple la nécessité d'épargner pour votre retraite, surtout si vous n'avez pas de régime de retraite au travail.

« Les consommateurs se font souvent offrir des prêts qui ne conviennent pas à leur situation, dit Philippe Viel. Comme ils manquent souvent de connaissances financières et ont besoin d'argent, si on leur propose un montant plus élevé, c'est tentant d'accepter. »

L'octroi de prêts et le domaine du placement ne sont pas réglementés de la même façon. « Mais dans une institution financière, la personne qui vous conseille pour vos REER à la fin de l'année peut être la même qui vous octroie une hypothèque, ce qui confond les consommateurs, note Cinthia Duclos. Un contrat de prêt, c'est une relation commerciale, alors que les conseils de placement, c'est une relation professionnelle. » Normalement, une personne qui veut nous vendre un produit n'a pas à tenir compte de nos besoins et intérêts. « S'il s'agit de produits financiers, je m'attends toutefois à ce qu'on prenne mes intérêts en considération, ajoute Mme Duclos. Ce n'est pas toujours le cas lors de l'obtention d'un prêt. »

-Le manque de connaissances financières

« Une hypothèque est sans doute la plus importante décision financière de votre vie, c'est important de bien s'informer, souligne Philippe Viel. Le consommateur bien informé sera en meilleure position pour bien négocier ses produits financiers et comprendre ce qu'on lui offre. »

De nombreuses personnes déplorent que le cours d'éducation économique, qui était offert au secondaire, soit disparu du programme scolaire en 2009. Il pourrait faire un retour en septembre 2015, mais comme cours optionnel seulement.

-L'accès difficile à des conseillers indépendants

Les planificateurs financiers sont les professionnels les mieux placés pour analyser l'ensemble de la situation financière d'un consommateur. Mais peu d'entre eux travaillent de façon indépendante. « La majorité gagne sa vie avec la distribution de produits financiers », dit Nathalie Bachand, présidente du conseil de l'Institut québécois de planification financière (IQPF). « Ce qui ne veut pas dire qu'ils ne donnent pas de bons conseils. »

Mais leurs services sont souvent réservés à une clientèle qui a des sommes substantielles à investir. Alors que leurs conseils seraient bénéfiques pour tous les ménages. « Je rêve que tous les consommateurs puissent avoir leur planificateur financier », lance Mme Bachand.

Robert Pouliot est du même avis. « Ça prendrait pour tous des médecins du patrimoine, comme on a des médecins de famille, dit-il. Ces conseils financiers devraient être donnés de façon indépendante, sans qu'il y ait de produits vendus. » Selon lui, les employeurs ou les régimes de retraite d'entreprises pourraient décider d'offrir de tels services.

Actuellement, seule une minorité de ménages obtient un portrait d'ensemble de sa situation financière. « Quand on nous appelle le 27 février pour un REER, c'est certain qu'on n'a pas le temps de faire un portrait financier ! », déplore Nathalie Bachand.

Accédez au site de l'Autorité des marchés financiers (AMF) pour savoir qui fait quoi en matière de services financiers >>