L'indépendance financière... Comment la voient-ils, y parviendront-ils, la vivent-ils ? Quatre témoignages, quatre âges, quatre visions. Aujourd'hui : Christine Renaud, 34 ans.

La retraite ? Christine Renaud n'y pense pas. Et elle n'a pas non plus l'intention d'y penser. « Je ne vois pas l'indépendance financière comme une dernière retraite, exprime la présidente et fondatrice de E-180. Pas du tout. Pour moi, je vais travailler jusqu'à ma mort. »

Non par obligation, mais par plaisir et passion.

Car la femme de 34 ans veut vivre sa liberté financière dès maintenant. À sa manière. « Je n'ai pas du tout cette vision linéaire de la vie : on travaille, on arrête de travailler, puis on a du plaisir. »

Enseignante de formation, elle a fondé E-180 en 2011, à 31 ans. La petite entreprise, qui compte maintenant une dizaine d'employés, offre aux membres inscrits sur son site internet de se jumeler pour un partage de connaissances, le temps de déguster un café. Cet échange n'est pas nécessairement réciproque : on peut apprendre lors d'une rencontre et enseigner lors d'une autre. Tout cela sans frais. Les revenus proviennent d'organismes et d'entreprises qui veulent créer des espaces privés de jumelage de connaissances.

La présidente de E-180 promeut une nouvelle vision de l'apprentissage, basée sur la communauté et la perméabilité du savoir.

En somme, elle veut changer un tant soit peu le monde, à tout le moins celui de l'éducation.

« Pour moi, c'est ça, l'indépendance financière : être en mesure de travailler au jour le jour sur ce qui me tient vraiment à coeur, et sans avoir nécessairement à prendre en considération les revenus et les besoins quotidiens. »

Pour tendre à cette liberté, pour ne pas se mettre d'entraves, elle a refusé de faire appel au capital de risque, la source de financement privilégiée par les technos bourgeonnantes. « C'était dans le but de conserver une certaine indépendance, pas seulement financière, mais aussi au niveau de nos valeurs et de nos missions. »

Elle a plutôt contracté des prêts personnels et a soutenu son entreprise naissante avec ses revenus de travailleuse autonome.

La liberté de choisir est aussi celle de renoncer. Son refus du capital de risque a peut-être ralenti la croissance de l'entreprise. Elle reconnaît également ne pas toucher pour l'instant le salaire qu'elle gagnerait comme employée dans un autre secteur.

« Je n'ai pas un REER très étoffé, je ne possède pas d'immeuble, j'ai quelques économies, mais peu, parce que mon salaire ne me permet pas de mettre beaucoup d'argent de côté en ce moment », confie-t-elle.

« Mais les récompenses futures peuvent être beaucoup plus grandes au niveau de mon actif que si j'étais employée. Par contre, il y a aussi le risque que je perde tout, que je fasse faillite. »

Cette perspective lui est apparue beaucoup plus concrète il y a un an.

Atteint d'un cancer au cerveau, son conjoint a dû cesser de travailler pendant les traitements de chimiothérapie. Il a fallu vivre avec les seuls revenus de Christine. « Avec mon petit 30 000 $ par année, j'ai pensé à laisser tomber E-180 parce que je ne voyais pas comment je pourrais faire vivre deux personnes avec un salaire minime, confie-t-elle. C'est à ce moment-là que je me suis aperçue que notre vie financière personnelle a un impact direct sur la santé de notre entreprise. »

Elle a alors décidé d'augmenter les salaires.

Puis, le nuage est passé : son conjoint est en rémission complète.

Faire du bien

« Rien ne me prédisposait à être entrepreneure, affirme Christine Renaud. J'étais enseignante. »

Ne la croyez pas. Elle enseignait pour ouvrir ses élèves au monde, mais elle avait aussi l'âme entrepreneuriale. Ce n'est pas antinomique. Elle pétille d'enthousiasme, bouillonne d'énergie.

Pour elle, le succès d'une vie de travail se mesure davantage à l'impact dans son milieu qu'au poids de ses placements. « L'indépendance financière, dit-elle, ce n'est pas juste sur le plan personnel, mais aussi sur le plan de mes ambitions sociétales. » C'est également une liberté ponctuelle, celle de pouvoir prendre une pause, réfléchir, bâtir le prochain projet pendant quelques mois, sans crainte de manquer de revenus.

Elle souhaite « ne pas devoir toujours dépendre de financiers externes, mais être moi-même financièrement autonome pour financer des grands rêves que j'aurais. » Parmi ceux-ci, celui d'ouvrir une école « radicalement alternative ».

« Avoir mon propre terrain de jeu avec mes propres ressources pour financer cette exploration, c'est ça, l'indépendance financière pour une entrepreneure comme moi. »

Vie de famille

- Vous n'avez pas d'enfant ?

Elle hésite. « Pas encore. Ça s'en vient. »

- Vous en attendez un ?

« Quand paraît l'article ? relance-t-elle en riant. Oui, je suis enceinte, mais ce n'est pas tout le monde qui le sait. »

Son conjoint est musicien. « On est deux à ne pas se sentir à l'aise dans les boîtes, dans les carcans. On a un mode de vie très simple pour que toutes les ressources soient investies. »

Le couple n'a pas de voiture et habite un logement loué. « Si on achète, ce sera une maison à revenu. » Car une hypothèque ne doit pas être une prison.

Un silence, un regard fixe. Elle réfléchit. « La liberté ? C'est sûr qu'il y a cette idée de voyage, de départ... »

Elle aimerait faire un tour du monde avec sa famille. Pas à 55 ans. Dans sept ou huit ans, peut-être. Mais elle reconnaît aussitôt que les voyages, « pour moi, ça ne dure qu'un temps ». Elle sent vite l'appel du travail, comme lors de ces vacances de 15 jours qu'elle a récemment passées en Jamaïque avec son conjoint. Durant la seconde semaine, elle a consacré plusieurs heures à améliorer le site web de l'hôtel, malgré les protestations amusées de son amoureux. « Les gens de l'hôtel sont tellement gentils, si je peux les aider, juste avec une petite stratégie bien simple... »

Donner un peu de soi : elle s'accorde cette liberté.