À quoi bon ne se plaindre qu'à ses amis d'un achat décevant ? Aussi bien étaler ses doléances sur internet, croient un nombre grandissant de consommateurs. Parfois pour obtenir réparation, parfois pour rendre service aux autres. Quoi qu'il en soit, inutile de s'en priver : les détaillants, loin de craindre les avis négatifs, encouragent cet exercice démocratique qui leur permet de s'améliorer.

Du négatif... constructif !

Avez-vous déjà lu les commentaires publiés sur Amazon.com au sujet des jujubes sans sucre Haribo ? Les charmants petits oursons ont bon goût, mais ils causent des problèmes intestinaux impossibles à résumer ici. Sans exagérer, on pourrait facilement passer une soirée entière à dévorer les 770 récits publiés, comme l'ont fait des dizaines de milliers de personnes.

Nul ne sait si tous les avis - abondamment médiatisés - sont véridiques. Peu importe. À leur lecture, on ne peut s'empêcher de se demander comment réagissent les dirigeants de Haribo.

Chez Costco, les évaluations sont toujours prises très au sérieux, insiste le vice-président au commerce électronique, Graham Hillier. « Premièrement, nous nous assurons que le commentaire est valide, que la personne a véritablement acheté le produit. Ensuite, nous nous assurons que la sécurité n'est pas en jeu. Si tel est le cas, nous retirons immédiatement le produit du site et nous prenons rendez-vous avec notre fournisseur. »

Costco.ca reçoit 100 000 commentaires par année depuis sa mise en ligne, il y a 8 ans. Le détaillant refuse de préciser la proportion d'évaluations négatives reçues mais affirme que la « très grande majorité » est favorable.

Canadian Tire utilise aussi les commentaires négatifs à bon escient, dit Jean Parisien, vice-président pour le Québec. « Les produits qui ont toujours de faibles évaluations sont soit retirés de nos étagères, soit améliorés après consultation avec nos fournisseurs. » Dans certains cas, les internautes ont provoqué la création de produits. « Nos clients nous disent souvent qu'il est difficile et long de suspendre les guirlandes de lumières de Noël. Sur la base de ces commentaires, nous avons travaillé avec notre fournisseur NOMA pour créer une innovation - NOMA Quick-Clip - qui a facilité le processus et réduit de moitié le temps d'installation. »

Source d'information

Même si certains détaillants trouvent qu'il est risqué de permettre à leurs clients de s'exprimer librement, cela est essentiel, croit Rick Newman, directeur de l'expérience web chez Walmart. « Si un client n'aime pas un produit, il faut se réjouir comme détaillant d'avoir accès à cette information. Cela nous permet de savoir ce que les gens recherchent et nous donne une chance d'y réagir. » Le détaillant transmet à ses fournisseurs « régulièrement », voire en temps réel, les commentaires et les questions reçus sur son site.

« Dans certains cas, les commentaires sont très précieux, ils nous permettent d'apprendre des choses qu'on ne soupçonnait pas. Ça a été le cas avec un téléviseur. Un acheteur nous a dit que le contrôle parental ne fonctionnait pas en français, qu'il devait mettre sa télé en anglais. Le fournisseur a trouvé l'erreur et a corrigé le problème », raconte Thierry Lopez, directeur du marketing de Future Shop. Il précise que 75 % des commentaires reçus sont positifs.

« Une plainte, c'est l'occasion de comprendre un client et de le récupérer dans la mesure où on lui répond bien et qu'on résout le problème », résume Yany Grégoire, professeur de marketing à HEC Montréal.

Règles de censure 

Même si Future Shop dit apprécier les commentaires de ses clients, il exerce néanmoins un certain contrôle sur ce qui est mis en ligne. Le géant de l'électronique se réserve en effet « le droit d'utiliser, de modifier, de publier, de traduire ou d'afficher les évaluations dans le monde entier sous n'importe quel support médiatique ».

Jusqu'où va-t-on dans les modifications ? « On veut que les commentaires soient intemporels pour qu'ils puissent rester longtemps sur notre site. Donc, on enlève toute référence au prix. On enlève ce qui n'a pas de valeur pour les lecteurs, comme les «OMG !», mais on va laisser un «Super produit». De plus, on l'enlève rien qui soit négatif », répond Thierry Lopez. Le traitement des messages prend deux ou trois jours.

Walmart jure qu'il publie lui aussi tous les avis défavorables, car le but est « d'aider les consommateurs à faire des choix ». « Si ça dissuade certains mauvais achats, c'est parfait », dit Rick Newman. Seuls les internautes qui écrivent des commentaires « non pertinents ou contenant un langage inapproprié » sont censurés.

*

Rona ne permet pas à ses clients d'évaluer en ligne ses produits. Et ce n'est pas parce que le détaillant n'est pas prêt technologiquement ou qu'il n'en a pas les moyens. C'est un choix. « On a sondé ceux qui viennent sur notre site et ils ne veulent pas de commentaires, ils préfèrent des conseils d'experts, des plans » explique Claire Bara, vice-présidente marketing de Rona. Autre raison : chaque projet de rénovation est différent. Ce qui a bien fonctionné pour votre voisin pourrait ne pas vous convenir. « Aussi, dans notre secteur d'activité, ça peut avoir des conséquences. Si on n'achète pas le bon livre, ce n'est pas grave. Mais si c'est une scie, qu'une personne l'utilise sur un autre matériau et qu'elle se blesse... »

-------------------------------

Populaires et efficaces

53 %

Si vous racontez sur les médias sociaux une expérience vécue avec un commerçant, un peu plus de la moitié de vos « amis » vous liront et 22 % partageront votre publication. (1)

« Les consommateurs ont de plus en plus de pouvoir sur les entreprises. Ils aiment ça et ils s'en servent »

 - Yany Grégoire, professeur de marketing à HEC Montréal.

45 %

Vos commentaires élogieux ont de l'impact. Près de la moitié des Canadiens ont déjà acheté un produit parce qu'un ami en avait vanté les mérites sur internet. A contrario, 60 % ont déjà renoncé à un achat en raison des avis négatifs trouvés en ligne. (1)

Les commentaires ne visent plus seulement les produits électroniques. Sur walmart.ca, les internautes donnent leur avis sur tout, même les sachets de levure Fleischmann's à 1,68 $ (une évaluation en anglais, 5 étoiles) et la farine Robin Hood Nutri sans gluten (un commentaire en anglais, une seule étoile en raison de « son goût et de son arrière-goût terrible »).

90 %

Neuf Français sur 10 utilisent les commentaires d'internautes avant d'acheter (2). Et presque tous les résidants de l'Hexagone (93 %) ont déjà renoncé à un achat après avoir lu un avis négatif. En revanche, 95 % ont acheté un produit après avoir lu un avis positif (2)

« Si une entreprise ne répond pas aux plaintes publiées en ligne, c'est très mal vu. Elle ne doit pas seulement satisfaire le plaignant, mais tous les consommateurs, car ils l'ont à l'oeil. »

 - Yany Grégoire, professeur de marketing à HEC Montréal.

2e

Après les recommandations des amis et de la famille, les avis publiés sur internet sont considérés comme la source d'information la plus fiable. Pas moins de 70 % des consommateurs se fient aux commentaires, un bond de 15 % en quatre ans. En comparaison, les publicités à la télé obtiennent un taux de confiance de 47 %, dans les journaux, de 46 % et sur les médias sociaux, de 36 %. (3)

(1) Selon deux études réalisées par Léger Marketing en 2013 auprès de quelque 1500 internautes

(2) Selon une étude réalisée en novembre 2013 par Orange Lab et Médiatrie, en France, auprès de 2600 internautes âgés de 15 ans et plus.

(3) Selon une étude réalisée par Nielsen auprès de 28 000 internautes dans 56 pays (en 2012).

---------------------------

Peut-on se fier aux avis en ligne?

« Cet hôtel est charmant, son personnel attentionné. » « Sans doute la meilleure pizza en ville ! » « Après quelques mois, la réception satellite de ce GPS a cessé de fonctionner et l'entreprise n'a pas de service à la clientèle en français au Canada. »

Êtes-vous certain que les commentaires que vous lisez sur le web sont véridiques ? Et si les critiques avaient été écrites par des concurrents sans scrupules ? Et les éloges rédigés par l'entreprise elle-même ?

Au Canada, le Bureau de la concurrence refuse de dire s'il a déjà reçu une plainte concernant de faux avis sur le web. Mais il confirme qu'aucune entreprise n'a jusqu'ici été prise à publier de faux commentaires.

Au Québec, les avis d'internautes ne sont pas régis par l'Office de la protection du consommateur (OPC). En revanche, un commerçant ne peut faire d'affirmation fausse ou trompeuse à un consommateur, selon article 219 de la Loi sur la protection du consommateur. Cet article pourrait donc être utilisé contre une entreprise malhonnête. Mais jusqu'ici personne ne s'est fait prendre.

Sites certifiés fiables

En France, la multiplication des faux commentaires a été jugée assez inquiétante pour que la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) lance une grande enquête sur le sujet en 2011.

Un an plus tard, le journal français Rue 89 a révélé qu'il était très simple de trouver des agences de communication prêtes à rédiger de faux avis sur des restaurants ou des hôtels. Des 10 entreprises appelées à soumissionner, trois l'ont fait, même si la pratique est illégale. Les tarifs proposés variaient de 2000 à 2500 € (de 3000 à 3800 $ CA) pour 1000 commentaires « de qualité ». « Les gens qui rédigent les faux avis sont les mêmes que ceux qui écrivent les communiqués de presse », avait affirmé un responsable du cabinet parisien de relations publiques Protection Reputation.

Pour améliorer la crédibilité des sites qui publient des avis, une nouvelle certification a été créée par l'AFNOR (Association française de normalisation). Comparable à une certification de type ISO, le label NF Z74-501 donne l'assurance aux internautes qu'un site publie de véritables avis de consommateurs et respecte diverses règles. Jusqu'ici, une centaine d'entreprises l'ont acheté, dont l'agence de voyages Nomades Aventures. « Nous publions immédiatement sur notre site web ces notes et commentaires, sans tripatouillage quelconque, sans y mêler d'avis bidon, sans censure à notre avantage ! Bref, du 100 % authentique ! », peut-on lire sur son site.

Une rencontre aura lieu l'automne prochain en Europe pour établir une nouvelle norme internationale basée sur ce qui se fait en France. Elle doit être prête en 2018, indique le porte-parole de l'AFNOR, Olivier Gibert.

---------------------------

Toute vérité n'est pas bonne à dire

Un client de l'Hôtel Québec a écrit l'an dernier sur TripAdvisor qu'il avait trouvé des punaises dans son lit. L'hôtelier a répliqué en le poursuivant pour 95 000 $. Les consommateurs devraient-ils avoir peur de rédiger des avis négatifs ? Jusqu'où peuvent-ils aller ? Et quels sont les droits des commerçants ? Nous en avons discuté avec Luc Thibaudeau, avocat spécialisé en commerce de détail et en droit de la consommation chez Lavery.

Les commentaires écrits sur le web sont-ils régis par une quelconque loi?

Si un commentaire est offensant, il peut contrevenir au Code civil. La diffamation est une faute de responsabilité contractuelle, c'est-à-dire que même s'il n'y a pas de contrat entre les parties, tout le monde est tenu de respecter un certain code de conduite. Il faut se comporter en personne diligente et raisonnable. Par ailleurs, la Charte des droits et libertés garantit le droit à la libre expression. Les droits de l'un s'arrêtent là où ceux de l'autre commencent, alors les deux s'affrontent.

En tant que consommateur, jusqu'où peut-on aller dans ses commentaires?

Il y a la défense de commentaire loyal, de vérité : « Oui, mais dans mon commentaire, je disais la vérité ! » Or, toute vérité n'est pas bonne à dire, et cela s'applique aux commentaires sur le web. Car s'il y a une intention de causer un préjudice à celui dont on parle, la responsabilité de la personne peut être engagée [NDLR le consommateur peut se voir traîner en justice]. Et à partir du moment où on dit des choses qui sont fausses, qu'on veut nuire à un commerçant, la responsabilité peut aussi être engagée.

S'expose-t-on à un risque de poursuite même si on dit la vérité dans le but d'aider d'autres internautes?

Même si on s'y expose, ça ne veut pas dire que la poursuite sera fondée. Le droit à la libre expression est consacré. Et depuis environ 10 ans, il y a une loi contre les poursuites-bâillons qui rend plus difficiles les poursuites visant à faire taire un citoyen. Ça va toujours être une question de fait... Il y a des cas où on peut faire des commentaires justifiés, uniquement dans le but d'aider ses concitoyens, et il n'y aura pas de responsabilité civile engagée. Les commerçants, en 2014, doivent apprendre à vivre avec ça. Il faut une faute, un dommage et un lien de cause à effet. Est-ce qu'il y a responsabilité dès qu'on écrit un commentaire négatif ? Je ne serais pas prêt à dire ça.

Que conseillez-vous à un commerçant qui est attaqué sur son propre site ou sur les médias sociaux?

Je ne suis pas certain que son meilleur allié soit un avocat. Il pourrait aussi consulter un conseiller en communications. En 2014, il doit être conscient que s'il prend des actions en réponse à une attaque d'un consommateur, ça peut rapidement circuler sur la Toile. Et tout ça va être connu du public et il risque de perdre une partie de sa clientèle. L'avocat pourra lui dire s'il a des recours juridiques, mais est-ce c'est cela qu'il veut faire ?