La protection du patrimoine familial est au coeur des valeurs de la famille d'Hélène et de Charles. Lorsqu'elle disparaîtra, leur mère de 80 ans souhaite leur léguer une propriété chacun. Cette perspective les inquiète: comment minimiser l'impôt sur les gains en capital?

Hélène et Charles ont toujours su qu'une propriété allait leur revenir à la disparition de leur mère.

La maison dans les Laurentides, d'une valeur d'environ 500 000 $, reviendra à l'aînée de 52 ans, mère de deux enfants, qui y habite depuis sa construction en 1985. Le condo en ville, d'une valeur d'environ 225 000 $, reviendra au cadet de 45 ans, père d'une fillette. « Ce choix est avant tout d'ordre affectif, explique Charles. Hélène a aidé à construire la maison des Laurentides et l'habite toujours. Elle a toujours été en amour avec l'endroit, alors qu'il ne m'intéressait pas plus que ça. C'est à la suite de discussions au fil des années que notre mère a pris cette décision qui allait de soi. »

Leur mère vit actuellement seule dans le condo, mais elle passe tous ses étés dans la maison des Laurentides.

À leur tour, les deux héritiers espèrent garder ces biens dans la famille. « C'était le grand rêve de nos parents d'avoir une maison canadienne dans les Laurentides, raconte Hélène. Elle a été bâtie grâce à l'héritage de notre père, un an après sa mort. Alors, pour nous, c'est tout ce qu'il nous reste de lui. Nos parents voulaient laisser un héritage qui allait se passer de génération en génération. Je partage cette volonté. »

Même son de cloche de la part de Charles : « Je vais conserver le condo pour en faire un logement locatif, pour ensuite le léguer à mon tour, affirme-t-il. Ça fait partie des valeurs que notre mère nous a inculquées. »

Hélène n'a pas d'inquiétude quant à sa possibilité de conserver la maison, puisqu'elle en assume déjà les principales dépenses. Elle appréhende cependant le montant de l'impôt sur le gain en capital au moment de la succession : « Vais-je avoir une facture astronomique à l'aube de ma retraite ? », s'inquiète-t-elle.

La mère, qui vit seule dans le condo mais passe ses étés au chalet des Laurentides, souhaite demeurer propriétaire des deux résidences jusqu'à sa mort. Charles et Hélène se demandent : devrait-elle désigner la maison des Laurentides - qui représente le plus important gain en capital - comme résidence principale dès maintenant afin de profiter de l'exemption fiscale ? « Maman est nerveuse, confie Hélène. Elle aimerait faciliter ce transfert et alléger le coût fiscal de ce legs, mais nous avons besoin d'éclaircissements pour faire les meilleurs choix. »

PORTRAIT

La mère, 80 ans

Revenus à la retraite : 49 000 $

Charles, 45 ans

Revenus : 102 000 $

Régime de retraite : rente prévue d'environ 65 000 $

Date de retraite : 2022

Hélène, 52 ans

Revenus : 81 000 $

Régime de retraite : rente prévue d'environ 51 000 $

Date de retraite : 2021

MAISON

Date d'achat du terrain : 1974

Date de construction : 1985

Coût : 180 000 $

Droits de mutation, frais juridiques et inspection en bâtiment : N/D

Rénovations majeures : 20 000 $

Solde hypothécaire : 45 000 $

Prix de vente estimé : 500 000 $

Date de la vente présumée : 2014

Total des années de détention : 40 ( ( (Seul le

Calcul du gain en capital :

Gain en capital : 300 000 $

Gain annuel moyen : 7500 $

Nombre d'années de désignation comme résidence principale : 29

Moins exemption pour résidence principale : 225 000 $

Gain en capital net : 75 000 $

Gain en capital imposable : 37 500 $

CONDO

Date de l'achat : 2004

Coût : 136 000 $

Droits de mutation, frais juridiques et inspection en bâtiment : 2000 $

Rénovations majeures : 40 000 $

Prix de vente estimé : 225 000 $

Date de vente présumée : 2014

Total des années de détention : 10

Calcul du gain en capital :

Gain en capital : 47 000 $

Gain annuel moyen : 4700 $

Nombre d'années de désignation comme résidence principale : 0

Moins exemption pour résidence principale : 4700 $

Gain en capital net : 42 300 $

Gain en capital imposable : 21 150 $

SOLUTION

Résidence principale et exemptions fiscales

La première inquiétude de Charles et d'Hélène concerne la désignation de la maison des Laurentides comme résidence principale afin de se prévaloir de l'exemption d'impôt sur le gain en capital. À quel moment la désignation doit se faire ? se demandent-ils.

Selon l'article 2301 du Règlement de l'impôt sur le revenu, la désignation d'un bien comme résidence principale se fait dans la déclaration de revenus pour l'année d'imposition au cours de laquelle il y a eu une vente réelle ou présumée du bien immobilier.

Depuis 1982, une seule résidence par famille peut être désignée. « Dans ce cas-ci, nous supposons que la désignation se fera au moment du décès qui sera considéré comme une vente présumée, explique Josée Jeffrey, planificatrice financière et fiscaliste chez Focus Retraite & Fiscalité. La maison des Laurentides sera admissible pour être désignée comme résidence principale puisqu'elle a été normalement habitée par sa fille aînée. Les conjoints, ex-conjoints, de même que les enfants sont considérés comme des personnes admissibles par la Loi de l'impôt sur le revenu. »

L'exonération des gains en capital

Examinons maintenant l'exonération des gains en capital afin de désigner la résidence principale la plus avantageuse. « Les gens ont tendance à exonérer la résidence qui a généré un gain en capital plus important. Cependant, il sera plus judicieux de choisir celle qui aura un plus gros gain en capital par année de détention. Dans le cas présent, il sera plus avantageux d'exonérer en totalité la maison des Laurentides, dont le gain annuel est de 7500 $ comparé à 4700 $ pour le condo », précise Josée Jeffrey.

Le fisc accorde une année d'exemption supplémentaire au nombre d'années de désignation après le 31 décembre 1971, date de l'entrée en vigueur de l'impôt sur les gains en capital. Cette règle du +1 profitera aux deux résidences. La formule d'exonération est la suivante :

1 + # d'années de désignation x Gain en capital

# d'années de détention

À première vue, la maison a été détenue pendant 29 ans, soit entre 1985 et 2014, auxquels on ajoute 1 année d'exemption. « Or, il y a une particularité dont on doit absolument tenir compte, avertit Mme Jeffrey. La maison familiale a été construite sur un terrain ayant été acquis en 1974. Les années que l'on peut désigner sont celles où la résidence a été normalement habitée par le contribuable ou une personne admissible. Comme ce critère n'est pas satisfait pour un terrain, il faut ajouter les années de 1974 à 1985 aux années de détention. Au lieu d'exonérer sur 29/29 années, on doit le faire sur 30/40 (29 années de désignation + 1 sur 40 années de détention). »

Calculer les gains

Afin de calculer les gains en capital des deux propriétés, Mme Jeffrey a procédé à une disposition présumée en 2014. La formule du calcul du gain en capital est simple :

Produit de disposition- (prix de base rajusté + frais et dépenses de rénovation majeures) = gain en capital.

Pour la maison des Laurentides, nous calculons donc 500 000 $- (180 000 $ + 20 000 $) = 300 000 $ de gain en capital. En appliquant une exonération à 3/4 au montant de 300 000 $, on en arrive à 225 000 $ d'exemption pour résidence principale. Le gain en capital net sera donc de 75 000 $. La moitié de cette somme sera imposable.

En répétant le même exercice pour le condo, nous calculons 47 000 $ de gain en capital exonéré à 1/10. On en arrive à 42 300 $ de gain en capital net, dont la moitié (21 150 $) sera imposable.

Selon les gains en capital imposables réalisés sur la disposition des deux résidences et les revenus de rente de 49 000 $ de la mère d'Hélène et de Charles, Mme Jeffrey évalue son taux marginal d'imposition à 45,7 %. Ce qui fait un total de 17 138 $ d'impôt à payer pour la maison et de 9666 $ pour le condo.

Comme la mère ne possède aucun actif, il reviendra aux deux héritiers d'assumer la facture d'environ 26 800 $. « Au final, le coût fiscal est minime par rapport à la valeur marchande des résidences [700 000 $] », observe Mme Jeffrey.

Il revient maintenant à la succession de décider comment elle veut régler cette facture. « Plusieurs scénarios sont possibles. Pour plus d'équité, Hélène pourrait par exemple décider de l'assumer puisqu'elle hérite d'une propriété dont la valeur marchande est de deux fois supérieure à celle du condo. Elle pourrait décider de réhypothéquer sa maison en ajoutant cette facture au solde hypothécaire actuel », suggère la fiscaliste.

PERSPECTIVE

Les stratégies de planification successorale

Le chalet familial est l'un des biens immobiliers les plus souvent transférés d'une génération à l'autre. Cette transaction relativement simple cache de nombreuses questions fiscales qui nécessitent une planification.

Comme il a été vu précédemment dans le cas de la famille d'Hélène et de Charles, l'exemption pour résidence principale constitue l'une des solutions les plus avantageuses pour faire baisser la facture fiscale. Il existe d'autres stratégies permettant de réduire ou de reporter le fardeau fiscal lors du transfert.

Assurance-vie et fiducie

La souscription à une assurance-vie compte parmi les stratégies visant à réduire l'impôt au moment de la disparition. « L'assurance-vie temporaire est souvent utilisée en planification successorale, convient Suzanne Landry, professeure titulaire en comptabilité et fiscalité Roland-Chagnon à HEC Montréal. Le seul problème, c'est que les assurances sont coûteuses, surtout lorsqu'on avance en âge, ce qui correspond généralement au moment où la valeur de notre patrimoine augmente. À moins de réussir à avoir une assurance-vie à faible coût, ce qui est plutôt rare, cette solution pourrait ne pas être aussi efficace qu'on l'aurait souhaité. »

Le transfert d'une propriété à une fiducie est un autre moyen s'offrant aux propriétaires. « Le parent peut décider de rester fiduciaire tout en désignant ses enfants comme bénéficiaires, énonce Mme Landry. Cette stratégie peut toutefois entraîner un impôt immédiat sur le gain en capital. De plus, comme il y a une règle de la disposition réputée des biens tous les 21 ans qui s'applique aux fiducies, cela aura pour effet de reporter l'impôt sur les gains en capital qui proviendra de l'augmentation de valeur du chalet après son transfert à la fiducie. Par ailleurs, il faut considérer que les coûts de mise en place d'une fiducie peuvent être importants. »

Léguer de son vivant

Certains propriétaires aisés financièrement pourraient être tentés de donner leur chalet de leur vivant afin de faire profiter leurs enfants. « S'ils n'ont pas besoin des liquidités qui proviendraient de la vente du chalet, ils peuvent le donner de leur vivant afin que la plus-value s'accumule au nom de l'enfant plutôt que celui du parent, indique Mme Landry. S'ils attendent le moment de leur décès, la valeur marchande va continuer d'augmenter sur la propriété, ce qui fera grimper l'impôt à payer. »

Le parent pourrait aussi choisir de vendre le chalet familial en échange d'un billet à ordre, c'est-à-dire une promesse de paiement. « L'avantage du billet à ordre réside dans le fait que l'enfant n'a pas à se casser la tête pour aller trouver une grosse somme à la banque. En contrepartie, le parent sera protégé si au bout de quelques années, il a mal estimé le coût de sa vie et qu'il a besoin de liquidités », termine la professeure Suzanne Landry.