Difficile de faire réparer un bien de consommation? On peut toujours blâmer les fabricants et les détaillants. Or, le consommateur doit aussi assumer une part de responsabilité. Est-il toujours aussi soucieux de l'environnement qu'il pense l'être?

Cela fait des mois que la cliente cherche désespérément un nouveau bracelet de cuir pour sa fidèle montre. À l'époque, il suffisait d'entrer dans une pharmacie Jean Coutu et de se diriger vers le présentoir de bracelets situé près des caisses pour trouver le remplaçant idéal.

Ces présentoirs ont maintenant disparu. Chercher un nouveau bracelet ressemble maintenant à une quête épique.

Un bijoutier compatissant finit par diriger la cliente découragée vers un petit commerce à Place Ville-Marie, MontreAl, spécialisé dans les montres.

Après avoir mesuré le bracelet abîmé de la cliente, le commis ouvre une large armoire contenant des dizaines et des dizaines de cartables à anneaux. Il en choisit un, le pose sur le bureau, l'ouvre pour révéler des rangées de bracelets de la bonne taille.

Pour la cliente, c'est comme trouver enfin le Saint Graal.

Il semble être de plus en plus difficile de réparer - ou de faire réparer - un bien de consommation. Les cordonniers et autres réparateurs semblent se faire plus rares, bien des produits sont réputés irréparables. Tout cela à une époque où les comportements écoresponsables sont à la mode.

Le blâme ne repose cependant pas uniquement sur les épaules des fabricants et des détaillants. Les consommateurs doivent partager une partie de la responsabilité de cette situation.

« D'un côté, il y a l'obsolescence planifiée, une stratégie volontaire des fabricants et des détaillants pour rendre difficile la réparation des objets, et de l'autre, il y a les comportements de remplacement rapide des consommateurs, qui réfléchissent peu pour faire réparer les produits », affirme Fabien Durif, professeur à l'École des sciences de la gestion (ESG) de l'UQAM et directeur de l'Observatoire ESG UQAM de la consommation responsable.

Selon une étude de la société d'État française ADEME (Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie), seulement 44 % des appareils électriques et électroniques qui tombent en panne sont réparés.

Les manufacturiers de produits électroniques, qui font en sorte que leur technologie évolue rapidement, jouent sur le désir de nouveauté du consommateur.

« C'est dans ce domaine que le consommateur pense le moins à la réparation, affirme M. Durif. Lorsque son produit tombe en panne, pour lui, c'est une belle excuse pour s'en procurer un nouveau. Ça le déculpabilise. »

Les détaillants ont aussi une responsabilité

« Il y a plusieurs études qui démontrent que les détaillants vont faire exprès pour ne pas commander de pièces, indique M. Durif. Lorsque le consommateur se présente avec, par exemple, un bracelet de montre abîmé, le détaillant va dire qu'il faut qu'il passe une commande, que c'est compliqué, que ça va prendre du temps et il pousse le consommateur à acheter une nouvelle montre. »

Le détaillant pourra également faire valoir que la différence n'est pas très grande entre le prix de la réparation et le prix du produit neuf, déclare M. Durif.

« Il y a beaucoup de manufacturiers et de détaillants qui vont maintenir que le produit n'est pas réparable, ajoute-t-il. Dans le cas d'un cellulaire, on va dire qu'il est impossible de l'ouvrir ou que c'est compliqué. Or, si on va voir un réparateur dans son quartier, celui-ci va savoir exactement comment faire. »

Selon lui, les consommateurs commencent à s'interroger sur cette question.

« Il y a de plus en plus de consommateurs qui jugent que ce n'est pas normal que leur Apple Store leur affirme que leur iPhone n'est pas réparable ».

On voit apparaître des sites internet voués à la réparation et des entreprises comme Insertech qui se spécialisent dans la remise à neuf d'équipement électronique.

Selon M. Durif, cette prise de conscience est liée davantage à la situation économique qu'à un souci de protection de l'environnement.

« C'est sûr qu'il y a un sentiment écologique, que les consommateurs commencent à s'interroger sur leur empreinte écologique, mais l'argument économique demeure le premier argument, soutient-il. Le consommateur commence à vouloir allonger la vie de ses produits. »

Il rappelle qu'en fin de compte, c'est le consommateur qui est responsable de ses choix.

C'est d'ailleurs lui qui serait responsable de la disparition des présentoirs de bracelets de rechange pour les montres chez Jean Coutu.

« Malheureusement, en raison de la très faible demande pour ce type de produits, nous les avons retirés », affirme Hélène Bisson, vice-présidente aux communications de l'entreprise.

Réparation de chaudrons : en voie de disparition

Michel Couture se voit comme une espèce en voie de disparition.

L'entreprise familiale qu'il dirige, la Clinique de la casserole Delmar, offre des services de réparation, de polissage et de réémaillage de chaudrons. Il n'y a pas beaucoup d'autres entreprises qui offrent les mêmes services au Québec.

« Il y a un monsieur à Sherbrooke, un à Lévis et, je crois, un autre à Jonquière », énumère-t-il.

Il explique que pour un commerçant, la réparation, ce n'est pas payant. « Quand tu répares un chaudron et que tu fais deux piastres sur un bouton, tu ne vends pas un autre chaudron à 40 piastres à côté », observe-t-il.

Mais pour lui, c'est un service à rendre, une vocation à la fois écologique et économique. « Pourquoi jeter les choux gras quand ils sont encore réparables ? », lance-t-il.

Il constate toutefois que les gens font moins réparer leurs produits, souvent parce qu'il ne s'agit pas de produits de qualité. « Ils ne se préoccupent pas de la qualité, ils ne regardent que le prix », déplore-t-il.

Il ajoute que les gens n'ont pas nécessairement la conscience écologique d'autrefois.

« Lorsque votre mère avait acheté une batterie de cuisine, elle avait économisé, c'était quelque chose de bon, elle a élevé tous ses enfants avec, raconte-t-il. Aujourd'hui, lorsque je donne le prix d'une réparation à certaines clientes, elles me disent : laisse faire, j'aime ça changer aux deux ans, j'aime changer de couleur. Elle met 200 $ dans la poubelle, elle s'en fout. »

Dans sa boutique, M. Couture vend également des batteries de cuisine et une grande variété d'appareils et d'outils de cuisine, mais il privilégie la qualité.

« Je peux compter sur les doigts d'une main ceux qui m'ont acheté une batterie à 300 $ cette semaine, mais il y en a beaucoup qui ont acheté une batterie à 99 $ chez Canadian Tire ou Walmart. »

Réparer des vies

Chez Inserterch Angus, on répare et on réemploie de l'équipement informatique. On répare aussi des vies et on réemploie des jeunes.

Insertech est d'abord et avant tout une entreprise de réinsertion socioprofessionnelle.

« Nous accueillons 47 jeunes qui ont entre 18 et 35 ans et nous les employons pendant 6 mois, explique Cécile Chicoine, coordonnatrice chez Insertech. Nous essayons d'être une passerelle pour les amener vers l'objectif qu'ils se fixent eux-mêmes. L'activité économique est un peu accessoire. »

Insertech bénéficie de subventions d'Emploi-Québec pour le volet réinsertion. La vente, la réparation et le service représentent des revenus annuels de 1,7 million.

À ses débuts, Insertech se concentrait sur le reconditionnement et le réemploi de matériel informatique.

« Nos produits reconditionnés sont garantis, explique Mme Chicoine. À l'origine, la réparation servait à respecter nos engagements de garantie, mais on a élargi ce service. Il y a beaucoup de demandes pour la réparation. »

Elle estime que plusieurs clients viennent faire réparer leurs produits par conscience environnementale. « Ils veulent prolonger la vie de leur matériel le plus longtemps possible. »

Pour l'achat de produits reconditionnés, c'est davantage l'aspect économique qui prime.

« Les gens vont aller chercher un prix, affirme Mme Chicoine. Ils sont capables de trouver quelque chose de très performant pour les besoins qu'ils ont. »

Des statistiques à prendre avec des pincettes

Statistique Canada a modifié la codification des entreprises au cours des années. Donc, impossible de savoir si la variation entre le nombre d'entreprises est réelle ou si elle est simplement attribuable à ces changements dans la méthodologie.

Nombres d'entreprises de réparation au Québec

Matériel électronique 825 832

Appareils ménagers 527 619

Meubles 461 526

Chaussures et maroquinerie 248 254

Source : Statistique Canada

Pourquoi remplacer ?

Remplacement d'un réfrigérateur

40 % Il était encore en état de fonctionner

6 % Il était en panne, il aurait pu être réparé, mais vous n'avez pas demandé de devis

5 % Il était en panne, il aurait pu être réparé, vous avez demandé un devis et l'avez refusé

48 % Il était en panne et ne pouvait être réparé

1 % Ne sait pas

Remplacement d'un lave-vaisselle

25 % Il était encore en état de fonctionner

9 % Il était en panne, il aurait pu être réparé, mais vous n'avez pas demandé de devis

6 % Il était en panne, il aurait pu être réparé, vous avez demandé un devis et l'avez refusé

60 % Il était en panne et ne pouvait être réparé

Remplacement d'un téléphone cellulaire

36 % Il ne fonctionne plus

43 % Pas réparable

57 % Ne sait pas si réparable

64 % Il fonctionne encore

44 % Fonctionnalités insuffisantes

32 % Baisse de performance

29 % Attrait de la nouveauté

19 % Amélioration technique

19 % Mode

15 % Influence des pairs

Source : Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME)