Yvonne s'intéresse tout particulièrement à Bombardier au début des années 1990, alors que la multinationale québécoise avait le vent dans les voiles... ou plutôt dans les ailes. En effet, après s'être taillé une place dans le secteur ferroviaire grâce à une série d'acquisitions, Bombardier ajoute une corde à son arc, en 1986, en mettant la main sur Canadair. L'aéronautique fait désormais partie de son portefeuille d'activités.

Tout est en place, selon Yvonne, pour que le titre du géant du transport décolle. Elle achète alors « plusieurs milliers d'actions de série B de Bombardier à 24 $ ». Si une entreprise qui a inventé l'autoneige dans un petit garage de Valcourt il y a 60 ans peut aujourd'hui faire voler des avions, quel tour de force réussira-t-elle avec la valeur de ses titres ? Les années qui suivent lui donnent raison. En 2000, l'action dépasse 30 $.

Néanmoins, les nuages ne tardent pas à obscurcir le ciel bleu d'Yvonne. En aéronautique, les turbulences se succèdent : attentats terroristes du 11 septembre 2001, SRAS, crise économique et financière, retards successifs dans la livraison de la CSeries. Les actions de Bombardier donnent l'impression d'effectuer un saut sans parachute. Aujourd'hui, leur valeur gravite autour de 4 $.

À l'aube de la retraite, constatant que les titres de Bombardier oscillent entre « 3 et 7 $ » depuis près d'une décennie, Yvonne songe à s'en départir : « Je veux essayer d'essuyer ma perte par des actions plus gagnantes. »

Le hic : « Au cours de mon déménagement, j'ai perdu mes papiers montrant le coût d'achat. Mon courtier me dit que je ne pourrai pas profiter de la perte en capital, n'ayant pas ces papiers. Je croyais qu'un courtier conservait ces documents. Pouvez-vous m'aider à trouver une solution ? »

Portrait

Yvonne :

Fin soixantaine

A acheté plusieurs milliers d'actions de série B de Bombardier

Coût individuel des actions au moment de l'achat : 24 $

Valeur en 2000 : 30 $

Valeur en 2014 : de 3 à 7 $

Prête à assumer la perte, elle veut vendre ses actions.

Mais elle a perdu ses papiers montrant le coût d'achat.

Comment faire pour profiter de la perte en capital ?

Solution

Se départir des actions de Bombardier a un coût. Yvonne Gagnon devra éponger une perte de 20 $ par action acquise. Elle peut néanmoins se consoler en se servant de cette perte en capital pour réduire ses gains dans sa déclaration de revenus. Elle diminuera ainsi les sommes qu'elle devra débourser.

Si aucun gain en capital n'a été réalisé au cours de l'année, elle pourra appliquer rétrospectivement ses pertes à des gains enregistrés au cours de l'une des trois années précédentes. « Il est possible pour elle de reporter sa perte à de prochaines années pour compenser des gains futurs qu'elle pense faire », explique Gaétan Veillette, planificateur financier et conseiller en sécurité financière au Groupe Investors.

Pour ce faire, Yvonne Gagnon doit montrer patte blanche. « Elle doit appuyer ses estimations avec une documentation prouvant le coût d'achat de ses actions », dit Natalie Hotte, fiscaliste et experte-conseil chez Banque Nationale Gestion privée 1859.

Elle doit donc mettre la main sur des documents prouvant qu'elle a acquis des titres au prix qu'elle dit avoir payé. En d'autres termes, la chasse aux renseignements financiers est ouverte.

Le travail qui attend Yvonne Gagnon pourrait être ardu. L'objectif : reconstituer son portefeuille en utilisant toutes les ressources disponibles pour établir et appuyer les pertes qu'elle compte déclarer.

Pour ses recherches, Gaétan Veillet lui conseille de faire appel aux experts qui connaissent son dossier. « Il peut s'agir de fiscalistes, de conseillers en valeurs mobilières ou d'autres personnes travaillant pour une firme qui offrent des services de courtage. »

Dans ce processus, tout est question de méthodologie. « Dans la mesure où il y a une logique, une démarche précise et vraisemblable qu'on établit pour retrouver l'information et surtout qu'on peut expliquer, l'Agence du Revenu du Canada est encline à accepter la divulgation des particuliers », indique Gaétan Veillette.

Mais par où commencer ? Natalie Hotte propose de contacter ses précédents courtiers, le cas échéant : « Si vous avez eu plusieurs courtiers, peut-être que celui qui a fait les achats des titres en a gardé une copie. » Évidemment, si les actions ont été acquises en courtage direct, cette solution ne peut être envisagée.

Gaétan Veillette rappelle que tout actionnaire d'une entreprise peut s'adresser au registraire des actions de l'entreprise. « Souvent, ce n'est pas l'entreprise qui gère ce volet, mais plutôt un trust qui non seulement aide l'entreprise dans sa reddition de comptes, mais qui a une expertise pour répondre aux questions des actionnaires. »

Là encore, Yvonne doit être en mesure d'avoir une idée précise des moments où elle a fait l'acquisition de titres. Comme le rappelle Natalie Hotte, une preuve pour chaque transaction est nécessaire. « Si on a acheté à plusieurs reprises des acquisitions de Bombardier, il faut avoir une preuve pour chacune de ces transactions. »

Dernier recours : la moyenne. Impossible de définir la date précise d'une transaction ? Gaétan Veillette souligne qu'il est possible « comme dernier recours » d'établir une moyenne pour une période donnée. « Si nous savons que nous avons fait l'acquisition d'une quantité X d'actions en 1992, mais que nous ne savons pas quand exactement, nous établissons la moyenne de l'année. C'est ce qui nous servira de prix d'achat », dit M. Veilllette.

Les deux mots d'ordre : précision et documentation. Afin d'être toujours plus précis, il est conseillé d'aller jusqu'à documenter les transformations de l'entreprise qui pourraient avoir influencé la valeur du titre. Gaétan Veillette cite l'exemple des fractionnements ou des regroupements des actions, ces opérations qui visent respectivement à augmenter ou réduire le nombre d'actions en circulation.

« Il faut garder en tête que le but est de toujours être en mesure de démontrer que tout ce qui était possible de faire pour retrouver l'information a été fait », conclut Natalie Hotte.

Perspective

« La loi de l'impôt ne prescrit pas ce qui doit être gardé comme documents. L'institution financière n'est pas dans l'obligation de fournir de documents officiels ni au client ni au gouvernement », explique Natalie Hotte, fiscaliste et experte-conseil chez Banque Nationale Gestion privée 1859.

C'est au contribuable détenteur d'actions de calculer le prix de base rajusté (PBR) - c'est-à-dire le coût d'acquisition d'un titre - nécessaire au calcul des gains ou des pertes en capital lors de la vente de titre.

C'est également à lui de rassembler les informations relatives à la valeur de l'ensemble de ses titres. « Prenons l'exemple d'une personne qui a plusieurs comptes non enregistrés de courtage et qui a acquis des titres de Bombardier de deux institutions différentes. Comme ces institutions n'ont que les informations relatives à leurs acquisitions, ce sera au contribuable de colliger l'ensemble des données. »

N'importe quelle pièce prouvant le prix d'achat est valable. Dans un monde idéal, un détenteur d'actions devrait avoir en sa possession une copie de l'état de transaction, un document émis lors de l'acquisition sur lequel sont inscrits la cote et la catégorie des titres ainsi que le nom de l'acquéreur et le prix d'achat.

« Il est alors facile de prouver les informations si le gouvernement revient vérifier notre déclaration », indique Gaétan Veillette. Évidemment, la situation se corse lorsque le contribuable détenteur d'actions a égaré ces documents. Une situation qui n'a - toutefois et malheureusement - rien d'exceptionnel. « Cette situation est assez fréquente pour des titres émis avant 1995, pour lesquels il n'y avait que des preuves écrites », constate-t-il.

Si plusieurs expliquent la perte de documents par un déménagement, un incendie ou un vol, force est de constater que « très souvent, ceux-ci ont été égarés par mégarde. À l'occasion, il s'agit aussi d'un héritage avec des informations incomplètes », ajoute-t-elle.