Djamel n'avait pas grand-chose dans ses bagages à son arrivée au Québec, par un dimanche de février 1992. Ni tuque, ni bottes, ni mitaines. Presque pas d'épargne dans son compte en banque. Et ses diplômes et expériences de travail obtenus en Algérie, son pays natal, ne valaient à peu près rien aux yeux des employeurs d'ici.

À 35 ans, âge où bien des Québécois possèdent déjà une propriété et ont commencé à épargner pour leurs vieux jours, Djamel repartait à zéro, comme un grand nombre de nouveaux arrivants.

« Mes premières années ici ont été consacrées aux études à temps plein, puis j'ai trouvé un emploi à temps partiel au gouvernement du Québec, avec des horaires variables, et j'ai continué à étudier tout en travaillant », raconte-t-il.

Maintenant, à 57 ans, après avoir mis les bouchées doubles pendant 14 ans pour mener de front études et travail, il a atteint ses objectifs : il a décroché son diplôme de maîtrise il y a deux ans et a obtenu au même moment un emploi à temps plein, toujours comme fonctionnaire provincial, assorti d'un salaire de 80 000 $.

En maintenant un train de vie modeste, il a même réussi à accumuler 65 000 $ en REER (le maximum qui lui est alloué), à envoyer régulièrement de l'argent à sa famille restée en Algérie et à éviter l'endettement.

Mais à quelques années de la retraite, qu'il souhaite prendre à l'âge de 65 ans, il se pose des questions sur ce qui l'attend. « J'ai été seulement 16 ans sur le marché du travail au Québec. Je n'aurai pas droit à toutes les prestations des régimes publics et il me reste peu de temps pour accumuler de l'épargne », s'inquiète Djamel.

Il se compte chanceux de participer au régime de retraite des employés provinciaux. Ses contributions n'étaient pas très élevées au début, quand il gagnait 16 000 $ par année. Mais de 2000 à 2011, ses revenus ont varié entre 38 000 $ et 67 000 $.

Après plusieurs années de fréquentation, Djamel a emménagé il y a quatre ans avec Johanne, une Québécoise du même âge que lui, employée d'un organisme communautaire depuis plusieurs années, avec un salaire de 50 000 $.

Johanne n'a épargné que 25 000 $ en REER pour sa retraite. Elle y consacre 3000 $ par année et il lui reste 110 000 $ en droits de cotisation inutilisés.

En voyant approcher l'âge de la retraite, et comme il a bénéficié récemment d'une augmentation de revenus, Djamel serait prêt à mettre les bouchées doubles pour épargner, jusqu'à 15 000 ou 20 000 $ par année, au lieu des 5000 $ qu'il verse habituellement dans son REER.

Comme lui-même n'a plus de droits de cotisation REER inutilisés, il songe à prêter de l'argent à Johanne pour qu'elle contribue à son REER, afin de bénéficier d'un remboursement d'impôt. Ou alors pour qu'elle ouvre un REER de conjoint à son bénéfice à lui.

Mais surtout, il se demande combien ils doivent épargner en prévision de leur retraite. Ils ne dépensent pas beaucoup - le loyer de leur appartement n'est que de 600 $ - mais se font un devoir d'aider financièrement leurs familles, notamment les trois enfants adultes de Johanne, qui n'habitent plus avec eux mais ont parfois besoin d'un coup de pouce pour boucler leurs fins de mois. « On les aide dans les moments difficiles, dit Djamel. On est parents pour la vie, vous savez ! »

PORTRAIT

Djamel, 57 ans

Fonctionnaire provincial

Arrivé au Québec en 1992

A commencé à travailler pour le gouvernement à temps partiel en 1998

À temps plein depuis 2012

Salaire : 80 000 $

Fonds d'urgence : 5200 $

REER : 65 000 $

Cotisation annuelle : 5000 $

Régime de retraite des employés du gouvernement et des organismes publics (RREGOP) : rente de 21 300 $ à partir de 65 ans

Johanne, 57 ans

Employée d'un organisme communautaire

Salaire : 50 000 $

REER : 25 000 $

Cotisation annuelle : 3000 $

Principales dépenses annuelles :

Aide financière à la famille et cadeaux : 9300 $ ou plus

Loyer : 7200 $

Épicerie : 6000 $

Voiture (essence, entretien, assurances, etc) : 5000 $

Télécommunications : 3000 $

SOLUTION : Tirer parti du REER de conjoint

En arrivant au seuil de la retraite, de nombreux immigrés réalisent, comme Djamel, que leur installation tardive au Canada aura des conséquences financières importantes. « Il peuvent tenter de rattraper le temps perdu en épargnant plus pendant leurs dernières années au travail, mais il faut voir combien chacun est capable d'épargner », souligne Guylaine Dufresne, planificatrice financière pour la Banque laurentienne, à qui nous avons soumis le cas de Djamel et Johanne.

Djamel est privilégié comparativement à bien d'autres nouveaux arrivants : grâce au régime de retraite des employés provinciaux, auquel il cotise depuis 16 ans, il touchera une rente de 21 300 $ à partir de 65 ans.

En fonction des cotisations qu'il a versées à la Régie des rentes du Québec (RRQ), il aura aussi droit à 53 % du maximum possible en prestations, soit une somme de 8000 $ par année.

Pour la pension de la sécurité de la vieillesse (PSV), l'admissibilité est calculée en fonction du nombre d'années passées au pays. « Il faut avoir résidé au Canada pendant au moins 40 ans après nos 18 ans pour avoir droit à une pleine pension, explique Guylaine Dufresne. À 65 ans, en 2022, Djamel célébrera ses 30 ans au Canada, ce qui lui donnera droit aux trois quarts d'une pleine pension. » Dans son cas, cette somme s'élèvera à environ 5000 $ par année.

Djamel a aussi souscrit une rente viagère, qui lui donnera 2500 $ par année.

Ces sources de revenus lui donneront déjà 36 800 $.

Johanne, de son côté, touchera 16 500 $ de rentes de la RRQ et de la PSV.

En continuant à cotiser à leur REER au rythme actuel - 5000 $ par année pour Djamel, 3000 $ pour Johanne - ils pourront maintenir à la retraite un train de vie de 4100 $ par mois, soit 49 200 $ par année, selon les calculs de Mme Dufresne.

S'ils décident de faire un effort supplémentaire pour épargner 12 000 $ de plus par année en REER, ils pourront compter sur une somme supplémentaire de 3600 $ à la retraite : ils pourront soutenir des dépenses mensuelles de 4400 $, soit 52 800 $ par année. « Il s'agit de voir s'ils sont prêts à faire cet effort maintenant, s'ils estiment que ça vaut la peine, étant donné ce que ça leur rapportera dans quelques années », souligne Guylaine Dufresne.

Un REER de conjoint

Quant à l'utilisation de l'espace REER de Johanne, la planificatrice financière estime que le plus simple serait d'ouvrir un REER de conjoint au nom de Djamel. « Comme c'est elle qui a des droits de cotisations non utilisés, mais que c'est lui qui a plus d'argent disponible, ils pourraient renégocier le partage des dépenses dans leur couple, pour que Djamel assume une part plus importante des dépenses, dit-elle. Johanne serait donc en mesure de verser 12 000 $ par année dans le REER de conjoint. »

En cas de séparation, cet argent appartiendrait à Djamel. Ce qui est logique, selon Mme Dufresne, puisque c'est son revenu plus élevé qui permet de faire cette cotisation. En contrepartie, Johanne recevrait un remboursement d'impôts de 4000 $ par année. Elle pourrait même utiliser cette somme pour contribuer à son propre REER, pour faire d'une pierre deux coups.

« De toute façon, à 65 ans, il importe peu que le REER de l'un soit plus important que le REER de l'autre, puisqu'ils pourront fractionner leur revenu pour avoir un taux d'imposition plus avantageux », mentionne Guylaine Dufresne.

Pourvu, évidemment, que Djamel et Johanne soient alors toujours ensemble.

PERSPECTIVE : Les immigrés moins riches à la retraite

En choisissant de s'installer au Canada, bien des immigrants issus de pays en voie de développement améliorent leur situation. Mais quand ils arrivent ici au milieu de leur vie active, ils doivent s'attendre à un revenu inférieur à la moyenne canadienne jusqu'à la fin de leurs jours.

Les immigrés âgés de 60 à 74 ans sont plus pauvres que les personnes âgées nées au Canada. Surtout ceux qui ont immigré après 50 ans : leur revenu de retraite équivaut à moins de la moitié de la moyenne canadienne, selon une étude menée en 2013 par deux chercheurs de l'Université du Nouveau-Brunswick et de l'Université Carleton, à Ottawa.

Le fait de ne pas pouvoir toucher de pension des régimes publics, ou seulement une pension partielle, en raison d'un nombre insuffisant d'années de résidence, explique notamment leurs revenus inférieurs.

Ils ont aussi moins de revenus de régimes complémentaires de retraite. Selon une autre étude, de l'Université de Toronto celle-là, les revenus provenant de régimes privés de retraite étaient 43 % inférieurs pour les immigrés.

Les personnes qui arrivent grâce au parrainage d'un proche ont aussi un accès restreint aux prestations gouvernementales.

Peut-être pour compenser toutes ces contraintes, les immigrés tendent à travailler un plus grand nombre d'heures que les travailleurs nés au Canada, soulignent les chercheurs.

« En arrivant ici, les immigrants ont beaucoup d'autres priorités plus quotidiennes que la planification de la retraite », observe Olga Cherezova, conseillère budgétaire à l'ACEF de l'Est de Montréal, qui compte un certain nombre d'immigrants parmi sa clientèle. « Et ils n'ont pas toujours les moyens d'épargner, parce que leurs revenus sont souvent moindres. »

Beaucoup acceptent cette situation, ajoute Mme Cherezova. « Ils savent que ce sera difficile pour eux, mais ils encouragent leurs enfants à étudier pour qu'eux aient de meilleures opportunités et une meilleure situation financière. »

Le support de la famille

Le fait d'habiter avec leur famille élargie contribue cependant à améliorer la situation des immigrés âgés, démontre l'étude des deux chercheurs canadiens. « En moyenne, les immigrés résident davantage avec des membres de leur famille que les personnes nées au Canada. En outre, on remarque clairement que les groupes d'immigrés ayant des revenus plutôt faibles vivent dans des familles plus larges », écrivent-ils.

Dans plusieurs communautés, la coutume veut que les parents âgés soient pris en charge par leurs enfants, note Olga Cherezova. « En Ukraine, mon pays d'origine, il y a peu de maisons de retraite, dit-elle. Dans 90 % des cas, les enfants s'occupent de leurs parents jusqu'à leur mort. On se sent responsables de notre famille. »

Ces responsabilités ne disparaissent pas avec la distance : plusieurs nouveaux arrivants envoient de l'argent à leur famille restée outre-mer. « Ceux qui viennent de pays où la situation économique est difficile se font un devoir d'aider financièrement leurs proches, souligne la planificatrice financière Guylaine Dufresne, de la Banque laurentienne. Même si eux-mêmes ont de la difficulté à arriver et qu'ils n'ont pas d'argent de côté. »

Pour les immigrants qui arrivent après avoir contribué à un régime de retraite public dans leur pays d'origine, Québec et Ottawa ont signé des ententes avec plusieurs États pour leur permettre de recevoir des prestations du régime étranger ou de devenir admissibles, dans certains cas, à des prestations des régimes québécois ou canadien. Ces ententes sont aussi utiles aux Canadiens qui ont travaillé dans un autre pays pendant quelques années et y ont payé des cotisations.