Chaque semaine, un financier répond à nos questions. Il donne sa lecture des marchés, offre son point de vue sur la Bourse et lance quelques conseils d'investissement. Cette semaine, François Landry, premier vice-président et chef des placements à la Financière des professionnels.

À votre avis, quel est l'événement le plus significatif des derniers jours à la Bourse?

J'en vois deux au cours des deux dernières semaines.

Le premier, c'est l'effet stabilisant et rassurant même sur le dollar canadien qu'a eu le récent budget fédéral (11 février) en rappelant aux marchés la bonne santé financière du Canada par rapport aux autres principales économies développées.

Le dollar canadien avait beaucoup fléchi en janvier - au moins 4 cents US en quelques semaines -, ce qui avait accentué le pessimisme des stratèges boursiers et des économistes envers le huard.

Le budget fédéral a démontré que ce pessimisme envers le dollar canadien, que l'on voyait glisser jusqu'à 85-86 cents US, était un peu exagéré. Il devrait plutôt se maintenir autour des 90 cents US, ce qui représente sa juste valeur.

Le second événement significatif, à mon avis, est survenu à Washington. C'était le premier discours au Congrès de la nouvelle présidente de la Réserve fédérale américaine (Fed).

Janet Yellen a tenu des propos rassurants pour les marchés, en continuité de la stratégie connue de la Fed : réduction graduelle des achats mensuels d'obligations, inflation autour de 2 %, réduction du taux de chômage et de sa durée.

Quel indicateur suivez-vous le plus attentivement en ce moment?

Avec mon équipe, je suis une dizaine d'indicateurs afin de garder bien à jour notre estimation du risque d'une prochaine récession.

C'est important parce qu'en récession, habituellement, les profits des entreprises reculent de 25 %, et leurs multiples de valeur boursière (cours/bénéfice, etc.) se contractent.

Cela dit, les indicateurs primordiaux sont ceux liés au secteur manufacturier (PMI, ISM, etc.) en Chine et dans les marchés émergents. Je surveille aussi de près les données de l'emploi et les écarts de taux - un indice de risque financier - dans les économies développées, en Europe notamment.

Actuellement, l'ensemble de ces indicateurs nous signalent que le risque de récession demeure faible. Et ce, malgré la croissance économique hésitante dans certaines économies, dont les États-Unis.

Cette conjoncture demeure favorable pour le rendement boursier à moyen terme. Du moins, jusqu'à une véritable remontée des taux en Amérique du Nord.

Que feriez-vous avec plusieurs milliers de dollars à investir?

Dans un premier temps, malgré la récente période très forte en Bourse, je préconise encore une surpondération en actions plutôt qu'en obligations. Toutefois, le rendement anticipé des actions est évidemment moindre qu'auparavant.

Le motif principal de cette surpondération en actions tient surtout au fait que les perspectives de rendement obligataire demeurent très faibles à moyen et à long terme.

Pour l'allocation géographique de nouveaux placements, je favorise les marchés des économies développées, l'Europe et les États-Unis surtout, au lieu des économies émergentes.

Quant au Canada, je préconise plutôt une réduction dans les portefeuilles parce que la Bourse canadienne est très liée aux cycles des matières premières - presque 40 % de l'indice -, plutôt qu'à l'état de l'économie canadienne.

Or, après une période favorable à cet égard dans les économies émergentes durant les années 2000, je crois que le pendule est revenu en faveur des économies développées.

Enfin, selon les secteurs, je favorise ces temps-ci les technologies, les industries et les soins de santé.

Quant aux titres en consommation, je préfère attendre de voir la durée du ralentissement observé récemment en Amérique du Nord, en raison des intempéries hivernales.

À l'opposé, quel placement évitez-vous ces temps-ci?

D'une part, dans mes préférences pour les marchés des économies développées, j'exclus le Japon parce que ses défis démographiques et financiers demeurent trop importants par rapport aux mesures prises par le gouvernement.

D'autre part, j'évite d'investir davantage dans les secteurs plus sensibles à une éventuelle remontée des taux d'intérêt. Ça comprend surtout les entreprises de services publics réglementés et les sociétés immobilières.

Qu'est-ce que les marchés sous-estiment le plus actuellement?

J'en vois quelques-uns. D'abord, les marchés surestiment la croissance économique réelle aux États-Unis, et ce, en dépit des révisions baissières à répétition des récentes données comme le PIB.

Par conséquent, ils surestiment la hausse probable des taux d'intérêt et son impact sur l'économie.

En fait, bien des investisseurs souhaitent que les taux remontent bientôt, mais la réalité économique d'une croissance faible ne le justifie pas.

Aussi, malgré l'endettement élevé, l'économie nord-américaine a une bonne capacité d'absorber des frais d'intérêt plus élevés.

Enfin, les marchés sous-estiment la décélération de l'économie chinoise, même sous les 6 à 7 % encore attendus. Cette croissance moindre est déjà un facteur ayant mis fin au «supercycle» des matières premières. Elle réduit aussi le potentiel de rendement sur la Bourse canadienne.

En Chine, aussi, les marchés sous-estiment le risque de crise dans le secteur bancaire fantôme qui a grandi énormément pour contourner les restrictions imposées par les autorités bancaires chinoises.

Lorsque le gouvernement central cessera de couvrir les pertes sur prêts qui se multiplient dans ce secteur bancaire fantôme, la Chine pourrait se retrouver avec une crise semblable à «Lehman Brothers» aux États-Unis en 2008.

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À titre de premier vice-président et chef des placements à la Financière des professionnels, François Landry supervise la gestion de 2,5 milliards d'actifs financiers de groupes de professionnels québécois (médecins spécialistes, chirurgiens-dentistes, pharmaciens, architectes, etc.).

Ces actifs sous gestion sont répartis entre des fonds communs de placement offerts à tous leurs membres et quelque 1300 portefeuilles en gestion privée parmi des professionnels fortunés.