Chaque semaine, un financier répond à nos questions. Il donne sa lecture des marchés, offre son point de vue sur la Bourse et lance quelques conseils d'investissement. Cette semaine, Bernard Letendre, vice-président et directeur général de Gestion privée Manuvie, qui dessert la clientèle des particuliers millionnaires en actifs financiers.

À votre avis, quel est l'événement le plus significatif des derniers jours à la Bourse?

En fait, ça remonte au lundi 13 janvier, lorsque la direction régionale d'Atlanta de la Réserve fédérale américaine (Fed) a confirmé que la réduction des mesures d'assouplissement quantitatif se poursuivra.

Cette annonce a provoqué un ressac dans les marchés boursiers à l'échelle mondiale, particulièrement dans les économies émergentes.

La réduction des mesures d'assouplissement exerce une pression à la hausse sur les taux d'intérêt dans les pays développés ; l'argent sort donc des marchés boursiers (particulièrement ceux des pays émergents) pour être réinvesti dans les titres à revenu fixe.

Si la réduction ne se fait pas de façon prudente et bien maîtrisée, il pourrait s'ensuivre un recul boursier de 5 à 10 % dans les prochains mois, mais nous nous attendons à ce que la Fed agisse avec circonspection.

Quel indicateur suivez-vous le plus attentivement en ce moment?

Le taux de chômage au Canada et aux États-Unis. Pour décembre, les statistiques canadiennes indiquent la perte de 46 000 emplois et la hausse du taux de chômage à 7,2 %. En revanche, aux États-Unis, le rapport sur les emplois non agricoles indique que 74 000 emplois ont été créés en décembre et que le taux de chômage est passé de 7 à 6,7 %, depuis le mois précédent.

En moyenne, l'économie américaine a créé 182 000 emplois par mois en 2013, à un cheveu près des 183 000 emplois créés mensuellement en 2012.

Mais comme les données de fin d'année sont toujours un peu obscures, ce sera le prochain rapport sur l'emploi qui sera analysé en profondeur. Au Canada, il faudra voir si la reprise se maintient ou ralentit.

Du côté des marchés boursiers, nous suivrons de près les décisions et les déclarations de la Fed en ce qui concerne l'assouplissement quantitatif, parce qu'elles auront des effets à court terme sur les actions.

De la même façon, les déclarations de la Banque du Canada sur les taux d'intérêt sont un indice intéressant de l'état de l'économie canadienne.

Que feriez-vous avec plusieurs milliers de dollars à investir?

Depuis deux ans, l'indice principal de la Bourse de Toronto, le S & P/TSX, est à la traîne des grands marchés des économies développées.

Nous nous attendons à ce que cette tendance défavorable se poursuive cette année, surtout si les économies émergentes demeurent peu vigoureuses et que ça réduit la demande des matières premières canadiennes.

La reprise économique américaine, par contre, semble battre son plein. L'incertitude politique se dissipe et les entreprises recommencent à investir, en utilisant leurs liquidités et en empruntant.

En Europe, nous croyons aussi qu'il y a encore des titres de valeur. À notre avis, la restructuration économique en Europe et la volonté politique sous-jacente restent sous-estimées par les marchés.

Quant à nos préférences sectorielles, nous voyons de la valeur dans les sociétés financières et le secteur de la consommation discrétionnaire aux États-Unis. Les consommateurs américains sont de retour après une période de désendettement qui les a remis en meilleure situation financière.

Par exemple, l'âge moyen des voitures aux États-Unis est de plus de 10 ans - ce qui laisse entrevoir une augmentation des achats de véhicules. Par ailleurs, l'accroissement des emprunts et de l'utilisation des cartes de crédit devrait soutenir le cours des actions des financières.

À l'opposé, quel placement évitez-vous ces temps-ci?

L'or a connu une mauvaise année en 2013. C'est l'un des rares placements dont la possession ne rapporte rien en soi : aucun intérêt ni dividende.

L'or peut être un bouclier contre l'inflation. Mais, la plupart du temps, son prix évolue en fonction de la spéculation.

La menace inflationniste qui poussait les investisseurs vers l'or depuis le début de la crise en 2008 ne s'est jamais concrétisée. L'inflation est faible et on s'attend à ce qu'elle le reste dans un avenir prévisible.

En fait, les mesures d'assouplissement quantitatif de la Fed qui suscitaient des craintes inflationnistes, au cours des dernières années, sont en voie de disparaître.

De plus, le déficit budgétaire américain continue de s'amenuiser, et ne devrait correspondre qu'à 3,3 % du PIB pour l'exercice 2014.

Finalement, les sociétés aurifères envisagent de couvrir leurs risques en vendant leur production à l'avance, ce qui ferait plafonner de facto le prix de l'or et enverrait un signal très négatif au marché.

Tout cela se reflète dans le fait que les fonds de couverture et les autres grands investisseurs institutionnels - principaux responsables de la hausse du prix de l'or depuis 10 ans - semblent perdre leur intérêt pour les placements liés au marché aurifère.

Qu'est-ce que les marchés sous-estiment le plus actuellement?

À notre avis, c'est la viabilité de la reprise économique aux États-Unis. Les investisseurs boursiers semblent attendre une correction importante à la suite du marché haussier que nous venons de connaître. Ils cherchent des raisons de douter de la reprise économique.

Pourtant, les profits des entreprises de l'indice S & P 500 augmentent, non seulement par leur réduction des coûts, mais aussi grâce à l'augmentation de leur chiffre d'affaires.

Au quatrième trimestre 2013, par exemple, 58 % de ces sociétés ont annoncé des ventes supérieures aux prévisions. Globalement, les résultats des sociétés sont de 2,2 % supérieurs aux prévisions.

Dans ce contexte, nous nous attendons à une certaine volatilité en 2014, mais pas à une correction majeure, au-delà de 10 %, par exemple.

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Bernard Letendre est vice-président et directeur général de Gestion privée Manuvie au siège social torontois de cet important groupe financier en assurances de personnes, en gestion d'actifs financiers et en services bancaires aux particuliers.

Depuis trois ans, M. Letendre dirige la croissance d'une équipe de services financiers aux particuliers millionnaires, qui lui sont transmis par les 40 000 représentants de Manuvie au Canada.

Avant de s'établir à Toronto en 2011 avec sa famille, Bernard Letendre avait accumulé une quinzaine d'années d'expérience à Montréal comme directeur régional chez Manuvie, BMO Gestion privée Harris, Standard Life et Investors.