Chaque samedi, un financier répond à nos questions. Il donne sa lecture des marchés, offre son point de vue sur la Bourse et lance quelques conseils d'investissement. Cette semaine, Clément Gignac, vice-président principal, économiste en chef et président du Comité d'allocation d'actifs chez l'Industrielle Alliance.

À votre avis, quel est l'événement le plus significatif des derniers jours à la Bourse?

C'est survenu surtout dans l'économie américaine. Et ce sont les mises à jour très positives d'importants indicateurs de la conjoncture : les ventes d'automobiles et le taux de chômage qui se redressent à leurs meilleurs niveaux d'avant la crise de 2008. Les ventes de maisons neuves sont aussi en net redressement aux États-Unis.

À mon avis, ces indicateurs confirment que l'économie américaine est en train de passer d'une reprise lente vers une nouvelle phase d'expansion.

Nous assistons à une réaccélération de la grosse locomotive américaine, avec ce que ça laisse présager de contexte favorable pour les résultats des entreprises et l'économie mondiale.

En Bourse, où le fort regain s'est encore avéré en anticipation de l'économie, je m'attends à une consolidation de gains plus modestes au cours des prochains trimestres, avec de belles surprises sur le plan des bénéfices d'entreprises.

Quel indicateur suivez-vous le plus attentivement en ce moment?

Avec la reprise économique aux États-Unis, je suis attentivement la progression des profits des entreprises. Si nous commençons à voir une croissance de l'ordre de 8 à 10 %, par rapport aux 5 à 6 % cette année, ce serait encore bon pour la Bourse.

Après la forte hausse des multiples (cours/bénéfice) que nous avons vue récemment, les attentes de rendement en Bourse reposent désormais sur la hausse des bénéfices.

Par ailleurs, je suis aussi l'évolution des pressions inflationnistes dans l'économie américaine, même si elles demeurent minimes à court terme.

Pourquoi? Parce que ces perspectives d'inflation peuvent encore influencer la Réserve fédérale américaine (Fed) et la prochaine stratégie de sortie de son programme d'assouplissement quantitatif [NDLR : achats massifs d'obligations gouvernementales pour soutenir les liquidités dans l'économie et maintenir les taux d'intérêt très bas].

Que feriez-vous avec plusieurs milliers de dollars à investir?

Dans notre horizon de placement de trois à cinq ans, nous demeurons surpondérés en actions par rapport aux autres classes d'actifs. Parce que, du côté des marchés monétaires et obligataires, les perspectives de rendement à moyen terme sont trop défavorables avec la stratégie de la Fed de sortie de son assouplissement quantitatif.

Dans les actions, nous demeurons surpondérés en actions américaines malgré l'année assez extraordinaire jusqu'à maintenant et l'expansion des multiples (cours/bénéfice). Ces multiples sont plus élevés qu'au Canada et en Europe, mais ils demeurent pleinement mérités à notre avis, dans un contexte de renaissance de l'économie et du dollar américains.

Certes, une petite correction pourrait survenir à court terme. Mais il ne s'agirait pas d'un recul en marché baissier, plutôt une occasion d'investissement additionnelle.

À l'étranger, je me méfie des marchés émergents parce qu'ils demeurent trop dépendants, en proportion, des effets de l'assouplissement quantitatif de la Fed dans l'économie mondiale.

Pour profiter de la croissance des économies émergentes, mais avec moins de risque, mieux vaut investir dans les actions de multinationales bien gérées qui ont une bonne présence dans ces économies.

Quel placement évitez-vous à tout prix?

En premier lieu, les obligations à rendement réel. Parce que ce n'était pas normal de les voir en rendement négatif, en conséquence de la politique d'injection de liquidités et de bas taux d'intérêt de la Fed.

Dès que la Fed se retranchera, nous pourrions voir une remontée des taux et une dépréciation des obligations déjà en circulation.

En second lieu, j'évite les titres liés au marché de l'or. Parce qu'il sera encore baissier pour l'avenir prévisible, et sans doute sous les 1000 $ US l'once.

En fait, le prix de l'or a deux pires ennemis dans la conjoncture financière et économique, où la recherche de valeurs refuges s'amenuise continuellement.

D'une part, la renaissance de l'économie et du dollar américains, qui s'accompagne d'une réduction des risques dans l'économie et la géopolitique mondiales.

D'autre part, la restauration des taux d'intérêt réels à un niveau positif, ce qui démontre une réduction de risques dans les marchés financiers et le secteur bancaire.

Qu'est-ce que les marchés sous-estiment le plus actuellement?

Je vois deux choses. D'abord, malgré les récents épisodes troublants, les marchés sous-estiment maintenant la capacité des politiciens à Washington à s'entendre pour renouveler le plafond budgétaire.

Les républicains ont perdu tellement de plumes dans le dernier débat que, sous une direction plus partagée avec les démocrates, je m'attends à un dénouement positif la prochaine fois, sans crise de mur budgétaire malgré le pessimisme des marchés à ce sujet.

En second lieu, les marchés sous-estiment la longévité du cycle économique qui s'est amorcé aux États-Unis, et qui touchera l'économie mondiale.

Certes, la croissance américaine demeure timide comparativement aux reprises antérieures. Mais cette fois-ci, elle s'appuie sur des facteurs d'assainissement financier et budgétaire qui sont beaucoup plus durables que les mesures antérieures de baisses d'impôt et de dépenses publiques.

Ces mesures vues lors des administrations Reagan et Bush, notamment, se sont avérées souvent des feux d'artifice économiques aux lendemains difficiles.

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Après quatre ans comme ministre québécois aux Ressources naturelles, puis au Développement économique, l'économiste et stratège boursier Clément Gignac est retourné au secteur privé l'an dernier chez la financière Industrielle Alliance. En tant que vice-président principal, économiste en chef et président du Comité d'allocation d'actifs, M. Gignac supervise directement des fonds diversifiés qui représentent 3 milliards en actifs.