Chaque samedi, un financier répond à nos questions. Il donne sa lecture des marchés, offre son point de vue sur la Bourse et lance quelques conseils d'investissement. Cette semaine, Marc-André Robitaille, vice-président et gestionnaire de portefeuilles d'actions canadiennes chez Placements AGF.

À votre avis, quel est l'événement le plus significatif des derniers jours à la Bourse?

Avec mes fonctions chez AGF, je surveille surtout les événements touchant la Bourse canadienne. En ce sens, l'événement le plus significatif des derniers jours, à mon avis, a été la grosse annonce double de la société aurifère Barrick, jeudi.

D'une part, Barrick a interrompu les travaux à sa grosse mine Pascua-Lama, au Chili. Cet arrêt mettra fin à des dépenses déjà beaucoup plus élevées que prévu en raison des interventions du gouvernement chilien. Il pourrait aussi rehausser les arguments économiques de Barrick à faire valoir au gouvernement chilien.

D'autre part, malgré ses difficultés, Barrick a levé 3 milliards avec une émission d'actions, ce qui améliore son bilan et préservera son « cash flow » (liquidités) au moins jusqu'en 2016.

Cette annonce double de Barrick est significative pour la Bourse canadienne parce qu'il s'agit d'une entreprise de premier plan dans l'un des secteurs - matières premières et métaux précieux - les plus influents sur l'indice S&P/TSX, à hauteur de 12 % de sa capitalisation.

Quel indicateur suivez-vous le plus attentivement en ce moment?

Considérant l'importance du secteur des matières premières à la Bourse canadienne, l'indicateur économique que je surveille ces temps-ci est l'indice de production des manufacturiers (PMI) en Chine.

Et sa mise à jour, hier, s'est avérée à son plus fort depuis 18 mois, au-dessus des 50 points, ce qui signale une économie en expansion.

C'est important pour l'économie et la Bourse canadienne parce le niveau d'activité des gros secteurs des matières premières et de l'énergie de même que leur valeur boursière dépendent beaucoup de l'expansion industrielle en Chine et dans les économies émergentes.

Donc, les indices d'un regain de production industrielle dans ces pays, après quelques trimestres au ralenti, sont de bon augure pour la Bourse canadienne.

C'est même mieux que le rebond des indices industriels (PMI) dans des économies développées comme les États-Unis et l'Europe. Ces indices demeurent très importants pour la Bourse canadienne, mais leur rebond est bien enclenché depuis un certain temps déjà.

Que feriez-vous avec plusieurs milliers de dollars à investir?

Encore une fois, selon mes fonctions chez AGF, je me concentre sur la pondération de placements en actions canadiennes. Et de tels placements, comme tous les autres, dont les obligations, doivent s'ajuster selon le profil de chaque investisseur.

Cela dit, je considère que la Bourse canadienne représente maintenant un meilleur potentiel de rendement que la Bourse américaine, dont les principaux multiples d'évaluation (cours/bénéfice, cours/valeur comptable, etc) ont rattrapé et même dépassé leurs moyennes historiques.

Ce n'est pas encore le cas de la Bourse canadienne, où les principaux multiples sont encore à « escompte » par rapport à leurs moyennes historiques.

Quant à la pondération par secteur, dans une économie mondiale qui reprend du mieux, je préfère les actions d'entreprises canadiennes dans les secteurs plus cycliques comme les matières premières, l'énergie et l'industrie.

En contrepartie, je sous-pondère les secteurs dits plus défensifs comme les entreprises de consommation de base et les services publics.

Dans tous les secteurs, cependant, je demeure très sélectif, en faveur des entreprises relativement stables mais à potentiel de croissance ordonné de leurs résultats.

Quel placement évitez-vous à tout prix?

J'hésite à reprendre cette expression «à tout prix» parce qu'on ne sait pas comment la macroéconomie sera à moyen terme.

Cela dit, dans un contexte de regain économique et de rehaussement éventuel des taux d'intérêt, je serais prudent et très sélectif avant d'investir dans des actions d'entreprises dont la valeur est plus sensible aux taux d'intérêt.

Ça comprend les secteurs dits «défensifs» comme les services publics et les télécommunications, les fiducies immobilières et les services financiers. Ces titres ont été très recherchés par les investisseurs en raison de leur relative stabilité de revenus et de leur rendement en dividendes. L'attrait de ces titres était évident dans un contexte de taux d'intérêt et de rendement obligataire très bas, historiquement.

Mais ce contexte pourrait s'inverser bientôt. Je m'attends à une remontée des taux d'intérêt d'ici six mois, au plus tard.

Qu'est-ce que les marchés sous-estiment le plus actuellement?

J'ai deux observations.

D'une part, je crois que les investisseurs négligent encore l'état de sous-évaluation de la Bourse canadienne par rapport à la Bourse américaine qui, elle, est devenue une peu chère.

D'autre part, dans le contexte un peu euphorique en Bourse provoqué par l'injection massive de liquidités par les banques centrales, en particulier la Fed américaine, je crois qu'on sous-estime le risque d'une correction à court terme.

Pas trop forte, de l'ordre de 3 à 5 % environ. Mais qui pourrait survenir au moindre prétexte, comme un important indicateur économique soudainement mauvais. Ou encore des résultats d'une grande entreprise très suivie qui seraient bien inférieurs aux attentes.

En contrepartie, si une telle correction survenait bientôt, je crois qu'elle serait une bonne occasion d'investir dans des actions d'entreprises canadiennes dans des secteurs cycliques.

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À titre de vice-président et gestionnaire de portefeuilles chez Placements AGF, Marc-André Robitaille supervise la gestion d'un actif de 750 millions en actions de grandes entreprises canadiennes. Avant de joindre AGF l'an dernier, il a travaillé chez Newcrest Capital et Gestion de placements ING, en plus de diriger sa propre firme de gestion d'actif. Marc-André Robitaille est diplômé de maîtrise en finances (Université Laval) et un analyste financier agréé (CFA).