Jules habite Montréal depuis plusieurs années. Il y a deux ans, il y a acheté sa quatrième propriété, avec sa conjointe, pour y loger sa petite famille: une maison en rangée, neuve, dans un nouveau quartier de l'est de l'île, payée 370 000 $.

Le couple a un bon revenu, supérieur à la moyenne. Il aime sa maison et son quartier. Mais il s'interroge sur les coûts occasionnés par son choix de vivre en ville. «On a l'impression que notre budget est de plus en plus serré, dit Jules. On gagne bien notre vie, on n'a pas de dettes, mais même en surveillant nos dépenses de près, on ne réussit pas à épargner.»

Par exemple, dit-il, ils n'ont que 1500 $ comme coussin de sécurité, en cas d'imprévu. «On travaille tous les deux dans l'hôtellerie, un domaine où il y a souvent des fermetures et des mises à pied. On aimerait mettre de côté une somme suffisante pour couvrir trois mois de dépenses, comme les experts le recommandent, mais on n'y arrive pas.»

Marianne et Jules lorgnent donc parfois la banlieue, et se demandent si la vie y serait moins chère, étant donné le prix moins élevé des propriétés. Et cela suscite bien des questionnements pour Jules. «J'ai l'impression que, étant donné le revenu moyen à Montréal, les coûts de logement y sont plus élevés que dans d'autres grandes villes, avance-t-il. Si on a l'impression que ça nous coûte cher d'avoir une maison, je n'ose pas imaginer la situation de familles qui ont des revenus moins élevés que les nôtres. Pour ceux qui veulent acheter leur première propriété aujourd'hui, c'est presque impossible.»

PORTRAIT

Jules, 36 ans

Revenu : 76 000 $

REER : 60 000 $

Marianne, 33 ans

Revenu : 63 500 $

REER : 60 000 $

En couple depuis trois ans

Jules a un enfant de 7 ans en garde partagée et le couple a un bébé de 1 an

Tous les deux ont un régime de retraite à cotisations déterminées au travail.

Maison payée 370 000 $ en 2011

Hypothèque de 318 000 $

Dépenses de logement (hypothèques, impôts fonciers, frais de condo, chauffage, électricité, assurances) : 2160 $ par mois

Dépenses de voiture : (location, essence, assurances) : 750 $ par mois

***

Un casse-tête pour les familles

Le phénomène des familles qui quittent Montréal pour s'installer en périphérie préoccupe depuis plusieurs années les élus municipaux. Avec l'explosion du prix des propriétés - hausse de 150 % depuis 2000-, le problème s'est accentué.

«À la base, il y a un problème de disponibilité: des logements assez grands pour les familles qui veulent rester en ville, il n'y en a pas assez. Ce qui fait grimper les prix, et ça devient alors hors de prix pour bien des familles», souligne Christian Savard, directeur général de l'organisme Vivre en ville.

M. Savard a participé au Comité Montréal = Familles, mis sur pied par le ministre responsable de la métropole, Jean-François Lisée, pour trouver des solutions à l'exode des familles. Le comité a dévoilé à la mi-septembre des pistes pour s'attaquer au problème. Ses suggestions: améliorer l'accessibilité aux grands logements et aux terrains, inciter les promoteurs immobiliers à offrir des maisons qui répondent aux besoins des familles et faire la promotion de la qualité de vie à Montréal.

Par exemple, les autorités municipales pourraient obliger les promoteurs immobiliers à offrir une certaine proportion de logements destinés aux familles dans leurs nouveaux projets, dit Christian Savard. «Le marché privé a ses propres critères de fonctionnement. Si on veut améliorer l'abordabilité, il doit y avoir une intervention des pouvoirs publics», suggère-t-il.

Il existe à Montréal des subventions pour l'achat d'une première propriété. Pour les familles, le programme d'accession à la propriété prévoit une subvention de 10 000 $ ou 12 500 $ pour une résidence neuve de trois chambres à coucher, mais son prix ne doit pas dépasser 360 000 $, ce qui n'est pas facile à trouver. Le conseil municipal a majoré le montant maximum en mars dernier (il était auparavant de 310 000 $), mais ce plafond pourrait sans doute être encore augmenté, selon Christian Savard.

Les candidats aux élections municipales de novembre prochain proposent aussi différentes idées pour tenter de retenir les familles sur l'île.

Malgré tout, les études démontrent que Montréal est plus abordable que la majorité des autres villes d'Amérique du Nord, insiste-t-il. «Si on se compare à Toronto ou Vancouver, on se console.»

L'Indice d'abordabilité Desjardins (IAD) donne une bonne idée de l'évolution des coûts de propriété au Canada. Il calcule les coûts de propriété d'une résidence au prix moyen, en comparaison avec le revenu moyen des ménages. À Montréal, début 2013, l'abordabilité était légèrement inférieure à la moyenne des dernières années. Mais les ménages sont tout de même en meilleure position aujourd'hui qu'en 2007, selon l'IAD. Et leur situation s'est nettement améliorée si on la compare à celle d'il y a 25 ans: aujourd'hui, un ménage ayant un revenu moyen qui achète une maison de prix moyen doit y consacrer 31 % de son budget, comparativement à 41 % en 1990.

«Ça se reflète dans le nombre de défauts de paiement. Au début des années 90, bien des propriétaires remettaient les clés de leur maison aux institutions financières parce qu'ils ne pouvaient plus payer, alors qu'il y en a beaucoup moins aujourd'hui, souligne Hélène Bégin, économiste chez Desjardins. Ce sont les frais d'intérêt qui font toute la différence.» En 1990, les taux d'intérêt hypothécaires frôlaient les 13 %.

Des choix difficiles

Être propriétaire de maison à Montréal est légèrement plus difficile aujourd'hui. Mais la situation des ménages est moins dramatique qu'il y a 25 ans, et la métropole québécoise s'en tire toujours assez bien, quand on la compare à d'autres grandes villes du Canada et d'ailleurs dans le monde.

Mais alors, pourquoi les familles comme celle de Marianne et Jules ont-elles l'impression que leur budget est toujours difficile à boucler? Peut-être le problème ne vient-il pas des coûts de leur propriété. «On a des revenus plus importants qu'avant, et souvent deux revenus par famille, mais nos besoins sont aussi plus importants qu'avant, souligne Marie-Hélène Legault, qui enseigne l'économie à l'UQAM et a longtemps été conseillère budgétaire dans une ACEF. Les gens gardent leur voiture moins longtemps, achètent plus de meubles et de vêtements.»

«La notion de besoins essentiels a changé, ajoute Hélène Bégin. On n'attend plus que notre ancienne télé soit brisée pour en acheter une nouvelle: on veut juste le nouveau système de cinéma maison. On voit aussi beaucoup plus de gens qui voyagent. Les modèles de consommation font que les familles se sentent plus serrées pour payer leur maison.»

Les frais de télécommunication notamment ont explosé depuis quelques années, note Marie-Hélène Legault. Les familles paient des factures d'abonnement à l'internet et de cellulaire qui n'existaient pas avant, et qui se multiplient quand les enfants se mettent de la partie. «Les parents sont vraiment très sollicités», constate-t-elle.

Si certains, comme Marianne et Jules, pensent réduire leurs dépenses en achetant une maison moins chère en banlieue, Christian Savard les met en garde: beaucoup de familles de banlieue ont besoin de deux voitures, ce qui est très coûteux. «En ville, si on n'a pas à payer une deuxième auto, ça signifie qu'on peut se permettre une hypothèque de 50 000 $ ou 100 000 $ de plus», souligne-t-il. Et on ne parle même pas ici du temps passé sur les routes ni des péages qu'on parle d'imposer sur certains ponts.

«C'est une question de choix, prévient Marie-Hélène Legault. Une famille moyenne ne peut pas nécessairement acheter un bungalow en ville, avec un terrain aussi grand qu'en banlieue. Mais elle peut préférer une maison plus petite, quitte à ce que deux enfants partagent une chambre, pour pouvoir être plus proche du travail et d'autres commodités.»

Donc, Marianne et Jules doivent s'interroger sur leurs choix budgétaires tout autant que sur leurs choix de vie!

Classement des villes canadiennes selon l'Indice d'abordabilité Desjardins

Abordables :

Windsor

Kingston

Ottawa-Gatineau

Trois-Rivières

À surveiller:

Calgary

Toronto

Montréal

Québec

Peu abordables :

Vancouver

Sherbrooke

*

Villes de plus d'un million d'habitants ayant les propriétés résidentielles les plus abordables selon le revenu, dans sept pays:

1. Detroit

16. Dallas

24. Chicago

32. Ottawa-Gatineau

46. Calgary

58. Montréal

60. Boston

66. Toronto

68. Los Angeles et New York

76. Londres

77. San Francisco

80. Vancouver

81. Hong Kong

Source : Neuvième étude annuelle internationale Demographia sur l'abordabilité, 2013