Chaque année, des milliers de Québécois partent travailler à l'étranger. Peu importe que l'on envisage de partir pour quelques années ou pour toujours, certaines précautions s'imposent avant le départ, notamment pour s'assurer d'être en règle avec le fisc. Sinon, un éventuel retour peut coûter cher.

Les expatriés qui travaillent dans un pays où le taux d'imposition est plus faible qu'ici - par exemple les États-Unis - se réjouissent souvent à l'idée qu'ils paieront moins d'impôts. Mais ce n'est pas toujours si simple. On n'arrête pas automatiquement de payer des impôts au fisc canadien lorsqu'on travaille à l'étranger. Plusieurs facteurs sont pris en considération pour déterminer où l'on paiera notre dû.

Il existe deux types d'expatriés : ceux qui partent temporairement, et qui seront toujours considérés comme des résidants du Canada, et ceux qui quittent le Canada définitivement, qui deviendront non-résidants. Le statut et les conditions qui s'appliquent sont différents dans ces deux cas et déterminent notamment où l'on doit payer des impôts. Comment sont-ils établis ?

-Départ temporaire 

Si on part en ayant l'intention de revenir éventuellement, on reste résidant canadien et on doit continuer de faire une déclaration de revenus et de payer des impôts ici. « Ce qui compte, c'est l'intention au départ », souligne Brigitte Roy, gestionnaire en fiscalité pour Planification d'impôt Expat. Par exemple, si on conserve une résidence au Canada avec tous ses biens, si le conjoint et les enfants mineurs restent ici, si on maintient ses comptes bancaires et ses placements, ça dénote une intention de revenir. Même chose si on part dans le but de remplir un mandat précis pour une période déterminée pour son employeur.

-Départ définitif

Dans le cas d'un déménagement définitif, un expatrié deviendra non-résidant et n'aura plus d'obligation de payer des impôts au Canada. Mais pour être reconnu comme tel, « il faut démontrer qu'on a coupé tous les liens économiques et sociaux, explique Stephane Leblanc, fiscaliste associé chez Ernst & Young. Ça veut dire qu'on part avec sa famille, qu'on annule sa carte soleil et son permis de conduire, qu'on casse son bail ou qu'on vend ou loue sa maison. »

Le fisc présume aussi que quelqu'un qui part pour toujours disposera de tous ses biens et sera imposé sur le gain en capital réalisé. Ça veut dire que, dans sa dernière déclaration de revenus, un Canadien qui quitte le pays doit payer des impôts sur le profit réalisé à la vente de ses placements et de ses autres actifs, peu importe qu'il les vende réellement ou non. La résidence familiale est exemptée de l'impôt sur le gain en capital, mais pas le chalet. « Des gens qui quittent le pays définitivement veulent souvent garder un chalet ici, raconte Brigitte Roy. Mais ils doivent payer l'impôt sur le gain en capital même s'ils ne le vendent pas. » La somme due sera calculée selon la valeur marchande à la date du départ.

Certaines personnes peuvent juger qu'il serait tout de même plus avantageux pour elles de devenir non-résidantes, même si elles ont l'intention de revenir éventuellement, parce que le taux d'imposition est moins élevé dans le pays où elles travailleront. Mais il n'est pas certain qu'elles passeront le test. Pour devenir non-résidant, il ne faut plus avoir de lien primaire au Canada (une résidence principale disponible pour nous loger et des personnes dépendantes), et presque plus de liens secondaires. « La liste des liens secondaires comporte 35 points, comme le passeport, les cartes de crédit, les comptes bancaires, la carte d'assurance maladie et le permis de conduire, explique Brigitte Roy. Pour être considéré comme non-résidant, on ne doit pas conserver plus que trois de ces liens secondaires. »

Les REER, les CELI et les sommes accumulées à la Régie des rentes du Québec peuvent être conservés, mais un non-résidant ne peut plus y contribuer.

Allers-retours chez l'Oncle Sam

C'est aux États-Unis que les expatriés québécois sont les plus nombreux, proximité oblige. Avant de chercher à tout prix à payer ses impôts là-bas plutôt qu'ici, il faut bien analyser la situation, note Stephane Leblanc. « Généralement, le taux d'imposition est moins élevé qu'au Canada, mais ça varie d'un État à l'autre, dit-il. Il faut aussi s'informer sur l'assurance maladie: elle peut être fournie par l'employeur, mais sinon, il faut prendre une assurance privée. Même chose pour l'épargne retraite : il peut y avoir un régime en entreprise, mais pas toujours. »

Si l'on devient non-résidant canadien, on doit informer les États-Unis de certains de nos avoirs en s'y installant, notamment si on a plus de 100 000 $ en REER. Un non-résidant qui déciderait de revenir au Canada, par exemple avant sa retraite, pourrait décider de retirer les fonds de son REER avant de rentrer, suggère M. Leblanc. « On pourrait ainsi profiter d'un taux d'imposition plus avantageux. »

Dans la plupart des cas, mieux vaut demander les conseils de spécialistes avant de prendre un aller simple vers d'autres cieux. Chaque situation est particulière, chaque pays a ses règles et il y a une multitude de détails à considérer dans la planification d'un tel changement. « Surtout que, cette année, on se rend compte que les expatriés, et généralement les Canadiens qui ont des biens à l'étranger, sont ciblés par des vérifications du ministère du Revenu », confie Brigitte Roy. Il ne faudrait pas qu'une superbe expérience de travail dans une autre contrée soit assombrie par des angoisses fiscales !

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Planifier son retour au bercail

Étienne est parti à l'aventure il y a trois ans, après ses études de maîtrise en gestion : dès la fin de ses examens, il s'est installé à Hong Kong, où il a travaillé un an pour une institution financière. Il s'est ensuite lancé à son compte, comme consultant auprès de gens d'affaires qui veulent faire du commerce avec l'Asie.

Il adore son expérience. « J'aime l'atmosphère, la rapidité, l'amabilité et la simplicité des gens, l'odeur, le bruit, la nourriture, raconte-t-il. J'aime aussi avoir le sentiment d'être «là où ça se passe». C'est passionnant de voir la Chine se transformer. »

Ses affaires vont bien. « Il y a des temps d'arrêt entre les contrats, mais ça me convient puisque mon but, en plus d'avoir une expérience de travail à l'étranger, était aussi de voyager et de découvrir l'Asie », dit le jeune homme. Son entreprise de consultation est enregistrée à Hong Kong, mais Étienne est installé principalement à Shanghai et voyage beaucoup dans toute la Chine.

Cependant, il songe maintenant à rentrer au bercail, d'ici deux ans. « Ma copine chinoise et moi aimerions avoir des enfants, explique-t-il. Mais avec la pollution, le manque d'espace, la forte pression sur les enfants à l'école, nous ne croyons pas qu'il est judicieux de fonder une famille ici. Je veux revenir au Québec quelques années afin d'acquérir une certaine stabilité, pour ensuite poursuivre à l'étranger. »

Il se pose plusieurs questions sur les démarches à entreprendre pour préparer son retour. « Je me demande si je dois fermer ma compagnie en quittant Hong Kong, ou alors si je dois la conserver, et même acheter une propriété au Québec au nom de mon entreprise. »

Son statut est un peu particulier : il est toujours considéré comme un résidant du Canada, il fait des déclarations de revenus depuis son départ... mais il ne déclare aucun revenu. « C'est mon entreprise, dont je suis actionnaire à 100 %, qui réalise tous les revenus et qui couvre toutes mes dépenses, explique-t-il. Mon entreprise paie des impôts à Hong Kong. Pour avoir le droit de travailler en Chine, je dois y déclarer des revenus et payer des impôts, mais c'est un de mes clients qui s'en charge, ce qui est une pratique courante en Chine. »

PORTRAIT

Étienne, 28 ans, consultant pour gens d'affaires

Installé à Hong Kong depuis trois ans

Retour au Québec prévu dans deux ans

Revenus de consultant : 0$

Revenus de son entreprise : 80 000 $

Liquidités : 6000 $

Placements : 28 000 $

Dettes (prêt étudiant) : 4500 $

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Même à l'étranger, le fisc surveille

En tant que résidant canadien, Étienne aurait dû déclarer ses revenus des dernières années. Comme il ne l'a pas fait, il s'expose à des problèmes avec le fisc. « Les Canadiens sont imposables sur l'ensemble de leurs revenus mondiaux, explique Stephane Leblanc, de Ernst & Young. Il dit qu'il n'a pas touché de revenus, mais si son entreprise a payé son logement et toutes ses dépenses personnelles, ça peut être considéré comme un avantage imposable au Canada. Le fait qu'il produise une déclaration en n'indiquant aucun revenu, ça peut lever un drapeau rouge pour les vérificateurs du ministère du Revenu. »

Le jeune homme aurait donc tout intérêt à régulariser sa situation, avant que le gouvernement ne se pose des questions. « S'il fait une divulgation volontaire, il pourrait éviter les pénalités », dit M. Leblanc.

De toute façon, en quittant la Chine et en fermant son entreprise, l'argent qui s'y trouve lui reviendra en mains propres. « Comme il est résidant canadien, ces sommes seront considérées comme un dividende d'une société étrangère et seront taxées comme des revenus d'intérêts, au même taux que ne le serait un salaire », ajoute-t-il.

S'il avait été non-résidant canadien en bonne et due forme, Étienne aurait pu fermer son entreprise avant de revenir, payer ses impôts à Hong Kong et entrer au Canada avec son argent en poche. « C'est comme pour un immigrant : il peut entrer au pays avec ce qu'il veut, pourvu qu'il le déclare aux douanes, dit la fiscaliste Brigitte Roy. Et ensuite, il sera bienvenu pour payer des impôts ici. »

Mais les questions d'Étienne au sujet de son statut montrent bien, selon les experts, qu'il faut obtenir des conseils avisés avant de faire le grand saut.