Les scandales de corruption, les désastres environnementaux et les tragédies comme l'effondrement d'une usine de textile au Bangladesh amènent les citoyens à se questionner de plus en plus sur leurs choix d'investissement. Mais s'il est possible de faire de l'argent tout en améliorant le sort de la planète, encore faut-il être prêt à s'investir soi-même dans ses placements.

«Si acheter, c'est voter, investir, c'est financer un parti électoral!», dit Olivier Gamache, président du Groupe investissement responsable (GIR), dont l'un des mandats est d'aider les gestionnaires de fonds à mettre sur pied des produits financiers en fonction de critères d'investissement socialement responsable (ISR).

Ce concept d'ISR, qui inclut des préoccupations sociales, environnementales et de bonne gouvernance dans les critères d'investissement, ne date pas d'hier. Dès le XIXe siècle, des communautés religieuses aux États-Unis excluaient les industries liées aux «vices» comme l'alcool et le jeu de leurs portefeuilles de placement. Mais l'ISR a véritablement pris son envol au tournant des années 2000. Depuis, il connaît une croissance soutenue.

Selon l'Association pour l'investissement responsable (AIR), les actifs gérés conformément à des critères de durabilité et de responsabilité sociale ont augmenté de 16 % depuis 2010. Ils sont passés de 517,9 milliards à 600,9 milliards de dollars et, au 31 décembre 2011, ils constituaient 20 % des actifs sous gestion dans l'industrie financière.

Au Canada, il existe maintenant plus de 70 fonds gérés selon des critères d'ISR. «Ce n'est plus négligeable, indique Denis Lapointe, conseiller en placements rattaché à Valeurs mobilières DWM. Mais le problème avec ces fonds, c'est qu'il faut les décortiquer, car ce qui peut être éthique pour les uns ne l'est pas nécessairement pour les autres. Au Québec, on voudra éviter les firmes d'ingénierie en ce moment alors que, dans le reste du Canada, c'est une question moins sensible.»

De plus, les frontières entre les fonds « traditionnels » et ceux dits «éthiques» ou «socialement responsables» sont de plus en plus floues. «Les fonds traditionnels ont aussi des préoccupations éthiques puisque ce sont des risques financiers. Il va de soi qu'un bon gestionnaire va en tenir compte», constate Fabien Major, président de Major Gestion privée.

Alors, comment s'y retrouver? Consulter son conseiller financier est un bon point de départ. Toutefois, bien peu s'y connaissent au Québec en matière d'investissement ISR. Et les conseillers spécialisés dans ce domaine sont rares. Le site web de l'AIR (isresponsable.ca) en répertorie une demi-douzaine.

Pascale Imbeau, conseillère en placement de Valeurs mobilières Banque Laurentienne, est l'une de celles-là. «L'univers des fonds ISR n'est pas différent de celui des fonds traditionnels, prévient-elle. Il y a d'excellents gestionnaires, d'autres qui sont ordinaires ou qui font moins bien. Il faut s'informer.»

Plusieurs stratégies sont utilisées par les fonds ISR pour sélectionner les entreprises dans lesquelles ils investissent. Plusieurs vont exclure d'office les secteurs du tabac, de l'alcool, du jeu ou des armes. Certains n'auront aucun critère d'exclusion et vont plutôt inclure des sociétés qui ont une bonne performance environnementale ou sociale. Enfin, d'autres appliquent la philosophie du Best in class pour choisir les entreprises les plus performantes de leur secteur.

Le choix d'inclure ou non certaines entreprises alimente la controverse entourant les fonds d'ISR. Certains seront surpris, par exemple, de voir des pétrolières, des minières ou des entreprises qui exploitent les sables bitumineux en faire partie. Or, les entreprises de ce secteur représentent plus du quart de l'indice composé TSX. S'en priver voudrait dire se priver d'une grande partie du rendement. Responsable doit aussi rimer avec rentable!

«Il y a une dichotomie entre ce que les gens croient acheter et ce qu'ils achètent vraiment», déplore tout de même Fabien Major, qui a déchanté le jour où il a voulu créer un site internet présentant les offres existantes en matière de fonds ISR. «J'ai finalement abandonné, car je trouvais qu'il y avait beaucoup de marketing financier là-dedans et j'avais un malaise de m'y associer», dit-il.

Il déplore le peu de mécanismes d'exclusion de certains fonds. «Les fonds traditionnels sont parfois plus sévères que certains fonds éthiques, qui tolèrent des entreprises sous prétexte qu'elles veulent s'améliorer», dit-il.

À ses clients plus sensibles à ces questions, il suggère des fonds spécialisés, par exemple, dans les énergies renouvelables. «Ce sont des placements plus risqués, prévient-il cependant, car ces entreprises ne font pas encore de profits. Mais le client est prêt à l'assumer parce que ça correspond à ses valeurs.»

Pour Pascale Imbeau, la grande différence entre les bons et les moins bons fonds d'ISR est le degré d'engagement du gestionnaire. «Je vais privilégier les fonds où le gestionnaire va utiliser activement son droit de vote pour inciter les entreprises à s'améliorer.»

C'est le cas chez Placement NEI, qui détient 50 % du marché des fonds éthiques au Canada. Selon Michelle De Cordova, directrice de l'engagement des entreprises et des politiques publiques, l'activisme financier est la pierre angulaire de la philosophie de l'ISR.

«Dès le lendemain de la tragédie du Bangladesh, nous avons pris contact avec Loblaw pour l'inciter à signer un accord de sécurité dans les usines de textile là-bas et nous allons nous assurer qu'elle respecte ses engagements», dit-elle.

Chaque automne, le gestionnaire cible des entreprises problématiques qu'il place sur sa liste Focus, en leur fixant des objectifs d'amélioration pour les 12 prochains mois. Sans quoi, elles risquent d'être exclues. Ce fut le cas pour Enbridge récemment, dont le projet d'oléoduc Northern Gateway suscite la colère des Premières Nations.

Pour Olivier Gamache, du GIR, qui conseille les gestionnaires sur leur droit de vote et qui l'exerce aussi en leur nom, l'activisme doit aussi être à la base de l'ISR, même pour le petit investisseur. «Malheureusement, la majorité des gens mettent plus de temps à choisir une paire de jeans que les fonds qui composent leur REER...»

Trois mythes sur l'ISR

1) Ce sont des fonds religieux

Ils ont commencé comme ça, mais ce n'est plus le cas aujourd'hui. D'ailleurs, pour éviter de confondre les placements qui se basent sur la morale, en excluant uniquement les fabricants d'armes, de mines antipersonnelles ou de tabac, on préfère maintenant parler de fonds d'investissement socialement responsable (ISR) plutôt que de fonds éthiques.

2) Ils offrent de moins bons rendements

Entre 2007 et 2009, la firme de consultation Mercer a recensé 32 études qui comparaient le rendement des fonds d'ISR à ceux des fonds traditionnels. De ces études, 28 montraient que les fonds d'ISR avaient de meilleurs rendements, 2 montraient que les rendements étaient les mêmes et une seule concluait que les fonds ISR obtenaient de moins bons rendements que les fonds traditionnels. Les meilleurs battent souvent les indices de référence. Toutefois, ils seraient moins performants à long terme en raison de leurs frais de gestion élevés, comme c'est le cas pour la plupart des fonds communs.

3) Ce sont des fonds qui excluent des entreprises seulement

Investir de façon responsable ne veut pas seulement dire éviter les entreprises polluantes. La plupart des fonds éthiques appliquent des filtres positifs, c'est-à-dire qu'ils incluent aussi les entreprises qui tentent de s'améliorer. Voilà pourquoi on y trouve des entreprises du secteur du pétrole, entre autres.

Une industrie non réglementée

Avant de confier votre argent au premier fonds d'ISR venu et pour éviter de tomber dans le piège du marketing financier, il ne faut pas hésiter à poser des questions à son gestionnaire ou conseiller. Quels filtres sont utilisés pour choisir ou exclure certaines entreprises ? Est-ce que le gestionnaire utilise activement son droit de vote, dépose-t-il des propositions ? Il est aussi recommandé de lire les prospectus pour connaître les politiques à cet égard.

Au Québec, il n'existe actuellement pas de normes permettant d'encadrer l'offre de fonds d'ISR. En Europe, le label ISR Novethic facilite la tâche du consommateur en évaluant les fonds offerts selon des critères précis.