Il faut du courage pour changer de carrière au milieu de la trentaine, surtout si la réorientation exige des études à temps plein. Du courage, des ressources financières et, surtout, du soutien de son entourage ! Devenir étudiant à temps plein quand on a une famille, une maison et des obligations demande de sérieux réajustements. Et, possiblement, d'accepter de s'endetter.

Un tel projet ne concerne pas que le futur étudiant. « Ça demande un effort de toute la famille », souligne Lison Chèvrefils, planificatrice financière et coauteure du livre Les bons comptes font les bons couples. « Les deux conjoints doivent s'entendre pour réduire leurs dépenses au cours de cette période. Il faut donc pouvoir se mettre d'accord sur les choix à faire. »

À moins d'avoir prévu le coup et d'avoir épargné les sommes nécessaires, un retour aux études est un casse-tête financier. Les adultes sont admissibles aux prêts et bourses offerts par l'Aide financière aux études, mais l'aide financière maximale n'est que de 13 500 $. Dès que leur conjoint gagne plus de 48 000 $, l'aide financière diminue graduellement. Christian Blanchette, doyen de la Faculté de l'éducation permanente (FEP) de l'Université de Montréal, note que le programme d'aide financière est mal adapté aux adultes, puisqu'il tient compte des revenus de l'année précédente pour évaluer l'admissibilité. « Une personne qui se retrouve au chômage et décide d'étudier à temps plein ne pourra rien recevoir la première année, dit-il. Comme on n'a pas droit non plus à l'assurance-emploi quand on est aux études, c'est tout un défi. »

Il n'est pas facile de demander à notre conjoint de contribuer financièrement à notre projet de retour aux études. C'est ce qui freinait l'élan de Patrick, un jeune père de famille qui caresse le projet de changer de carrière après six ans d'études, dont quatre à temps plein sans possibilité de travailler, sauf l'été. « Au début, je n'osais pas y penser sérieusement, raconte-t-il. Avec une famille, ce n'est pas évident d'être sans revenu pendant si longtemps. »

Qui paie la facture?

Le revenu de sa conjointe est suffisant pour couvrir presque toutes les dépenses de la famille. Mais pour éviter qu'elle soit pénalisée financièrement à cause de son retour aux études, Patrick veut continuer à contribuer aux dépenses de logement, en empruntant sur une marge de crédit. « Ma blonde m'a donné son accord, mais je ne veux pas la faire payer pour mon choix », dit-il.

Mais est-ce logique que Patrick s'endette pour son retour aux études alors que sa conjointe gagne assez pour faire vivre la famille? La vie de couple ne signifie-t-elle pas que l'on mette les ressources en commun pour le bien-être de tous? Selon Lison Chèvrefils, une telle situation exige une réflexion sur l'engagement des conjoints l'un envers l'autre. « Quand on est plus que des colocs, on accepte en général de s'épauler mutuellement, note-t-elle. Il ne faut pas nécessairement fusionner les finances, mais on s'attend à une forme d'entraide. Quand on retourne aux études, c'est pour être plus heureux dans son travail, avoir un meilleur salaire, et toute la famille devrait en bénéficier. »

Personne n'est à l'abri d'une baisse de revenu, fait-elle remarquer. Il peut s'agir d'une perte d'emploi, d'une maladie ou d'un accident, d'un enfant malade qui nécessite la présence constante de l'un des parents. « Chaque couple doit alors trouver les aménagements qui lui conviennent », dit-elle.

L'entente d'union de fait: un must

Un tel projet peut être le bon moment pour les couples en union de fait de signer une convention de vie commune. Annie et Patrick ont déjà une telle entente, qui prévoit le partage du patrimoine familial en cas de séparation. Il s'agirait qu'ils modifient les termes de leur contrat, pour tenir compte des changements dans les contributions de chacun, si tel est leur désir. « Ainsi, la personne qui fournit un plus grand apport financier n'aura pas l'impression qu'on profite d'elle, et l'autre se sentira honnête », commente Lison Chèvrefils.

Idéalement, le conjoint retourné aux études devrait par la suite apporter une contribution plus importante aux dépenses du ménage. Mais ce n'est pas toujours possible. Dans un couple, tout ne se calcule pas nécessairement en argent sonnant et trébuchant... Et de toute façon, faire ce qu'on aime dans la vie, ça n'a pas de prix !

REEP, le RAP-études

Le Régime d'encouragement à l'éducation permanente (REEP) est moins connu que le Régime d'accession à la propriété (RAP), mais il fonctionne à peu près de la même façon : si vous avez accumulé suffisamment de fonds dans vos REER, vous pouvez retirer 10 000 $ par année, jusqu'à un maximum de 20 000 $, pour un projet d'études à temps plein, pour vous ou votre conjoint. Les sommes retirées doivent être remises dans le REER au cours des 10 années suivantes.

En chiffres...

> 47 % des étudiants dans les universités québécoises sont des adultes (personnes de 25 ans et plus qui sont de retour aux études).

> À la Faculté de l'éducation permanente de l'Université de Montréal, 30 % des inscriptions sont à temps plein.

> La moitié des étudiants ont un revenu inférieur à 30 000 $, et le quart, un revenu inférieur à 12 000 $.

> 17 % reçoivent de l'aide financière de leur employeur pendant leurs études.

> Moins de 20 % des étudiants sont en réorientation professionnelle.

> 60 % étudient pour de l'enrichissement professionnel.

--------------------

LE PORTRAIT

Patrick, 36 ans

Travailleur autonome dans le secteur juridique

Revenu : 58 000 $

REER : 100 000 $

CELI : 9500 $

*

Annie, 35 ans

Relationniste de presse

Revenu : 95 000 $

REER : 90 000 $

CELI : 20 000 $

Cotise à un régime de retraite à prestations déterminées

Parents de deux enfants de moins de 5 ans

Hypothèque : 155 000 $, pour un condo évalué à 320 000 $

Prêt auto : 30 000 $

*

LE PROBLÈME

Patrick n'aime plus son travail. Après plusieurs années, il se rend compte qu'il ne correspond pas à sa personnalité et qu'il a perdu son enthousiasme. En plus, c'est un secteur en perte de vitesse, où les perspectives ne sont pas très réjouissantes. Le jeune père a trouvé la profession qui l'intéresse, dans le domaine des médecines douces. Seul hic : la formation dure six ans, dont quatre à temps plein sans possibilité de travailler, sauf pendant les mois d'été. Coût de la formation, incluant le matériel : 65 000 $.

Après quelques discussions de couple, Patrick va de l'avant avec son projet. « Ma blonde m'a donné le feu vert, pourvu que je continue de payer ma part de l'hypothèque », explique-t-il.

Pour participer aux dépenses communes et payer ses frais d'études, avec des revenus de moins de 10 000 $ par année pendant ses quatre années à temps plein, Patrick prévoit emprunter environ 110 000 $ sur une marge de crédit, au taux de 3,5 %. « Je pense avoir des revenus plus importants après mes études, au moins 75 000 $ par année, ce qui me permettrait de rembourser mes dettes en 10 ans environ », dit-il.

LA SOLUTION

Selon le planificateur financier Gaétan Veillette, du Groupe Investors, Patrick devrait emprunter le moins possible, pour éviter les frais d'intérêts. Puisque Annie, la conjointe de Patrick, a un bon revenu, elle pourrait assumer à elle seule presque toutes les dépenses de la famille. Pour payer les frais de 65 000 $ reliés à sa formation, Patrick pourrait retirer 20 000 $ de son REER, par l'entremise du REEP. Un emprunt d'environ 50 000 $ sur la marge de crédit devrait être suffisant pour couvrir les autres dépenses pendant ses années d'études.

« A priori, le couple devrait utiliser ses liquidités avant d'emprunter à la banque, souligne M. Veillette. Comme Patrick se préoccupe de ne pas imposer un fardeau financier trop lourd à sa conjointe, ils pourraient conclure une entente indiquant le niveau de contribution de chacun. Si Annie assume 90 % des dépenses communes pendant cette période, ils pourraient convenir qu'elle aurait droit, en cas de séparation, à 90 % de l'augmentation de la valeur du patrimoine familial pendant cette période. »

Patrick est réticent à piger dans son épargne retraite pour financer son projet d'études, puisqu'il prévoit toujours être travailleur autonome et ne pourra pas compter sur le régime de retraite d'un employeur. « C'est une question de préférence personnelle, certains se sentent plus en sécurité en sachant que les fonds sont là pour leur retraite, commente Gaétan Veillette. Mais en réduisant les intérêts à payer à la banque, l'utilisation du REEP permet une meilleure évolution du patrimoine du ménage. » De toute façon, les règles du REEP obligeront Patrick à remettre les sommes qu'il aura retirées de son REER au cours des 10 années suivantes.

Au final, le projet de retour aux études de Patrick est susceptible d'améliorer la situation financière de la famille. Selon les prévisions de Gaétan Veillette, si le revenu de Patrick s'élève à 75 000 $ après ses études, tel qu'il le prévoit, il fera ses frais d'ici 2030. Malgré les coûts de son projet, le bilan à long terme devrait être positif pour les finances du ménage.