Chaque samedi, un financier répond à nos questions. Il donne sa lecture des marchés, offre son point de vue sur la Bourse et donne quelques conseils d'investissement.

Cette semaine, Connor O'Brien, chef de la direction et directeur principal des placements chez Gestion d'actifs Stanton, à Montréal.

À votre avis, quel est l'événement le plus significatif des derniers jours à la Bourse?

Ce furent les commentaires du président de la Réserve fédérale américaine (Fed), Ben Bernanke, devant le Congrès à Washington, voulant qu'il puisse atténuer bientôt son plan de soutien financier massif à l'économie.

Vu l'ampleur de ce plan depuis la crise financière de 2008 et la « Grande Récession » qui suivit, les commentaires de Bernanke ont eu un impact immédiat en Bourse. Mais on a vu que les marchés ont continué de bien se tenir ensuite, étant donné les bons indices économiques aux États-Unis.

N'empêche, ces commentaires de Bernanke ont rehaussé le risque de volatilité en Bourse à court terme, ce qui sera inconfortable pour les investisseurs après des mois de relative stabilité haussière.

Quel indicateur suivez-vous le plus attentivement en ce moment?

Les données mensuelles de mises en chantier résidentielles aux États-Unis sont le plus à surveiller ces temps-ci, en raison de l'importance considérable de ce secteur dans l'économie américaine.

Le redressement de l'immobilier résidentiel est aussi une priorité de la Réserve fédérale (Fed) afin de générer de la croissance économique et de la création d'emplois.

En contexte, les mises en chantier aux États-Unis ont atteint les 2 millions d'unités par an avant la crise financière de 2008. Elles ont chuté ensuite des trois quarts jusqu'à 500 000 unités, avant de rebondir récemment proche du million. La Fed semble vouloir les remonter autour de 1 million et demi, comme un moyen de regagner les 4 millions d'emplois perdus lors de la « Grande Récession ».

Au total, le rebond des mises en chantier, combiné au regain de confiance des consommateurs, est une tendance encore ralentie, mais néanmoins très significative pour l'économie américaine et la Bourse.

Que feriez-vous avec plusieurs milliers de dollars à investir?

En tout temps, les investisseurs doivent avoir une bonne diversification de portefeuille. Et ne pas hésiter à consulter des professionnels compétents pour mieux gérer leurs placements en fonction de leur situation personnelle.

Cela dit, chez Stanton, nous maintenons une forte préférence pour les titres à rendement courant (au comptant) avantageux, plutôt que des titres dont le rendement dépend surtout de la variation de leur valeur.

Avec une somme à investir, j'irais dans deux catégories de titres: à 40 % dans les obligations d'entreprises fiables à taux d'intérêt plus élevé et à 60 % dans les actions d'entreprises bien établies qui versent un dividende fiable et croissant.

Dans ces actions à dividende, je préfère les grandes entreprises américaines qui sont des meneurs mondiaux dans leur marché respectif. Plusieurs d'entre elles sont redevenues des machines à profit depuis quelques trimestres.

Sur la Bourse canadienne, je me concentrerais aussi sur les actions à dividende de grandes entreprises fiables, incluant les banques. J'éviterais celles qui sont liées au secteur des matières premières et de l'or.

Quel placement évitez-vous à tout prix?

J'en vois deux catégories.

D'abord, les obligations gouvernementales à très faible taux d'intérêt sont devenues beaucoup trop à risque de perdre de la valeur dès le premier indice d'une remontée des taux par les banques centrales.

Ça comprend les obligations à taux minime émises récemment par de grandes entreprises, afin de se refinancer à des taux historiquement très bas.

Chez Apple, par exemple, les obligations (à 0,8 %) ont perdu 5 % en 2 semaines après leur émission, alors que l'économie américaine va mieux et qu'une remontée des taux, même timide, se rapproche.

Par ailleurs, parmi les actions à dividende, il faut être prudent envers les entreprises très généreuses, trop même, par rapport à leur surplus de fonds autogénérés (cash flow).

Sur la Bourse canadienne, il y a plusieurs de ces entreprises, comme Yellow Media (Pages jaunes) ou Extendicare (hébergement médical), qui ont dû réduire leurs dividendes élevés. Ces dividendes étaient devenus insoutenables avec la dégradation des affaires. En Bourse, les actions de ces entreprises ont perdu beaucoup.

Qu'est-ce que les marchés sous-estiment le plus actuellement?

Depuis un bon moment, les banques centrales appuient le plus la reprise de la croissance économique et, partant, la valorisation boursière.

Mais les marchés sous-estiment l'importance de ce soutien, et surtout leur vulnérabilité au moindre changement de politique parmi les banques centrales.

Jusqu'à présent, leurs directeurs ont été très prudents dans leurs commentaires, qui pourraient secouer les marchés et nuire à la reprise économique.

Au Canada, par ailleurs, les investisseurs sous-estiment l'impact de la fin du « super-cycle » des matières premières. D'autant qu'il leur a été si favorable pendant des années, jusqu'aux plus récents trimestres.

En fait, ce ressac de valeur des matières premières pourrait durer des années, peut-être une décennie. Et trop peu d'investisseurs canadiens ont ajusté leur portefeuille en conséquence.

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Connor O'Brien est chef de la direction, directeur principal des placements et coactionnaire fondateur de Gestion d'actifs Stanton. Cette firme de Montréal, qui regroupe 42 employés, gère pour 1 milliard de dollars d'actifs financiers. Elle compte parmi ses clients les fonds communs O'Leary, des investisseurs institutionnels et des particuliers fortunés.