Tout s'est passé très vite: trois mois après avoir rencontré Charles, Marie-Hélène était enceinte et emménageait chez lui, dans l'immeuble qu'il possédait depuis deux ans. Les nouveaux conjoints ont des revenus à peu près équivalents; Charles paie l'hypothèque et les frais liés à la propriété (taxes, assurances, etc.), tandis que Marie-Hélène paie l'épicerie, les sorties et les achats destinés au nouveau bébé.

Trois ans plus tard, avec l'arrivée d'un nouvel enfant, Charles vend son immeuble pour acheter un triplex. «À ce moment, j'ai demandé à être copropriétaire, mais mon conjoint ne voulait rien savoir, raconte Marie-Hélène. Il m'a simplement proposé 15% des profits le jour où l'on vendrait. Je considérais que c'était raisonnable, puisque je n'avais pas participé à la mise de fonds pour l'achat du premier immeuble. Je n'ai pas pensé à faire inscrire cet engagement dans un document notarié, j'avais confiance en Charles...»

Mais après 10 ans de vie commune, le couple se sépare, dans un climat orageux. Charles est chez lui; Marie-Hélène doit quitter le logis familial. Et l'ex-conjoint refuse de verser quoi que ce soit à la jeune femme, pour reconnaître qu'elle a contribué indirectement au paiement des frais de propriété par sa participation aux dépenses familiales.

«Je ne demande pas la moitié de la maison, explique-t-elle. Je sais que je n'ai pas droit au patrimoine familial, puisqu'on n'était pas mariés. Mais je veux qu'il reconnaisse ma contribution aux dépenses. Et qu'il me rembourse les 8000$ que j'ai payés en rénovations.» En tout, elle estime avoir droit à plus de 40 000$. En attendant, elle n'a pas suffisamment d'épargne pour acheter une nouvelle propriété. Et elle doit faire appel à un avocat pour tenter d'obtenir ce qu'elle réclame.

Partir les mains vides

Les Québécois sont les champions de l'union libre. On parle abondamment de la cause de Lola contre Éric, dans laquelle la Cour suprême a rendu sa décision la semaine dernière. Mais cette cause, où des millions de dollars étaient en jeu, a occulté la réalité de milliers de conjoints de fait québécois, qui ont des revenus ordinaires, n'ont pas pris la peine de signer les documents requis et se retrouvent en mauvaise posture après une rupture.

Lorsqu'un conjoint de fait habite une propriété qui appartient à l'autre, il court souvent à la catastrophe. «La pire des situations, c'est de s'installer chez son nouvel amoureux sans être marié, et de payer 50% des dépenses sans que ça soit écrit nulle part», souligne Guylaine Fauteux, conseillère budgétaire à l'association coopérative d'économie familiale (ACEF) de Lanaudière. «En cas de séparation, notre part a été payée en pure perte, alors que l'autre a toujours sa maison, qui a pris de la valeur.»

L'idéal, c'est que les deux conjoints détiennent une participation dans la propriété. Dans la brochure «À vos amours, à vos affaires», à laquelle Mme Fauteux a contribué, l'ACEF recommande de consulter un avocat ou un notaire pour s'entendre sur un accord équitable. Quelle est la mise de fonds de chacun? Dans quelle proportion les conjoints contribuent-ils au remboursement de l'hypothèque? Mieux vaut colliger tous ces détails.

«Il faut d'abord tenir compte de la capacité de payer de chacun», note Me Guylaine Lafleur, notaire et planificatrice financière au sein de la firme Bachand Lafleur. En effet, le nouveau conjoint n'a pas nécessairement les liquidités nécessaires pour racheter à l'autre une partie de sa propriété. Cependant, s'il participe au remboursement de l'hypothèque à partir du moment où il emménage, son apport doit être reconnu.

Comment? En l'inscrivant dans l'acte de propriété, avec les détails de sa participation financière, et par une convention de copropriété entre les conjoints, qui indiquera ce qui se passe en cas de rupture, qui garde la maison, comment on établit sa valeur, de quelle façon celui qui reste rembourse l'autre, etc. «On peut aussi se protéger par une convention de vie commune pour le reste, par exemple en prévoyant une certaine reconnaissance du patrimoine familial, surtout si on a des enfants, ajoute Me Lafleur. Évidemment, il est important aussi de faire un testament.»

Période d'essai

«Mais dans un monde où les couples se font et se défont à une vitesse folle, c'est une bonne idée d'attendre avant de devenir copropriétaires», suggère Guylaine Fauteux. Au début de la cohabitation, le nouvel arrivant peut verser un loyer au conjoint propriétaire, qui tiendra compte des frais de chauffage, des assurances, voire des frais de condo, «mais pas du remboursement du prêt hypothécaire», note la planificatrice financière Lison Chèvrefils, coauteure de Les bons comptes font les bons couples. «Après cette période d'essai, l'idéal est d'acheter plus grand, ensemble, pour faire table rase et partir sur de nouvelles bases.»

C'est justement ce que font Philippe Meilleur et sa conjointe Caroline. Le jeune homme de 27 ans a acheté un condo en 2007. Sa copine y a emménagé avec lui en 2010, alors qu'elle était encore étudiante. «Je ne lui demande pas de loyer, même si elle a maintenant un emploi, mais on partage les dépenses communes», dit-il. La jeune femme est donc en mesure d'épargner pour l'achat du condo où ils emménageront en 2014. «Pour ce nouvel achat, on mettra la même mise de fonds et on sera copropriétaires à parts égales», explique Philippe.

Mais on a beau vouloir tout calculer, la vie à deux ne se limite pas à des colonnes de chiffres, souligne Me Guylaine Lafleur. «La façon de voir les choses dépend beaucoup des buts du couple, note-t-elle. Si on veut fonder une famille, l'apport de l'un des deux ne sera pas nécessairement pécuniaire. Si on a des enfants d'une première union, on aura d'autres préoccupations. Mais si on est plus âgé, surtout si on a déjà subi une rupture, on n'aura peut-être pas la même vision.»

Pour obtenir la brochure de l'ACEF sur le couple et l'argent, adressez-vous à l'ACEF de votre région, où informez-vous sur le site de l'ACEF de Lanaudière: www.consommateur.qc.ca/acef-lan/