L'avare, dans la littérature, est vieux comme l'argent: il apparaissait déjà au centre de la comédie La marmite de Plaute, au IIe siècle avant Jésus-Christ.

«Depuis l'Antiquité, c'est d'abord un personnage de rétention», indique Tatiana Burtin, docteure en littérature comparée, dont la thèse portait sur les personnages d'avares et d'usuriers dans la comédie classique. «Il enferme chez lui un trésor, pas seulement des richesses, mais également son entourage. Il contraint son entourage, souvent sa fille.»

Après le long intermède médiéval, le personnage de l'avare ressurgit puissamment à l'époque moderne, alors que se développe le capitalisme.

Le prêt à intérêts, jusqu'alors proscrit par la religion, devient envisageable. «Aux XVIe et XVIIe siècles, ces pratiques engendrent un véritable débat moral et théologique qui est complètement nouveau», explique Tatiana Burtin. «Le personnage de l'avare en littérature, notamment en théâtre, suit ce mouvement. Il devient un personnage de détention, un usurier. C'est un personnage d'actualité, qui concentre plusieurs questionnements et attentes, morales, religieuses et politiques, qui sont brûlantes à cette époque d'avènement du capitalisme moderne.»

L'avare de la période classique constitue lui-même son trésor, alors que dans la comédie antique, sa fortune tombait du ciel. «Son rôle ne consiste pas qu'à retenir l'argent, mais à l'engranger en masse», précise Mme Burtin. C'est le Shylock de Shakespeare, l'Harpagon de Molière.

L'avare revient en force au XIXe siècle. Avec le père Grandet, Balzac dépeint un tonnelier enrichi à la faveur des troubles politiques de la restauration. Le conte A Christmas Carol de Dickens, publié en 1843, qui met en scène l'immortel Scrooge, a été vu par certains comme une critique de l'industrialisation naissante.

Puis les rangs des avares littéraires s'éclaircissent au XXe siècle. «Les archétypes sont déjà là, observe Lucie Robert, directrice du département d'études littéraires de l'UQAM. Il n'y a donc pas besoin d'en créer de nouveaux. Tout au plus les réactivons-nous par la lecture ou l'adaptation au cinéma, au théâtre ou en dessin animé».

Signe que ce personnage est devenu un archétype, ses incarnations les plus mémorables aux XXe et XXIe siècle sont des caricatures animées: l'oncle Picsou de Disney et M. Burns des Simpsons.

Et Séraphin

Chez nous, il y a bien Un homme et son péché, de Claude-Henri Grignon, mais l'action se passe à la fin du XIXe siècle et l'oeuvre est déjà passéiste à sa parution, en 1933.

L'avare est devenu un archaïsme. Il n'incarne plus un débat social comme aux siècles passés. «Il est possible que le personnage ait muté, avance Tatiana Burtin. Une figure contemporaine de l'avare pourrait être le trader.»

À la fin du XXe siècle, ce personnage se cristallise avec le spéculateur dans le roman (The Bonfire of the Vanities, de Tom Wolfe) ou le cinéma (Wall Street, d'Oliver Stone).

Le péché capital a cédé sa place au péché de capital.