Chaque samedi, un financier répond à nos questions. Il donne sa lecture des marchés, offre son point de vue sur la Bourse et lance quelques conseils d'investissement. Cette semaine, Luc Desbiens, de Lombard Odier Canada.

À votre avis, quel est l'événement le plus significatif des derniers jours à la Bourse?

Les craintes liées au mur budgétaire, à la suite de la réélection du président Barack Obama, ont provoqué beaucoup de volatilité à la Bourse, cette semaine. Les stratèges boursiers en parlent depuis plusieurs mois. Mais ça devient vraiment réel.

Le marché est en train de rappeler à l'ordre les politiciens qui devront faire leurs devoirs. Il faut que les partis s'entendent pour limiter les augmentations d'impôts et les réductions de dépenses, sinon des mesures entreront automatiquement en vigueur le 1er janvier. Ces mesures totalisant 600 milliards de dollars US vont freiner la croissance de 4%, ce qui plongerait l'économie américaine en récession.

Sur les marchés, le consensus prévoit que la ponction économique sera de seulement 1,5%. Mais si jamais les partis ne s'entendent pas, c'est le scénario de catastrophe. C'est pourquoi les négociations vont dominer l'agenda d'ici la fin de l'année, que ça se règle ou pas.

Quel indicateur suivez-vous le plus attentivement en ce moment?

Le mur budgétaire fait en sorte que les entreprises ne sont pas disposées à investir. Les dépenses en équipement sont en chute libre. Si la situation se règle, le cycle d'investissement des entreprises pourrait reprendre. Dans ce contexte, les intentions des entrepreneurs pour les nouvelles commandes d'équipement sont l'indicateur à garder à l'oeil.

Que feriez-vous avec 10 000$ à investir?

Nous profiterions de la nervosité sur les marchés boursiers pour acheter de belles sociétés dans des secteurs peu risqués, des entreprises qui versent de bons dividendes et qui sont bien capitalisées. Par exemple, nous aimons des entreprises comme Nestlé en consommation de base, Novartis dans le secteur de la santé, ou Intel qui est un Blue Chip de la technologie.

Prenons Intel qui a beaucoup baissé récemment à la Bourse. Son action verse un dividende de 4,3% alors que ses obligations (5 ans et moins) procurent un rendement inférieur à 1%. Pour des clients patients qui sont capables de passer à travers des cycles plus difficiles, on trouve que les actions sont beaucoup plus intéressantes, car elles offrent un rendement supérieur et un potentiel d'appréciation du capital.

Quel placement évitez-vous à tout prix?

Je n'aime pas utiliser le terme «bulle» pour les obligations, mais c'est clairement une catégorie d'actifs qui est surachetée.

Depuis 2009, les Américains ont injecté 1000 milliards$US dans les fonds d'obligations, alors qu'il y avait des sorties nettes des fonds d'actions durant la même période. C'est intéressant de se rappeler que lors de la bulle technologique, soit de 1997 à 2000, il était entré 886 milliards dans les fonds d'actions.

Même les régimes de retraite délaissent les actions pour acheter des obligations corporatives, pour éviter que leur déficit actuariel ne se creuse. On sait que 93% des régimes à prestations déterminées ont un déficit qui s'élève à presque 20% en moyenne.

Or, les obligations seront très vulnérables si jamais les taux d'intérêt remontent. Ça pourrait être dangereux.

Qu'est-ce que les marchés sous-estiment le plus présentement?

Si jamais le mur budgétaire se règle plus vite et mieux qu'on le pense, on pourrait être agréablement surpris à la Bourse, au cours des six prochains mois, car il y a eu des développements favorables pour l'économie mondiale depuis l'été dernier.

On voit les premiers signes d'une stabilisation en Chine. Aux États-Unis, l'immobilier reprend du terrain (le prix des maisons a augmenté de 7% par rapport à l'an dernier). La confiance des consommateurs est à un sommet depuis quatre ans. Et le prix du pétrole s'est calmé. Ces trois éléments sont positifs pour l'économie américaine. En Europe, la situation reste difficile, mais le plan d'intervention des banques centrales protège un peu les Bourses contre un dérapage découlant d'un problème systémique.

Avec plus de 20 ans d'expérience en placement, Luc Desbiens est chef des investissements pour la clientèle nord-américaine de Lombard Odier, l'une des plus anciennes banques d'Europe, dont les origines remontent au XVIIIe siècle. C'est à Montréal que la banque suisse a ouvert son premier bureau à l'étranger, en 1951.