En période de ressac économique, les gestionnaires de fortune rivalisent d'imagination pour proposer des produits financiers attrayants. L'Europe, aux prises avec une grave crise financière, est un terreau fécond pour les «fonds de passion» offrant diversification, décorrélation, faible volatilité, bon rendement, voire plaisir. Au bilan: des montres rares, des automobiles exceptionnelles, des grands crus et même des chevaux de course et des diamants.

Au Canada, ces produits ne sont encore qu'une curiosité. «Nous avons un fonds européen qui investit dans plusieurs compagnies qui pourraient être considérées des compagnies de péché: boisson, tabac, jeu; tous de bons producteurs de dividendes. Mais nous n'avons pas de fonds, comme tel, axé sur le luxe», a commenté Leon Jackson, vice-président Ventes, Fonds BMO&Guardian.

GRANDS CRUS : L'ivresse sans le flacon

Le vin représente le seul bien physique qui s'améliore avec le temps, qui est produit en quantité très limitée, mais est à la portée d'un nombre toujours plus grand d'acheteurs. C'est déjà assez pour en faire un véritable bien de luxe et constituer, autour, un fonds commun de placement.

Après avoir compilé les données provenant de ventes aux enchères effectuées aux États-Unis de 1995 à 2009, deux économistes de l'Université de Fribourg ont constaté que la valeur des vins - rouges comme blancs - avait résisté aux attentats du 11 septembre 2001. Même la crise financière de 2008-2009 n'a eu qu'un impact limité sur l'indice des vins créé par les deux chercheurs, avec une baisse de 18% seulement comparée à la dégringolade de plus de 50% essuyée par la plupart des marchés d'actions.

Elite Advisers, société luxembourgeoise spécialisée dans la création de produits financiers alternatifs, a été la première à mettre sur pied, en 2008, un fonds d'investissement axé sur les grands vins: le fonds Nobles Crus. Ce fonds a réussi le tour de force d'enregistrer une hausse de plus de 20% dès son premier exercice tandis que le monde sombrait dans la crise des prêts hypothécaires à risque américains. Sa performance annuelle moyenne depuis trois ans est de 12,4%, ce qui se compare aux fonds rivaux.

Le portefeuille, qui dépasse les 115 millionsde dollars, est constitué de 70% de grands crus, 20% de primeurs et 10% de liquidités. Et pour éviter de fragiliser l'ensemble, il est prescrit que les vins d'une même région ne peuvent pas représenter plus de 70% de l'actif total, et un producteur ou un même millésime ne peut pas compter pour plus de 20% du portefeuille.

Depuis mai dernier, un fonds français propose lui aussi un investissement spécialisé dans les grands vins. Commercialisé et géré par la Financière d'Uzès, le fonds Uzès Grands Crus reprend une partie des principes de son aîné luxembourgeois. Le fonds revendique une démarche qualitative relativement complexe impliquant un groupe de 25 dégustateurs. Le fonds est investi à 75% dans le vin, dont au moins la moitié en grands crus de Bordeaux et Bourgogne.

Ces produits de placement sont réservés à un public qualifié, c'est-à-dire destiné à une clientèle d'investisseurs avertis et fortunés. Le fonds luxembourgeois ouvre ses portes à partir de 150 000$.

En matière de frais, les habitués des fonds communs canadiens risquent d'être surpris. À la Financière d'Uzès, par exemple, il y a des droits d'entrée de 4%, plus des droits de sortie dégressifs représentant jusqu'à 5% de la valeur liquidative la première année. Les frais de gestion sont de 3,5%, plus une «commission de performance» de 25%.

Au Canada, la petite firme Accilent Capital Management de Toronto a monté pour ses clients sélects un fonds fermé de 15 millions investi exclusivement dans de grands crus de Bordeaux d'au moins quatre ans. Le fonds, le premier du genre au pays, détient une quarantaine de bouteilles qui seront revendues aux enchères à sa dissolution prévue dans cinq ans. La souscription minimale dans la société en commandite était de 5000$. Le fonds britannique Anpero's The Wine Investment, qui a servi de modèle, a doublé de valeur à la liquidation de sa cave acquise en 2003.

AUTOS D'EXCEPTION : À fond la caisse

Les amateurs de voitures de collection ont également leur fonds de placement, depuis l'an dernier, grâce notamment à l'ancien batteur de Pink Floyd Nick Mason.

Nick Mason, qui possède une 250 GTO et a participé cinq fois aux 24 heures du Mans, est l'expert-conseil du fonds d'investissement IGA Automobile Fund, de Londres, le tout premier fonds à s'intéresser aux véhicules de collection à des fins de placement. Gordon Murray, designer de la F1 de McLaren, est aussi sur le comité consultatif.

L'investissement minimum dans le fonds fermé de 150 millions US était de 500 000$ et les frais annuels sont de 1,5%. Le fonds promet un rendement annuel de 15% avec la revente des voitures de collection, à sa dissolution, dans six ans.

IGA estime à 17,5 milliards le marché des voitures rares. Les Ferrari et Mercedes sont en tête de liste avec respectivement le tiers et le sixième de ce marché.

L'indice Hagerty Blue Chip des voitures de collection s'est apprécié de 67% de septembre 2006 à la fin de 2010 tandis que l'indice boursier américain S&P 500 reculait de 5,9%. Les prix sont pimpés par les nouveaux riches des pays émergents comme la Chine et la Russie qui paient des prix records pour les voitures rares, en attendant de voir ce que les marchés boursiers vont faire.

MONTRES RARES : Le temps, c'est de l'argent

Les Michael Schumacher, Usher et Arnold Schwarzenegger peuvent claquer des dizaines de milliers de dollars pour acquérir de précieuses montres rares et de collection signées Rolex ou Patek Philippe. Les amateurs moins fortunés peuvent toujours se rabattre sur quelques parts du fonds commun Precious Time Cap de la firme luxembourgeoise Elite Partners.

Le fonds hyperspécialisé, désigné le plus original par le magazine MoneyTalk en Belgique, est géré par le banquier italien Alfredo Paramico, 43 ans, un passionné qui a accumulé une collection exceptionnelle de montres suisses des années 40 et 50, ces 20 dernières années.

«Aujourd'hui, la montre est devenue, comme l'or, une valeur refuge. Car les belles montres sont maintenant considérées comme de véritables oeuvres d'art, dont la valeur ne va pas cesser de monter avec le temps, en fonction de leur rareté. L'expérience de ces dernières décennies illustre parfaitement le fait que les prix s'envolent d'autant plus dans les ventes... que les actions dégringolent dans les Bourses», raconte-t-il en entrevue à un magazine spécialisé belge.

Le marché global des montres est estimé à environ 32 milliardsde dollars par an, dont le cinquième va aux montres de collection de Patek Philippe, Rolex, Audemars Piguet, Omega ou Cartier. Les Asiatiques et les Russes sont particulièrement friands de ces petites merveilles d'horlogerie.

Le portefeuille de Precious Time comprend environ 400 montres regroupant à la fois des pièces de collection uniques et des montres contemporaines produites en série très limitée, certaines acquises aux enchères des maisons Antiquorum, Sotheby's et Christie's où le seuil psychologique de 1 million de dollars américains pour une montre Rolex (chronographe à rattrapante en acier inoxydable) a été franchi en mai dernier. On y trouve aussi quelques modèles plus courants, comme des Longines et des Omega, qui peuvent être rapidement liquidés pour faire face aux éventuelles demandes de rachat.

Le fonds ouvert, créé il y a deux ans tout juste, vaut près de 25 millionsde dollars. Il affiche un rendement de 5,6% depuis le début de l'année, mieux que la médiane des fonds communs, deux fois mieux que l'indice global de la Bourse de Toronto, mais moitié moins que l'indice global S&P 500 de la Bourse de New York.

D'après les fondateurs d'Elite Partners, avec la demande mondiale croissante pour ces pièces d'exception, les perspectives de rendement à long terme seraient de l'ordre de 15% par an, couplées à une faible volatilité, le marché des montres de collection étant peu sensible aux fluctuations de l'économie.

Le fonds est assorti de frais de gestion annuels de 2,5% plus une «commission à la performance» de 20%.