Hélène et Richard se sont rencontrés à la fin de la trentaine après avoir traversé chacun de leur côté des divorces difficiles. «Nous n'avions rien, aucune épargne, et nous étions tous les deux en appartement, avec quatre jeunes enfants à charge», se rappelle Hélène.

Vingt ans plus tard, le couple a de très bons revenus et sa situation financière s'est nettement améliorée, mais pas autant qu'il l'aurait souhaité. Ils ont investi dans l'immobilier, en achetant au fil des ans un duplex et un quadruplex, dont ils occupent l'un des logements. Ils croyaient s'assurer une retraite dorée grâce aux revenus de location.

Malheureusement, les choses ne se sont pas tout à fait passées comme prévu. À quelques années de leur retraite, les hypothèques des deux propriétés sont loin d'être remboursées. Ils ont notamment réhypothéqué le duplex pour payer des travaux de rénovation majeurs.

Ils ont aussi consacré une grande partie de leurs ressources à leurs enfants, à qui ils voulaient donner un bon départ dans la vie. Ils ont payé leurs études collégiales et universitaires en totalité, ce qui a permis à leur progéniture de se lancer sur le marché du travail sans aucune dette. Ils ont aussi donné un généreux coup de pouce en argent sonnant et trébuchant à leur fille aînée, au moment où elle a ouvert un commerce. Ils continuent d'aider financièrement leur cadette, qui habite leur duplex: ils lui louent un logement à bas prix.

«C'est important pour nous d'aider nos enfants le plus possible, c'est leur héritage qu'on leur laisse. On préfère faire ça de notre vivant, plutôt que d'attendre que l'on soit morts,» lance Hélène, à la blague, qui adhère ainsi à une philosophie que partagent de nombreux parents. «Mais on se rend bien compte que notre retraite en souffrira un peu.»

Malgré ce constat, le couple veut continuer d'épauler financièrement ses enfants. Il voudrait notamment vendre le duplex à leur fille qui y habite déjà. Ils envisagent de la financer eux-mêmes pour qu'elle n'ait pas à emprunter auprès d'une institution financière. «On lui réclamerait des intérêts moins élevés que les banques, explique Hélène. Elle pourrait nous rembourser sur 20 ans et ça nous ferait une rente pour notre retraite.»

Vouloir aider ses enfants est tout à fait louable, mais malheureusement, le plan d'Hélène et Richard ne tient pas la route, selon Guylaine Dufresne, planificatrice financière pour la Banque Laurentienne. «Puisqu'il leur reste un solde hypothécaire assez élevé à payer pour leur duplex, ce n'est pas une bonne idée de financer eux-mêmes la vente, dit-elle. Après le paiement du solde de l'hypothèque et de l'impôt sur le gain en capital déclenché par la vente, il ne leur restera pas assez de liquidités pour pouvoir faire face à leurs autres obligations, par exemple les frais liés à leur quadruplex.»

Mme Dufresne rencontre fréquemment des parents qui voudraient ainsi financer l'hypothèque d'un enfant adulte. Ce n'est généralement pas une bonne idée, souligne-t-elle, surtout par les temps qui courent, alors que les taux d'intérêt sont à des creux historiques. «Il est possible d'obtenir un prêt hypothécaire à 3% en ce moment. Alors, les parents pourraient demander 2% à leur enfant, mais ça amputerait leurs revenus de retraite», dit la planificatrice financière. Sans compter que les parents vieillissants pourraient avoir un besoin urgent de liquidités, par exemple en cas de problème de santé grave. Et advenant le décès des parents, l'un des enfants aurait une dette envers la succession, ce qui pourrait provoquer des problèmes.

Guylaine Dufresne recommande tout de même à Hélène et Richard de se départir de leur duplex au moment de leur retraite, puisqu'ils ne pourront pas conserver tous leurs actifs immobiliers. Actuellement, les revenus de location du duplex s'élèvent à 1800$ par mois, tandis que les paiements hypothécaires atteignent 2600$, sans compter l'entretien et les taxes à payer. Ils ont donc tout intérêt à vendre. Voici de quelle façon elle leur suggère de le faire.

Si la propriété est vendue dans quatre ans, sa valeur sera d'environ 372 000$. Le solde hypothécaire à rembourser sera alors de 140 000$. Le couple doit s'attendre à payer des impôts d'environ 60 000$ sur le gain en capital qui sera réalisé. La transaction leur permettrait donc d'empocher 172 000$. Pour réduire l'impôt à payer, Hélène devrait se prévaloir de la totalité de ses droits de cotisation non utilisés au REER, soit 29 000$, ce qui lui permettrait de réduire sa facture d'impôt d'environ 13 000$. Le couple devrait aussi cotiser au maximum au CELI (compte d'épargne libre d'impôt), qu'il n'a pas encore utilisé pour son épargne - ils pourront alors y déposer 40 000$ chacun. Le reste serait investi dans des placements qui serviront à financer les premières années de leur retraite.

Si Hélène et Richard souhaitent faire un cadeau à leur fille, ils pourraient simplement lui vendre le duplex moins cher que le prix du marché. Mme Dufresne leur recommande de conserver leur quadruplex, pour éviter de payer une deuxième fois l'impôt sur le gain en capital. Comme il leur faut bien se loger quelque part, l'achat d'une autre propriété entrainerait des coûts élevés.

Ce plan devrait permettre au couple d'envisager une retraite sereine, avec des dépenses correspondant à environ 70% de leur coût de vie actuel. Et avec la satisfaction d'avoir contribué à donner à leurs enfants un bon départ financier dans leur vie adulte.

La question

«Peut-on vendre notre duplex à l'une de nos filles, en finançant nous-mêmes son achat, sans compromettre nos revenus de retraite?», se demandent Hélène et Gilles, qui envisagent de prendre leur retraite dans 4 ans.

Les données

Hélène, 58 ans

Salaire: 70 000$

Revenus de location: 43 000$

Actif

- Duplex: 350 000$

- Quadruplex: 600 000$

- REER: 120 000$

- CPG: 3885$

Passif

- Marge hypothécaire duplex: 232 700$, à 3% d'intérêt

- Hypothèque quadruplex: 385 000$, à 3,9% d'intérêt

Richard, 61 ans

Salaire: 140 000$

Actif

- REER: 450 000$

Passif

- Carte de crédit: 9000$, à 19,9% d'intérêt

- Prêt auto: 48 000$, à 0% d'intérêt

«Il leur reste un solde hypothécaire assez élevé à payer pour leur duplex, donc ils ne pourront pas financer eux-mêmes la vente, après le paiement final de l'hypothèque et de l'impôt sur le gain en capital déclenché par la vente, il ne leur restera pas assez de liquidités pour pouvoir faire face à leurs autres obligations.»

Guylaine Dufresne est planificatrice financière à la Banque Laurentienne

Photo Rémi Lemée, La Presse

Guylaine Dufresne, directrice, planification financière à la Banque Laurentienne.