Propriétaires d'un triplex de deux étages dans un quartier central de Montréal, Maude et Simon songent à vendre le premier étage de leur immeuble à un membre de leur famille, histoire de réduire leur hypothèque et d'avoir un peu de support pour s'occuper de leurs enfants en bas âge.

Mais ils se posent une foule de questions avant de se lancer dans ce projet. La transformation en condo est-elle permise? Leurs locataires peuvent-ils s'y opposer? Quels sont les coûts à prévoir? Quelles démarches juridiques entreprendre? Et puis, une telle transformation est-elle rentable?

Ils craignent notamment la réaction d'un de leurs locataires, qui se plaint constamment, conteste chaque année les hausses de loyer, refuse que les propriétaires effectuent des travaux dans son logement (même les travaux d'entretien régulier) pour éviter de devoir payer plus cher et s'oppose à toutes leurs demandes. Peuvent-ils le forcer à quitter son appartement?

Une petite équipe s'est employée à leur donner quelques réponses: Sylvain Savignac,

évaluateur agréé, Thierry V. Viallard, administrateur agréé et conseiller en sécurité financière, Gaétan Veillette, Fellow administrateur agréé et planificateur financier, et Me Yvon Boily, notaire.

D'abord, il faut savoir que la conversion d'immeubles locatifs en copropriété divise est interdite sur le territoire de la ville de Montréal, à moins d'obtenir une dérogation de son arrondissement. Cette interdiction ne concerne cependant pas la conversion en copropriété indivise, qui serait donc une possibilité pour Maude et Simon, souligne Sylvain Savignac. Dans une copropriété indivise, plusieurs acheteurs se partagent la propriété de l'ensemble d'un immeuble; pour une copropriété divise, le copropriétaire ne possède que l'appartement où il habite, et jouit d'un droit d'accès aux parties communes.

Patience

«L'important quand on se lance dans un tel projet, c'est d'être patient, et de ne pas sauter les étapes», souligne M. Savignac, qui a accompagné plusieurs propriétaires dans de telles démarches. Le couple doit d'abord s'assurer du départ des locataires, qui jouissent de certaines protections. Le Code civil du Québec (article 1959) prévoit que «le locateur d'un logement peut en évincer le locataire pour subdiviser le logement, l'agrandir substantiellement ou en changer l'affectation». Certaines règles doivent cependant être respectées: il faut aviser les locataires au moins six mois avant l'expiration du bail et leur payer une indemnité de trois mois de loyer ainsi que leurs frais de déménagement. Maude et Simon devraient donc verser 3380$ en indemnités à leurs deux locataires. Si on estime les frais de déménagement à 1000$ par logement, il faut prévoir environ 5380$. Un locataire qui s'estime victime d'un préjudice peut cependant s'adresser à la Régie du logement pour demander des dommages et intérêts plus élevés.

Les locataires peuvent aussi contester leur éviction devant la Régie du logement. Maude et Simon devront alors faire la preuve que leur projet est authentique et qu'il respecte la loi. «Mais ils doivent être conscients que les locataires peuvent s'opposer et faire dérailler le projet, souligne Me Yvon Boily. Ils ne sont pas assurés d'obtenir gain de cause devant le tribunal.»

Une fois que les locataires auront - espérons-le - accepté de partir, le couple devra réaliser des travaux pour convertir les deux petits logements en un seul grand appartement. Selon Sylvain Savignac, de telles rénovations coûtent généralement entre 60 000$ et 75 000$. Pour les besoins de notre simulation, disons 75 000$.

D'autres frais liés à la conversion sont aussi à prévoir: inspection du bâtiment, rapport d'évaluation, démarches auprès de la Régie du logement, notaire (pour, notamment, la rédaction d'une convention de copropriété). Maude et Simon, qui travaillent tous les deux à temps plein et ont de jeunes enfants, pourraient aussi prévoir l'embauche de professionnels pour gérer ce projet complexe. Pour tous ces coûts, prévoyons 15 000$.

Une fois le logement prêt à recevoir son nouvel occupant, quelle serait sa valeur? Selon sa superficie et les ventes réalisées dans le même secteur, l'étage vaudrait environ 320 000$, dit l'évaluateur agréé. Le rez-de-chaussée, lui, en vaudrait 480 000$.

Gain en capital

En vendant l'étage, le couple réalisera un gain en capital, dont la moitié est imposable puisque le premier étage de l'immeuble n'est pas sa résidence principale. Maude et Simon ont payé leur triplex 430 000$, en 2007. Si on établit à 172 000$ la valeur de l'étage à l'époque, le gain en capital serait de 148 000$. Si on soustrait le coût des travaux (75 000$) et les autres frais de conversion (6000$, répartis selon la valeur des deux logements), le gain en capital estimé sur l'unité vendue s'élève à 67 000$. La partie imposable du gain en capital, soit 50%, serait de 33 500$. La facture fiscale est estimée à 15 300$ (au taux combiné d'imposition de 45,7%).

En tenant compte de tous les frais, l'opération procurerait donc des liquidités d'environ 210 000$. Si ce montant est utilisé pour réduire le solde hypothécaire, qui est actuellement de 370 000$, la nouvelle hypothèque du couple serait de 160 000$.

Notons que tous ces montants sont des estimations très générales. Si le couple va de l'avant avec son projet, il devra obtenir des informations beaucoup plus précises, en s'entourant de professionnels compétents, souligne l'administrateur agréé Thierry V. Viallard.

«Un immeuble à revenus est considéré pour bien des propriétaires comme un moyen de se constituer un revenu de retraite, dit M. Viallard. Mais dans ce cas-ci, les revenus provenant des loyers sont trop bas, et Maude et Simon n'arrivent pas à les augmenter, ni à faire les rénovations nécessaires pour accroître la valeur de leur actif. Ils en sortent perdants.» De plus, la réduction de la dette du couple allègerait son fardeau.

Et c'est sans compter, évidemment, le soulagement de ne plus avoir au-dessus de sa tête un locataire désagréable. Pour Maude et Simon, cette tranquillité n'a pas de prix.