Depuis quelques années, de nombreux parents songent à acheter un condo pour leur enfant: selon une étude récente de TD Canada Trust, 10% des Canadiens qui envisagent d'acheter un logement en copropriété seraient susceptibles de le faire pour un enfant adulte.

C'est justement la question avec laquelle jongle Louis, cadre dans une entreprise privée. Sa fille de 20 ans, Roxanne, veut quitter la maison familiale de la Rive-Sud pour emménager en appartement à Montréal avec une amie, pour cesser de perdre du temps dans la circulation en se rendant à l'université et à son travail à temps partiel. Louis est prêt à aider sa fille à payer un logement. «Mais tant qu'à payer un loyer, je me dis qu'il serait préférable d'acheter un condo, dit le père. Roxanne et sa colocataire me verseraient un loyer de 400$ chacune, et je subventionnerais la différence.» Il vise une propriété d'environ 225 000$.

Un tel achat serait-il rentable? Louis n'a pas de régime de retraite de son employeur. Il verse 400$ par mois dans son REER. Pour payer ce futur condo, il est prêt à suspendre ses cotisations REER. Lorsque Roxanne aura terminé ses études et sera sur le marché du travail, il a l'intention de lui revendre le condo au prix payé à l'origine, et de renflouer son REER avec le fruit de la vente.

Pierre Renaud, planificateur financier principal de Gestion de patrimoine mondiale Scotia au Québec, a analysé le scénario de Louis. Son verdict: au plan strictement financier, l'opération ne serait pas rentable pour le père bien intentionné. «Souvent, dans de tels cas, les parents ne cherchent pas la rentabilité à tout prix, il veulent surtout aider leurs enfants, note Pierre Renaud. Mais ils doivent être conscients que, s'ils sacrifient leurs cotisations au REER, ça va affecter leurs revenus de retraite.»

Voici comment M. Renaud explique sa conclusion. Pour l'achat du condo, la mise de fonds de 45 000$ proviendrait d'une marge de crédit hypothécaire que Louis détient déjà sur sa résidence, au taux d'intérêt de 4%. Les 180 000$ restants feraient l'objet d'une hypothèque payable en 25 ans au taux de 4%. Pour couvrir les frais légaux reliés à la transaction (3000$) ainsi que la taxe de mutation (2000$), 5000$ supplémentaires seront ajoutés au solde de la marge de crédit hypothécaire.

Louis paierait des mensualités hypothécaires de 950$. D'autres frais mensuels s'y ajouteraient: électricité (150$), frais de copropriété (150$), taxes municipales et scolaires (250$) et assurances (40$), pour un total de 1540$ par mois. Il recevrait 800$ en loyer de Roxanne et de son amie. Coût net mensuel pour Louis: 740$.

Pour la première année, en tenant compte des frais d'achat et des intérêts sur l'hypothèque et sur la marge de crédit hypothécaire, les dépenses totaliseraient 20 722$; les revenus de loyer: 9600$. Les 12 premiers mois se soldent donc par une perte de 11 122$. Cette perte permet tout de même de réduire le fardeau fiscal de Louis. Au taux marginal d'imposition de 48,22%, c'est 5363$ d'impôt en moins pour l'année, ce qui ramène le coût net annuel à 5759$.

Pour qu'il n'y ait pas de perte pour Louis, il faudrait que le loyer soit de 1360$. Mais Roxanne et sa colocataire n'ont pas les moyens de payer cette somme. En attendant, c'est l'équivalent d'une subvention mensuelle de près de 480$ de la part de Louis, non seulement à Roxanne, mais aussi à son amie.

Bien sûr, un père peut choisir de faire une telle dépense pour s'assurer que sa fille soit bien logée. Mais sa décision a des conséquences sur ses économies de retraite. Si Louis conserve le condo cinq ans et qu'il suspend ses cotisations mensuelles de 400$ à son REER pendant cette période, cela représente une somme de 27 200$ (à 5% de rendement). Comme son intention est de revendre le condo à Roxanne en 2017 au prix de 225 000$, Louis se retrouverait avec un capital de 23 200$, dont il se servirait pour renflouer son REER. Mais cette somme serait insuffisante pour couvrir le manque à gagner accumulé au cours des années précédentes.

«Il faut aussi se demander si, dans cinq ans, Roxanne aurait des revenus suffisants pour acheter un condo de 225 000$, souligne Pierre Renaud. Quand on entre sur le marché du travail, on n'a pas un salaire très élevé.» Le planificateur financier recommande à Louis d'y penser à deux fois avant d'aller de l'avant avec son projet, compte tenu de tous les imprévus possibles. Roxanne pourrait décider d'arrêter ses études ou d'aller étudier ailleurs. La colocataire pourrait décider de déménager. Sans compter les cotisations spéciales parfois imposées aux propriétaires de condos pour des travaux importants. «Il serait plus logique pour Louis de donner 200$ par mois à sa fille pour l'aider à payer un loyer, tout en maintenant ses cotisations REER», dit M. Renaud. Si Roxanne allonge elle aussi 200$ par mois et que les colocs se trouvent un appartement à 800$, père et fille en sortiraient tous les deux gagnants.