Depuis la crise financière, les sociétés américaines ont profité de la baisse des taux d'intérêt pour assainir leur bilan, réduire leurs dettes et se refinancer à très long terme. Avec des coûts d'emprunt historiquement bas, certaines ont même «gelé» leur taux d'intérêt pour 100 ans. On ne peut pas en dire autant des ménages canadiens qui ont plutôt «consommé» la baisse des taux d'intérêt. Devraient-ils suivre l'exemple des grandes entreprises?

La Belle au bois dormant peut dormir sur ses deux oreilles dans son château enchanté. Comme elle, son taux hypothécaire est «gelé» pour 100 ans. Non, il ne s'agit pas d'un conte de fées: Walt Disney Company est l'une des rares sociétés américaines à avoir déjà émis des obligations venant à échéance un siècle plus tard.

Mais de plus en plus d'entreprises vont dans cette direction...

Depuis la crise financière de 2008-2009, les entreprises ont réduit leurs dettes pour assainir leur bilan. Elles ont profité de la faiblesse historique des coûts d'emprunt pour se refinancer et ainsi payer moins d'intérêts.

En effet, les sociétés américaines les plus solides, celles qui ont une cote de crédit AAA, peuvent emprunter à moins de 3%, pratiquement deux fois moins qu'au début des années 2000.

Devant cette occasion unique, les trois quarts des grands noms de la Bourse américaine ont jugé bon de se refinancer à long terme, un choix qu'elles n'ont jamais été aussi nombreuses à faire depuis au moins trois décennies.

Certaines ont même émis des obligations sur 100 ans. Par exemple, la société ferroviaire Norfolk Southern a émis des obligations pour un siècle à un taux de 6%, l'an dernier.

De quoi être à l'abri d'une remontée des taux d'intérêt pour un bon bout de temps.

Endettement record

Les ménages canadiens ne peuvent pas en dire autant. Leur niveau d'endettement n'a jamais été aussi élevé, à 153%, par rapport à moins de 100% au début des années 2000.

Les ménages québécois demeurent moins endettés, avec des dettes qui représentent 122% de leurs revenus disponibles.

Et il est rassurant de savoir que les prêts hypothécaires forment les trois quarts de leurs dettes. En fait, l'augmentation de leurs dettes a suivi celle du prix des maisons. Dans la région de Montréal, le prix d'une résidence unifamiliale a bondi de 130% en 10 ans, passant de 129 550$ à 298 000$ aujourd'hui.

Dans l'ensemble, les Québécois sont donc plus riches, même s'ils sont plus endettés. Et leurs dettes sont plus légères, grâce à la baisse des taux d'intérêt.

Voilà pourquoi les propriétaires n'ont pas à fournir plus d'efforts pour acheter une maison, malgré l'escalade du prix des maisons, constate la Fédération des chambres immobilières du Québec.

Leurs mensualités hypothécaires représentent environ le quart de leurs revenus bruts. Ce taux d'effort est légèrement supérieur à la moyenne historique (22,5% depuis 1980). Mais il reste inférieur au taux de presque 30% qu'on avait connu au début des années 80: les taux d'intérêt avaient explosé de 14,3% à 18,2% en un an, entraînant un repli de la valeur des résidences.

Mais on n'en est pas là aujourd'hui. Personne ne s'attend à une hausse marquée des taux d'intérêt, surtout depuis que la Réserve fédérale américaine a annoncé son intention de maintenir les taux au plancher pour plusieurs années.

Il reste qu'une portion significative des Québécois endettés se trouve dans une zone d'inconfort (11%) ou carrément au bord de l'insolvabilité (4%), selon les Études économiques Desjardins.

D'ailleurs, on observe depuis 2009 une légère remontée des hypothèques et des cartes de crédit en souffrance, comme le démontrent les statistiques de l'Association des banquiers canadiens.

Maison nette

Les propriétaires québécois devraient-ils suivre l'exemple des grandes entreprises et profiter de la faiblesse des taux d'intérêt pour faire maison nette?

Réduire leur endettement? Oui! D'ailleurs, cela rassurerait le patron de la Banque du Canada, Mark Carney, qui s'inquiète du poids des emprunts des Canadiens.

Refinancer leurs dettes pour profiter d'un taux d'intérêt inférieur? Certainement! Dans la mesure où les pénalités ne sont pas exorbitantes, il est possible de renégocier son hypothèque avant le terme. Cela permet de réduire ses mensualités ou, mieux encore, de rembourser son hypothèque plus rapidement pour ainsi économiser des milliers de dollars d'intérêts.

Profiter de la faiblesse des taux pour «geler» son taux d'intérêt pour longtemps?

Au cours des dernières années, les hypothèques à taux variables ont été la meilleure solution. D'abord parce que le taux à court terme est généralement plus faible que celui à long terme. Mais aussi parce que les propriétaires qui avaient opté pour un taux variable ont profité de la baisse des taux d'intérêt, en temps réel.

Cela explique que le taux variable gagne en popularité. En ce moment, près de 40% des ménages ont une hypothèque à taux variable (en tout ou en partie). Et la proportion est encore plus forte (44%) chez ceux qui ont renouvelé l'an dernier, selon l'Association canadienne des conseillers hypothécaires accrédités.

Mais est-ce encore le meilleur choix? Cet hiver, la guerre des taux hypothécaires a fait fondre le taux d'une hypothèque 5 ans à 3%. C'est à peine 0,25% de plus qu'une hypothèque à taux variable. Avec un écart si mince, on peut dire que la police d'assurance contre une remontée des taux d'intérêt ne coûte pas grand-chose.

À ce compte, vaut-il la peine d'aller encore plus loin? Au Canada, les hypothèques de 7 ou 10 ans n'ont pas la cote: elles représentent seulement 3% du marché.

Mais avec des taux aussi bas que 4% sur 7 et 10 ans, certains ménages pourraient y songer. Sur une aussi longue période, les taux d'intérêt pourraient très bien remonter, ne serait-ce qu'à un niveau plus normal.

Mais attention: 10 ans, c'est presque l'éternité! Divorce, déménagement, perte d'emploi... Bien des raisons peuvent forcer les propriétaires à briser leur hypothèque. Et alors, gare aux pénalités. Le réveil risque d'être brutal.

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Fixe ou variable?

Taux fixe

60% des hypothèques

56% des nouvelles hypothèques

Taux variable

31% des hypothèques

37% des nouvelles hypothèques

Combinaison fixe ET variable

8% des hypothèques

7% des nouvelles hypothèques

Source: Association canadienne des conseillers hypothécaires accrédités