«Il y a 10 ou 15 ans, on ne pouvait pas investir au Brésil. Le pays se débarrassait de son hyperinflation. Les marchés financiers n'étaient pas assez larges. Il n'y avait pas de liquidité», raconte Tom Goggins, gestionnaire de portefeuille chez Gestion d'actifs Manuvie.

Le monde obligataire a bien changé. «Aujourd'hui, on peut investir avec confiance au Brésil, la liquidité est là», assure le responsable du Fonds à revenu stratégique Manuvie, qui investit une partie de son portefeuille en obligations émergentes.

Que ce soit en Russie, en Indonésie, en Turquie ou au Mexique, les obligations de pays émergents ont maintenant la cote. Avec des rendements élevés, autour de 7,5%, elles attirent les épargnants occidentaux qui en ont marre des taux d'intérêt anémiques des obligations de pays développés. Au Canada, une obligation 10 ans rapporte environ 2%. Autant dire rien du tout, après impôt et inflation.

Depuis un an et demi, les investisseurs particuliers au Canada ont accès aux obligations émergentes, grâce au lancement d'une brochette de fonds commun de placement qui ont attiré 370 millions de dollars d'actifs.

La famille de fonds négociés en Bourse BMO a ouvert le bal, en mai 2010, avec la création du FINB obligations des marchés émergents couvert en dollars canadiens. Plusieurs autres familles de fonds ont suivi: RBC, Invesco, AGF, Excel, Manuvie, iShares et HSBC offrent désormais un fonds spécialisé dans les obligations de marchés émergents.

En outre, certains fonds d'obligations mondiales accordent une large place aux pays émergents, notamment le fonds Templeton Mondial obligation, le fonds RBC d'obligations mondiales rendement élevé, le fonds CIBC Obligations mondiales, le fonds AGF obligations mondiales rendement élevé et le BMO obligations mondiales rendement élevé.

Un monde à deux vitesses

Pour un particulier, est-ce une bonne idée de se tourner vers les obligations émergentes? «La réponse est définitivement oui», affirme Vincent Lépine, vice-président à la répartition globale de l'actif et à la gestion des devises chez Gestion d'actifs CIBC.

«Fondamentalement, le taux de rendement d'une obligation est intimement lié au taux de croissance et d'inflation qu'on entrevoit dans un pays. Où trouve-t-on la croissance la plus élevée dans le monde? Dans les pays émergents», dit-il.

Là-bas, l'économie avancera à plus de 6% en 2011 et maintiendra ce rythme au cours des cinq prochaines années, alors que dans les pays développés, la croissance économique ne sera que de 1,6% en 2011, et elle restera bien en dessous de 3% d'ici 2016, selon le Fonds monétaire international.

Le contraste est aussi frappant quand on se penche sur les finances publiques. «Le bilan des pays émergents, particulièrement en Asie, est en bien meilleur état que celui des pays développés», indique M. Goggins.

Les gouvernements des pays développés croulent sous les dettes. La dette brute atteint environ 80% du PIB au Canada, au Royaume-Uni, en France et en Allemagne, 100% aux États-Unis, 120% en Italie, 165% en Grèce... et 230% au Japon.

Dans les pays émergents, le poids des dettes est trois fois moins lourd, à 36% du PIB en moyenne. Certains pays n'ont pratiquement plus de dettes, comme la Russie qui a profité de la manne pétrolière.

Cote de crédit en hausse

«Au cours des dix dernières années, l'amélioration des paramètres économiques fondamentaux et de l'équilibre budgétaire des pays émergents a entraîné le relèvement de la cote des titres de créance des sociétés et des gouvernements dans les pays émegents», constate Marc Cevey, chef de la direction de Gestion globale d'actifs HSBC Canada.

Aujourd'hui, 58% de la valeur de l'indice JP Morgan d'obligations de pays émergents est constitué de créances de premier ordre, par rapport à seulement 16,5% en 1998, précise-t-il.

Et la tendance se poursuit. Depuis 2010, Standard & Poor's a relevé la cote de crédit de la Thaïlande (BBB"), de la Malaisie (A-), des Philippines (BB) et de l'Indonésie (BB"), par exemple.

Les obligations indonésiennes demeurent des titres à rendement élevé, des obligations de pacotille (junk bonds). Leur taux s'élève à 6,10%. Un rendement attrayant, sans compter que la cote de crédit de l'Indonésie pourrait grimper encore en 2012. En atteignant la cote BBB-, ses obligations deviendraient des créances de premier ordre (investment grade), ce qui augmenterait leur valeur.

«Nous préférons de loin un pays dont la cote de crédit s'améliore, qu'un pays qui se fait décoter comme l'a vu en Europe et aux États-Unis», dit M. Goggins.

Cet été, les États-Unis ont été rétrogradé de la note parfaite AAA à la note AA" dans la foulée des négociations entourant le relèvement du plafond de la dette.

Au printemps dernier, S & P a baissé de trois crans la cote de crédit du Portugal qui est passée de A- à BBB-, juste un cran au-dessus de la catégorie des obligations de pacotille. Cela a fait fondre la valeur des obligations portugaises qui se négocient sur les marchés financiers, même si le capital demeure garanti à l'échéance.

Le jeu crucial des devises

Mais avant de s'aventurer dans les obligations étrangères, les investisseurs doivent se préoccuper du jeu des devises.

La fluctuation des monnaies peut détruire tout leur rendement. Par exemple, le peso mexicain a reculé de 13% par rapport au dollar canadien, cet été. «Il peut très bien y avoir d'autres secousses comme celle-là», prévient M. Lépine.

Mais à long terme, l'appréciation des devises émergentes devraient produire un rendement excédentaire, estiment les experts.

Dans certains pays, le potentiel d'appréciation de la monnaie est même plus élevé que le rendement de l'obligation.

Prenez les obligations de Singapour: «À 1,6% pour 10 ans, ce n'est pas très attrayant. Mais ce qui nous intéresse là-bas ce n'est pas nécessairement le rendement de l'obligation, c'est que la devise peut s'apprécier, dit M. Goggins. L'an dernier, entre le mois de juillet et la fin de l'année, la devise a grimpé d'environ 7% face au dollar américain.»

En tenant compte des devises, les obligations de marchés émergents ont livré aux investisseurs canadiens un rendement annuel composé de 8,4% depuis 10 ans, par rapport à seulement 3% pour les obligations des pays développés, dont la performance a été obscurcie par la remontée du huard.

Gare aux chocs

À long terme, les obligations émergentes devraient continuer de surperformer. Mais à court terme, elles restent beaucoup plus volatiles durant les périodes de turbulence.

À la fin de l'été, les obligations émergentes ont d'ailleurs été malmenées à cause de la crise de la dette souveraine en Europe. Les investisseurs se sont réfugiés dans les titres les plus liquides, à commencer par les Tresuries américains, les obligations les plus convoitées même si les États-Unis ont un déficit énorme.

À l'opposé, les investisseurs ont vendu les obligations émergentes qui sont moins liquides, même si leur qualité de crédit ne s'était pas détériorée. «Comme les marchés émergents sont moins liquides, ils sont plus durement frappés lors des épisodes de crises qui sont de plus en plus fréquents», explique M. Lépine.

Certains pays doivent carrément être évités, faute de liquidité. «En Inde, les obligations sont difficiles à négocier d'un point de vue strictement opérationnel. C'est un de ces pays BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine) dont ont parle beaucoup. Mais nous n'y sommes pas très à l'aise, pour des raisons de liquidité. Même chose pour la Russie, mais pour des raisons politiques», dit M. Goggins.

Mais dans l'ensemble, le marché obligataire émergent est beaucoup plus vaste et liquide qu'auparavant. Aujourd'hui, les pays émergents représentent 15% du marché mondial du crédit, par rapport à seulement 6% en 2000.

«Les risques sont beaucoup moins élevés qu'avant. Les pays émergents se sont démocratisés. Ils sont beaucoup plus stables sur le plan économique et social. Ils ont adopté des systèmes légaux semblables à ceux des pays développés. Ils ont des balances fiscales positives, des taux d'épargne supérieurs, des taux de croissance supérieurs», résume M. Cevey.

À son avis, les obligations émergentes ont leur place dans le portefeuille des investisseurs, mais peuvent remplacer une partie des actions étrangères. Comme elles restent assez volatiles, elles ne devraient pas être utilisées comme une solution de rechange aux obligations canadiennes.

UN DIM SUM AVEC ÇA?

Les Dim Sum sont apparus sur le menu des investisseurs. Non, il s'agit ne s'agit pas de ces petites bouchées de la cuisine cantonaises, mais plutôt du surnom des obligations de sociétés chinoises émises à Hong-Kong en yuans.

Ce nouveau marché facilite les transactions pour les investisseurs étrangers qui n'ont pas accès autrement au marché obligataire chinois, tout en permettant de profiter de l'éventuelle appréciation de la monnaie chinoise qui reste encore fixée au cours du dollar américain.

«Selon nous, la Chine est en route vers une devise à taux flottant vers 2015. La libéralisation de sa devise et de son marché obligataire se fera main dans la main. La Chine veut faire partie du marché obligataire mondial», dit M. Goggins.

Certaines sociétés occidentales actives en Chine ont aussi goûté au Dim Sum. En août 2010, McDonald a été le premier à émettre des obligations en yuans. Plusieurs ont suivi, comme Caterpillar, Vokswagen, Unilever...

À la Bourse américaines, on compte déjà trois fonds négociés en Bourse qui permettent aux investisseurs de prendre une bouchée du marché Dim Sum. Mais la liquidité pose problème. «C'est un marché naissant qui offre des occasions, convient M. Cevey. Mais il est un peu trop tôt.»