Chaque samedi, un financier différent répond à nos questions. Il donne sa lecture des marchés, offre son point de vue sur la Bourse et lance quelques conseils d'investissement. Cette semaine, Martin Lefebvre, de Natcan.

À votre avis, quel est l'événement le plus significatif des derniers jours à la Bourse?

Sans contredit, l'événement le plus significatif de la semaine a été la montée des rendements sur les obligations italiennes de 10 ans au dessus de 7%. L'écart entre le taux italien et le taux moyen des pays eurolandais (membres de la zone euro) qui ont une cote AAA a atteint près de 500 points de base (5%), ce qui a déclenché un appel de marge de la chambre de compensation LCH.Cleanet.

Cela a causé une petite panique sur les marchés étant donné l'ampleur de la dette italienne (1900 milliards d'euros) par rapport à la dette grecque (330 milliards). Mercredi, les Bourses ont chuté de 3 à 5%. La confirmation que le premier ministre Berlusconi allait démissionner a quelque peu calmé le jeu, mais l'incertitude demeure élevée.

Pour l'instant, ce n'est pas une crise de solvabilité, mais plutôt une crise de liquidité qui touche l'Italie. Ses coûts d'emprunt sont beaucoup plus élevés, mais le pays a encore la capacité de payer. Reste à savoir si l'Italie réussira à mettre en place un plan d'austérité crédible. Si tel est le cas, la Banque centrale européenne pourrait acheter plus d'obligations ce qui permettrait de plafonner les taux italiens.

Quel indicateur surveillez-vous le plus attentivement en ce moment?

Je vais suivre de près les indicateurs précurseurs aux États-Unis. Cet été, le sentiment était très morose à cause de l'impasse politique entourant le relèvement du plafond de la dette, de la décote par Standard & Poors et des statistiques économiques.

Mais depuis quelques mois, on remarque que l'économie américaine est très résiliente. On crée des emplois, même si ce n'est pas autant qu'on voudrait. Et la Réserve fédérale a annoncé que les taux resteraient bas jusqu'en 2013.

Les prévisions économiques ont été révisées à la hausse pour la deuxième moitié de l'année. Finalement, on se rend compte que la récession n'est pas pour tout de suite aux États-Unis. Présentement, les indicateurs précurseurs sont à un point tournant. On pourrait entrer dans une nouvelle phase du cycle économique, ce qui est très encourageant pour la Bourse.

Que feriez-vous avec 10 000$ à investir?

J'opterais pour un fonds d'actions américaines offrant de bons dividendes. Certaines actions offrent un rendement qui est plus attrayant que les obligations dont les taux sont très déprimés. Les États-Unis restent un marché plus défensif. Si jamais la crise s'accentue en Europe, il y aura un mouvement vers les valeurs refuges, ce qui pourrait faire grimper le dollar américain.

Si les gens veulent se protéger encore plus, l'or est une bonne façon de le faire, même si c'est très onéreux à 1700$US l'once.

Pour diversifier davantage, j'irais vers un fonds d'obligations de sociétés, et peut-être même vers un fonds d'obligations à rendement élevé qui offre un rendement à maturité de 8%. Nous voyons aussi d'un très bon oeil les obligations des pays émergents.

Quel placement évitez-vous à tout prix?

Je me tiendrais loin des obligations gouvernementales européennes. Je ne pense pas que l'Italie en vienne à faire défaut, mais il y a une possibilité que cela se produise. Il faut éviter ces placements-là. Les gens qui ont essayé de profiter des taux élevés en Grèce, en croyant qu'il y aurait une résolution, ont perdu beaucoup : ça s'est terminé avec un défaut de 50%.

Qu'est-ce que les marchés sous-estiment le plus présentement?

Je pense que les investisseurs sous-estiment le potentiel de rebond de la Chine. Afin d'éviter une poussée inflationniste, le gouvernement chinois a pris des mesures pour ralentir la croissance. Dès que l'inflation montrera des signes de fléchissement convaincants, la Banque centrale et le gouvernement vont être là pour s'assurer que la locomotive chinoise continue d'avancer. À ce moment, le rebond potentiel de la Bourse chinoise pourrait bien s'avérer, à l'instar de la fin de 2008, un précieux indicateur avancé.

Après avoir été stratège économique chez Desjardins pendant 10 ans, Martin Lefebvre s'est joint à Natcan en 2010 où il est vice-président, Répartition de l'actif. Gestion de portefeuille Natcan est une filiale de la Banque Nationale qui compte près de 25 milliards d'actifs sous gestion.