Caroline regrette son achat immobilier. «J'ai acheté un duplex en juin 2009 dans l'Est de Montréal comme investissement pour le futur», explique-t-elle. Elle l'a payé 335 000$. En mise de fonds, elle a déposé 30 000$ en vertu du Régime d'accès à la propriété (RAP), soit 20 000$ d'épargne, plus un emprunt REER de 10 000$.

Les problèmes ont commencé un an plus tard. «Mon locataire d'en haut a disparu en novembre 2010 après avoir tout détruit», relate-t-elle.

Il lui fallu tout remettre en état et faire les rénovations nécessaires. Le logement n'a finalement été loué qu'en mai dernier. «Entre-temps, c'est moi qui ai dû absorber la différence pour l'hypothèque, le chauffage, l'électricité, etc. Toutes mes économies ont fondu, j'ai dépensé 10 000$ et il reste encore beaucoup de choses à faire (toit, changer un balcon, plomberie).»

La femme de 37 ans vit seule et gagne un salaire de 44 000$. «Je me demande si je devrais le mettre en vente parce que les réparations et les tracas n'en finissent plus. Ma banque m'a avisé que je devrais payer 8000$ de pénalités si je le vendais maintenant.»

Et pour compliquer encore les choses, son employeur a été racheté par des Américains qui menacent de transférer ses activités aux États-Unis. «S'il vous plaît aidez-moi à y voir clair.»

Vendre ou ne pas vendre?

Question shakespearienne, constate le planificateur financier François Morency, président d'Aviso les conseillers financiers. Il rappelle d'abord que l'investissement immobilier procure des bénéfices par la convergence de trois sources: les loyers nets des dépenses, le remboursement graduel du capital emprunté, et enfin la plus-value acquise sur l'immeuble. «Habituellement, une détention minimale de cinq ans est nécessaire pour permettre au levier financier et à l'inflation de faire leur oeuvre», indique-t-il.

Pendant ce temps, les risques de vacance et de vandalisme et les coûts d'entretien sont des contraintes courantes qui doivent être planifiées.

Mais déjà, le placement de Caroline semble avoir profité. Payé 335 000$ sans aucune mise de fonds propre, l'immeuble vaudrait selon elle 380 000$, soit une appréciation de 45 000$. «Un joli profit pour un immeuble qui n'a vraiment rien coûté, seulement deux ans après l'achat», commente notre conseiller.

Vendre? Il est vrai que Caroline est assise sous l'épée de Damoclès d'une perte d'emploi. Et les réparations restantes peuvent réserver des surprises. «Une bonne évaluation des travaux par un inspecteur qualifié ou par un entrepreneur général pourrait nous donner un budget, définir les priorités ainsi qu'une échéance pour chacune de ces réparations, indique toutefois M.Morency. La marge de manoeuvre n'est pas très grande, mais tout arrive bien pour assurer la continuité de l'opération.»

En effet, les deux logements sont maintenant loués. Le loyer du rez-de-chaussée, qui inclut le sous-sol, est fixé à 1400$ par mois et celui de l'appartement de l'étage à 800$, pour des revenus annuels de 26 400$.

M.Morency a dressé un rapide bilan annuel. Avec l'hypothèque et les impôts fonciers (20 292$), la taxe scolaire (610$), les assurances (1400$), le remboursement de l'emprunt et du RAP pour la mise de fonds (2904$), les débours totalisent 25 206$. Il se dégage donc un profit 1194$. Bref, l'immeuble se paie seul.

Qu'en est-il du budget de Caroline? Le bilan que notre planificateur lui a demandé a produit un train de vie de 49 000$ pour un revenu de 36 000$ après impôt. Mais Caroline y a amalgamé ses dépenses personnelles et celles de son duplex. En séparant les deux univers, on découvre que son coût de vie véritable est de 22 300$. Elle dégage donc un surplus de 13 600$, «ce qui lui donne une marge de manoeuvre pour faire certaines réparations», observe M.Morency.

Que se passerait-il si elle vendait maintenant? Petite simulation. En supposant une vente à 380 000$, des frais de courtage de 5% plus taxes laisseraient un bénéfice de 356 190$. Il faudrait alors rembourser l'hypothèque (321 000$), les emprunts pour la mise de fonds (30 000$), la pénalité du prêteur hypothécaire (8000$), pour un total de 359 000$. Caroline subirait une perte de 2810$.

Mais encore faut-il que l'immeuble vaille véritablement 380 000$ sur le marché. Est-ce bien le cas? Pour s'en assurer, M.Morency a consulté Manuel Conception, directeur du Groupe Sutton Accès. Avec l'adresse exacte, celui-ci a pu dresser un portrait plus précis: maison en rangée donc moins en demande, immeuble de 27 pieds sur 38 alors que Caroline le comparait à un standard de 30 pieds sur 40, évaluation municipale à 290 000$...

Il estime son prix de vente entre 350 000$ et 360 000$. La perte encourue par Caroline risquerait alors d'excéder 30 000$...

«D'un point de vue financier, l'immeuble est rentable, la majeure partie des dépenses a été effectuée et Caroline dispose d'une marge de manoeuvre pour faire progressivement les réparations, observe M.Morency. La vente de l'immeuble entraînerait une perte importante qu'elle ne pourrait pas supporter. Dans ce contexte, il vaut beaucoup mieux conserver cet immeuble.»

Mais il ajoute que la décision de Caroline devra également prendre en compte les aspects humains du dilemme: une femme seule, un risque de perte d'emploi, un immeuble à entretenir.