Les deux designers sont dos à dos.

Sur l'écran de Philippe Lefebvre: un plastron de receveur de baseball. Angles vifs, polygones rigides articulés sur un support souple, couleur bleu saphir.

Sur l'écran de Julie Kassabian: un plastron de receveuse de softball. Même protection et souplesse, mais sous des formes rouges légèrement adoucies - une version féminine, «sans tomber dans le fleuri et l'imprimé d'hibiscus», ironise la jeune femme.

Les deux plastrons sont simultanément en cours de conception pour l'équipementier américain Wilson. Nous sommes dans les bureaux de la firme de design industriel Tactix Gear Workshop, à Montréal.

La spécialité de la maison: le «souple». Ou les soft goods, selon l'expression consacrée. Des produits qui effleurent le corps, s'y conforment, le protègent, le flattent.

Le studio, qui compte huit designers, a été fondé en 2004 par Bastien Jourde et Martin Laberge.

Martin Laberge était auparavant designer chez Salomon, en Europe.

Bastien Jourde avait notamment travaillé chez le fabricant d'équipement de hockey ITech.

La fusion de leurs expériences a amené Tactix à travailler dans deux familles de produits: les chaussures de plein air et l'équipement sportif de protection. Depuis trois ans, 90% de son chiffre d'affaires provient des États-Unis et d'Europe.

Au contraire des bureaux de design qui conçoivent des produits en dur, Tactix n'utilise pas de logiciel de conception et modélisation 3D. «On doit concevoir en 2D quelque chose qui va se transformer en 3D, décrit Bastien Jourde. On doit l'imaginer dépliée.»

«Ça ne s'apprend pas à l'école, ajoute Martin Laberge. Tu ne peux pas modéliser une chaussure ou une épaulette de hockey. Ça s'imagine et se construit sur le corps.»

Un nouveau concept de chaussure sera issu de nombreuses esquisses, réalisées en parfaite connaissance des matériaux et des procédés de fabrication. Dans un va-et-vient constant avec le client, les propositions sont modifiées et raffinées jusqu'à l'accord final. Le fabricant - le plus souvent asiatique - convertit ensuite les illustrations et les indications des designers en produit fini. Tactix a ainsi conçu des dizaines de modèles de chaussures pour Merrell, Timberland, Patagonia, Salomon...

Pour les équipements de protection, les designers doivent mettre la main à la matière. Les dessins réalisés avec les logiciels d'illustrations 2D sont rapidement concrétisés à grand renfort de mousses taillées et de ruban adhésif, appliqués dans l'atelier du studio sur des modèles de torses ou de membres.

«La surface de la peau s'allonge avec les mouvements, explique Bastien Jourde. Si les protections ne respectent pas ce principe anatomique, on a peu de chances d'avoir un bon fit. On travaille beaucoup là-dessus.»

Les designers doivent en outre comprendre et respecter les codes des différentes disciplines. Le protecteur dorsal pour ski alpin que Tactix a conçu pour Scott Sports met en évidence ses plaques moulées en plastique blanc, qui s'articulent en se chevauchant sur toute la hauteur de l'échine. Sur leur harnais gris zébré de bandes rouges, elles expriment la performance et le sport d'élite.

La version pour vélo de descente, plus couvrante, devait dégager un dynamisme plus sombre: ses filets noirs et ses plaques vert-de-gris ont quelque chose d'entomologique.

La large expertise de Tactix lui permet de faire de la «fertilisation croisée» de technologie, selon le mot de Martin Laberge. Un exemple: sur le dos d'un gant de crosse conçu pour Reebok, les designers ont appliqué des nervures protectrices moulées par injection à même le textile - une technologie importée de la chaussure de sport.

Vous pourrez l'apprécier vous-même: Tactix Gear Workshop est un des studios participants aux journées Portes ouvertes Design Montréal, ce week-end (voir www.portesouvertesdesignmontreal.com).