Au début de chaque trimestre, La Presse Affaires demande à quatre stratèges d'expliquer comment ils répartissent parmi les grands véhicules de placement un montant initial de 50 000$ destiné à un REER. Ils font ici le point sur le premier trimestre, plein de chocs géopolitiques imprévisibles. Ils nous précisent ce qu'ils voient pour l'avenir immédiat et ajustent légèrement leur portefeuille en conséquence.

Comme prévu en début d'année, le stimulus fiscal obtenu à l'arraché en décembre par le président Barack Obama porte fruit jusqu'à maintenant, en dépit de l'embrasement du monde arabe ou de la triple catastrophe japonaise.

Il commence à donner des résultats sur le marché du travail, mais se révèle encore impuissant à relancer le marché de l'habitation qui va de creux en creux.

À cela, il faut ajouter le comportement plus qu'accommodant des banques centrales. «Il y a beaucoup d'eau dans les tuyaux qui propulse la croissance, résume François Bourdon, vice-président et chef adjoint des placements chez Fiera Sceptre. Quand il y en aura moins, il faudra que les profits prennent le relais. Ce sera le cas au deuxième trimestre, mais après?»

La croissance économique est au rendez-vous, celle des profits en particulier, comme en font foi les gains des grands indices boursiers américains et canadien, réalisés malgré ce contexte qui attise la volatilité.

La Bourse de Toronto a fourni le meilleur rendement cet hiver avec un gain appréciable de 5,6%. À New York, le S & P 500 a aussi bien fait, mais la force du dollar canadien a écorné son rendement à 3,69%, une performance trimestrielle plus qu'honnête.

C'est au printemps que la Réserve fédérale américaine doit préciser ce qu'elle entend faire quand aura pris fin son plan de monétisation de la dette américaine de 600 milliards.

Devant les signes encourageants d'ancrage de la reprise, d'aucuns jugent improbable le lancement d'un nouveau stimulus monétaire. Cela peut signaler que le repli des marchés obligataires amorcé cet automne a de bonnes chances de se poursuivre, voire de s'accélérer. De janvier à mars, le maître indice obligataire canadien, le DEX Univers, a déjà cédé 0,27%.

Voilà pourquoi M. Bourdon réduit de 5 points de pourcentage sa mise en obligations au profit de l'encaisse. Il est le seul expert de notre quartet à apporter une légère modification à la composition de son portefeuille fictif ce trimestre.

De son côté, Vincent Delisle, stratège chez Scotia Capitaux, note que le premier trimestre a encore été favorable aux actions, moins cependant qu'au au cours des deux trimestres précédents. «La partie devient plus difficile», résume-t-il.

Les marchés émergents ont surpris par leurs faibles rendements qu'il attribue au resserrement monétaire amorcé dans plusieurs pays aux prises avec des pressions inflationnistes. Elles sont nourries à la fois par la surchauffe, des monnaies trop faibles ou la flambée des prix des aliments, hormis le riz jusqu'ici.

Il juge curieux aussi le comportement des Bourses depuis l'éclatement de la crise libyenne. La hausse du pétrole devrait ralentir l'économie américaine. «Les investisseurs en déduisent que le resserrement monétaire américain et européen seront retardés, c'est un raisonnement dangereux», prévient-il. Cela dit, il ne s'attend pas à ce que la Fed relève de sitôt son taux directeur, qu'elle veut voir évoluer dans une fourchette de 0,0% à 0,25% depuis décembre 2008.

Il maintient donc une légère sur-pondération en actions. À 58%, de sa mise, le poids des actions est de huit points plus élevé que son portefeuille normal.

Stéfane Marion, économiste en chef et stratège à la Banque Nationale mise aussi un peu plus sur les actions qu'en situation normale parce qu'il a confiance dans la robustesse de la reprise mondiale. «C'est la première fois dans l'histoire moderne qu'on assiste à une expansion à l'échelle mondiale avec des taux d'intérêt réels négatifs, souligne-t-il. À court terme, c'est positif.»

À moyen terme, le marché obligataire deviendra très vulnérable, prévient-il. Même si notre exercice ne tient pas compte de cette facette essentielle du marché de la dette, il précise privilégier les échéances courtes.

Ce qui le distingue de M. Delisle, c'est la répartition de ses actions. Il mise beaucoup plus sur les canadiennes car il demeure convaincu que les prix des biens de base vont rester élevés. En plus, il parie que le huard va rester fort ce printemps. Il pourrait continuer de s'apprécier, ce qui aurait pour effet de gruger les rendements des marchés boursiers étrangers converti dans notre monnaie.

Luc Girard, directeur, groupe conseils en portefeuilles chez Valeurs mobilières Desjardins, est de loin celui qui parie le plus gros sur les actions, avec seulement 20% de sa mise en obligations et rien en encaisse, pour un troisième trimestre d'affilée.

Ce pari lui sourit jusqu'ici. «Le contexte est encore bon pour les actions. Elles ne sont pas très chères avec des prix équivalant à de 12 à 13 fois les bénéfices escomptés de 2012, explique-t-il. La moyenne historique est de 15 fois. On a encore du potentiel.»

M. Girard mise aussi beaucoup plus que les autres sur les marchés émergents «la locomotive de la reprise mondiale», même si les rendements n'ont pas été à la hauteur durant l'hiver.

Il attribue cette contre-performance aux risques géopolitiques qui ont attisé la prudence des investisseurs. Ils ont préféré parier davantage sur les sociétés nord-américaines.

Si ces risques devaient s'atténuer, alors ces Bourses devraient retrouver le Nord.