Investir en regardant dans le rétroviseur risque de causer un grave accident dans son portefeuille. Instinctivement, c'est ce que l'on serait porté à croire... Mais les adeptes de la gestion «momentum» pensent, au contraire, qu'un tel comportement leur donne une longueur d'avance.    



Pour avoir du succès à la Bourse, un investisseur doit «acheter bas et vendre haut». Vrai. Mais pour les adeptes du style «momentum», il est possible de faire encore plus d'argent en «achetant haut et en vendant encore plus haut».

La stratégie est simple: il suffit de surfer sur la vague! Comment? En investissant tous les mois dans les titres gagnants des 12 derniers mois, ceux qui ont connu la plus forte performance à la Bourse, ceux qui ont le plus d'élan.

Depuis plusieurs décennies, de nombreuses études ont démontré que les titres gagnants des derniers mois continuent de sur-performer, du moins à court terme.

Les résultats viennent d'être confirmés dans une étude de Credit Suisse réalisée en collaboration avec des universitaires de la London Business School. On y apprend que l'approche momentum aurait livré un rendement annuel composé de 14,3% depuis 1900 au Royaume-Uni, bien au-delà de la performance de la Bourse qui a livré 9,5%.

En fait, la stratégie momentum aurait permis de battre la Bourse dans la plupart des 19 marchés développés que les chercheurs ont analysés.

«Le momentum fonctionne dans tous les marchés boursiers de la planète, sauf au Japon. Peut-être parce que le marché est en baisse depuis si longtemps», dit le gestionnaire James O'Shaughnessy, spécialiste américain de la gestion quantitative qui utilise le momentum dans sa méthode d'investissement.

Le momentum fonctionne très bien en Amérique du Nord. Selon la firme américaine AQR Capital Management qui a lancé un indice momentum en 2009, la stratégie a procuré un rendement annuel composé de 13,1% depuis 1980 aux États-Unis, surpassant la Bourse américaine de 2% par an (indice Russell 1000).

La sagesse des foules

Malgré toutes les études, le phénomène du momentum demeure intrigant. Après tout, le passé n'est pas garant du futur. Alors comment expliquer que les titres gagnants ont de fortes probabilités maintenir leur surperformance?

C'est en raison de la sagesse des foules, répond M. O'Shaughnessy. Il cite le best-seller The Wisdom of Crowds, publié en 2004 par James Surowiecki, chroniqueur financier du New Yorker. L'ouvrage démontre qu'un groupe fait de meilleures évaluations que n'importe lequel des membres de ce groupe individuellement.

Il relate la découverte d'un scientifique anglais lors d'une foire agricole au début 1900. Dans un concours visant à évaluer le poids d'une vache, chaque fermier versait un shilling pour participer. Celui qui avait l'évaluation la plus précise remportait la cagnotte.

Après le concours, le scientifique a compilé tous les résultats. «Il a été renversé de constater que l'évaluation moyenne de tous les participants correspondait au poids exact de la vache, à une livre près. Beaucoup mieux que l'évaluation du gagnant!» rapporte M. O'Shaughnessy.

Simple hasard? «Non! Les professeurs refont l'exercice dans leurs classes d'économie, en faisant évaluer à leurs étudiants le nombre de gommes dans un pot. Ça marche à tout coup! La raison? Nous avons tous des talents différents. En les additionnant, on arrive à une approximation très juste», explique le gestionnaire.

Mais il faut trois éléments pour que l'exercice fonctionne. Premièrement, le groupe doit refléter une variété d'opinion. «Justement, le marché boursier se trompe lors des périodes d'euphorie ou de panique, c'est-à-dire lorsque tout le monde partage le même sentiment», fait remarquer M. O'Shaughnessy.

Deuxièmement, il faut que l'exercice soit payant. «Si ça vous coûte quelque chose pour participer, vous allez porter davantage attention», explique le gestionnaire. Et troisièmement, il faut que l'information puisse être compilée de manière simple et cohérente.

«Qu'est-ce que le prix d'une action si ce n'est pas cela? Les gens paient; il y a définitivement une variété d'opinions; et la compilation est simple: ça s'appelle des cotes boursières!», résume M. O'Shaughnessy.

Voilà pourquoi le marché boursier voit juste... mais il est souvent en retard.

«Nous avons tendance à trop réagir aux mauvaises nouvelles et à ne pas réagir assez vite aux bonnes nouvelles», enchaîne M. O'Shaughnessy.

«Il faut souvent plusieurs mois avant qu'un groupe d'investisseurs se fassent une opinion», renchérit Richard Morin, chef de l'exploitation chez Landry Morin, une firme montréalaise qui applique le momentum à la lettre.

Prenez une société qui dévoile de bons résultats. Les investisseurs s'en réjouissent, mais ils ne s'imaginent pas que cela va durer. Donc, l'action monte, mais pas tant cela. Le trimestre suivant, la société affiche encore d'excellents résultats. Le titre monte encore, mais certains investisseurs encaissent des profits, freinant la progression du titre.

En fait, les investisseurs sont irrationnels: «Ils vendent leurs titres gagnants trop vite et ils s'accrochent aux titres perdants trop longtemps, car ils n'aiment pas accuser une perte. C'est dans la nature humaine», dit M. Morin.

Le momentum permet de tirer profit des erreurs de comportement. L'approche est intéressante et particulièrement complémentaire avec le style valeur, estime Éric Fontaine, consultant chez Brockhouse Cooper. «Ça peut être un bon complément pour ceux qui ont les reins solides», dit-il.

Le déferlement de la vague

Mais utiliser le style momentum n'est pas comme naviguer sur un long fleuve tranquille. Souvent, la stratégie produit un portefeuille très concentré dans un seul secteur. Quand le vent tourne, le portefeuille est emporté par le déferlement de la vague.

«Quand il y a des revirements soudains, la stratégie du momentum est plus difficile à maintenir. Ça peut baisser très rapidement, en particulier à la fin des bulles», prévient M. Fontaine. D'ailleurs, le momentum a eu la vie dure après la bulle des technos, tout comme le style «croissance».

«Après 2001-2002, les gens se sont redirigés vers le style valeur. Ce n'est que vers 2007 que le style croissance a retrouvé la faveur des investisseurs, avec la vague de hausse dans le secteur des ressources naturelles. Mais le style momentum n'est jamais redevenu aussi populaire que dans les années 90», dit Christian Charest, de la firme d'évaluation de fonds Morningstar Canada.

Le momentum a aussi subi un dur revers après l'éclatement de la crise du crédit. «Quand le momentum se fait tuer, c'est dur, admet M. O'Shaughnessy. Mais la bonne nouvelle, c'est que cela se produit très rarement.»

Le gestionnaire a étudié le comportement boursier à la suite d'un effondrement majeur de la Bourse (-40%). Cela s'est produit seulement cinq fois depuis 80 ans (1929-31, 37-38, 73-74, 2000-03, 2008). Durant ces périodes de paniques, les investisseurs vendent les actions qui s'échangent à des prix de quasi-faillite.

Lors de la première année de remontée, le style valeur est particulièrement payant. Quand que le ciel s'éclaircit, les investisseurs sautent sur les actions qui sont devenues d'incroyables aubaines. Mais pendant ce temps, le momentum mord la poussière. Au cours de la deuxième année de reprise boursière, les choses reviennent doucement à la normale. En durant la troisième année de remontée le momentum reprend son élan, indique M. M. O'Shaughnessy.

Si l'histoire se répète, la troisième année de remontée boursière qui a débuté le 9 mars dernier, sera une belle année pour le momentum.

Question de styles

Valeur

C'est le style du gourou Warren Buffett. En analysant les données fondamentales des entreprises, les investisseurs cherchent à investir dans des titres sous-évalués par rapport à la valeur intrinsèque de la société. Ils revendent quand le titre atteint sa pleine valeur.

Croissance

Ce style mise sur les sociétés qui sont en plus forte croissance, ce qui devrait se refléter tôt ou tard dans leur action à la Bourse

Momentum

Parfois considéré comme un sous-segment du style croissance, le momentum se concentre sur les titres qui ont le plus d'élan à la Bourse ou, dans une autre variante, sur les sociétés dont les profits sont en forte accélération.

Quantitatif

Pour évacuer les émotions qui mènent souvent à des erreurs, les gestionnaires quantitatifs déterminent des critères de sélection stricts qu'ils appliquent de façon purement mathématique, sans jamais déroger. C'est l'ordinateur qui fait le boulot!

Indiciel (passif)

Comme la majorité des gestionnaires actifs ne parviennent pas à battre l'indice de la Bourse, beaucoup d'investisseurs préfèrent une approche passive, moins coûteuse. Ils investissent carrément dans l'indice, en achetant un portefeuille (fonds indiciel, fonds négocié en Bourse) qui contient les mêmes sociétés que l'indice. Comme un miroir.

Des fonds communs qui utilisent le momentum

Landry Morin

D'ici peu, la firme montréalaise Landry Morin lancera sa propre famille de trois fonds communs destinés au grand public (canadien, américain, mondial) qui seront distribués par les courtiers en placement. Les fonds reposent uniquement sur la gestion momentum, selon une recette quantitative mise au point par Jean-Luc Landry, ancien dirigeant de Montrusco Bolton qui offre aussi des portefeuilles fondés sur le momentum aux investisseurs institutionnels.

O'Shaughnessy RBC

Six des sept fonds de la famille RBC O'Shaughnessy de la Banque Royale utilisent du momentum à l'intérieur d'une stratégie qui intègre d'autres styles de gestion comme «valeur» et «croissance». L'approche est purement quantitative et totalement transparente. «Quand les marchés sont très émotifs les gens abandonnent leur stratégie. Ils prennent des décisions qu'ils finissent par regretter», dit James O'Shaughnessy, pionnier de la gestion quantitative et auteur du best-seller What Works on Wall Street.

Fonds de croissance active américaine AGF

L'Américain Richard Driehaus se présente comme le père de la gestion momentum. Au lieu d'acheter bas et de vendre haut, il cherche à acheter haut et vendre encore plus haut. Au Canada, il est à la barre du Fonds de croissance active américaine AGF. Après une année exceptionnelle en 2007 (+41% versus -7% pour l'indice), le fonds a subi trois années de sous-performance en 2008, 2009 et 2010. Sur 10 ans, sa performance est plutôt moyenne.