Ce n'est qu'une poubelle, pourtant. Rien de mystérieux, en apparence. Mais quand le bac de recyclage de la Ville de Montréal sera finalement distribué à grande échelle, cinq ans se seront sans doute écoulés depuis le lancement de son concours de design, en 2007.

«Je n'ai jamais fait un aussi petit projet avec autant de documentation», lance André Desrosiers, un des responsables du Laboratoire design et proximité de l'École de design de l'UQAM.

En mars 2010, le Laboratoire avait reçu le mandat de réévaluer le bac-sac. Le projet gagnant du designer Claude Mauffette avait séduit le jury par son innovation et son ergonomie. Il aura finalement péri par son innovation et son ergonomie.

Trop haut, trop encombrant. Trop sensible au vent et aux intempéries, en raison des ajours ménagés pour l'alléger. Et surtout trop fragile, car la vision du créateur poussait la technologie de moulage à ses limites.

André Desrosiers et ses collègues designers Koen de Winter et Véronique Rioux ont recommandé que la démarche soit poursuivie, en conservant l'esprit d'un «panier refermable et transportable à une main». Tout résidait désormais dans son encadrement.

Ils ont défini des paramètres très précis et contraignants. Ce serait un contenant à empreinte rectangulaire, à couvercle enveloppant et articulé sur charnière, muni de poignées supérieure et inférieure. Il pourrait être inséré dans une armoire de cuisine, sous un plan de travail de hauteur standard. Sa largeur lui permettrait de passer dans une porte, lorsqu'il serait porté d'une main.

Bref, c'était un retour au point de départ du concours. «Les deux solutions éliminées étaient de cet ordre», reconnaît André Desrosiers.

En septembre, trois firmes de design ont été invitées à proposer des concepts qui répondraient à ces critères. InstaDesign, sous la direction du designer Amiel Lapalme, a été retenue pour la dernière étape.

Pour réaliser le prototype du bac-sac et lancer une production préliminaire, il avait fallu investir dans un moule d'injection en aluminium, au coût d'environ 200 000$. Pour le modèle de travail du nouveau bac, le designer Koen de Winter a plutôt proposé d'utiliser la technique de soudage de polyéthylène - qu'il avait expérimentée en l'an 1635, ironise André Desrosiers, pour rendre hommage à la vaste expérience du maître ès plastique.

L'étudiant en design Thien Nguyen a patiemment découpé un énorme bac de recyclage à roulettes de 300 litres, pour en souder les éléments retaillés dans le nouveau format, couvercles, charnières et poignées inclus. «Notre prototype a coûté le centième de celui du bac-sac, mais le degré d'information est aussi grand», constate André Desrosiers.

Confrontées à la réalité, toutefois, même la simplicité et l'évidence réservent des surprises. Ce modèle a été testé par des citoyens, puis par un collecteur. «Il a fallu 45 minutes avant que le collecteur se mette à le manipuler comme il le ferait en réalité», narre André Desrosiers. Car il faut apprivoiser l'objet, oublier la gêne d'être observé, épurer sa chorégraphie. Le verdict est tombé: la poignée devrait être placée du côté opposé à la charnière, car le couvercle nuit au déversement.

La performance réside dans les détails. L'épaisseur des parois, par exemple. Le cahier des charges limitait le poids à 3 kg. Mais des parois trop minces nuisent à l'injection et créent des points de faiblesse. Koen de Winter a fixé leur épaisseur à 0,110 po, pas un cheveu de moins. «Il calcule tout à la main, les logiciels ne sont pas aussi bons», commente André Desrosiers.

Entre l'appel de concepts, le 10 septembre, et la présentation au comité du modèle final d'InstaDesign, le 24 novembre, à peine trois mois se seront écoulés (il en faudra quatre pour que ce modèle soit présenté aux médias, le 18 février dernier!).

«Sur le plan technique, on pense que le projet est impeccable. Sur le plan de l'audace, c'est un grand bac roulant qu'on a coupé et rapetissé», observe André Desrosiers.

Le jury avait osé choisir un planeur. Il s'est transformé en camion. Mais il fera le travail.