Les ménages québécois sont plus endettés que jamais. En un an, près de 38 000 consommateurs ont déposé un dossier d'insolvabilité devant un syndic de faillite au Québec. Comment se passe une rencontre avec un syndic de faillite? Deux retraités de plus de 70 ans ont rendez-vous pour conclure une proposition de consommateur. Ils ont accepté qu'un témoin y assiste.

René triture sa casquette. Huguette serre et desserre nerveusement les lèvres. Aucun des deux n'a osé enlever son manteau. Début février, René (NDLR: René et Huguette sont des noms d'emprunt pour préserver l'anonymat des interlocuteurs) est assis dans le bureau de la syndic de faillite Josée Pomerleau, chez Lemieux Pomerleau et associés, pour signer une proposition de consommateur.

«Ça m'a pris trois mois avant de me décider à venir vous voir, lui dira-t-il. J'étais au bout de la corde. Ce n'est pas facile. Tu as ta dignité. Personne n'est au courant.»

Tous deux sont retraités. René a 71 ans. Comme c'est le cas pour de plus en plus de personnes âgées, son endettement excède ses moyens. Ses cinq cartes de crédit, dont quatre de Canadian Tire, lui avaient fait accumuler des dettes de 17 650$, auxquelles s'ajoutaient des créances fiscales de 325$.

La raison de ses difficultés? «Une mauvaise gestion», résume-t-il laconiquement.

C'est Huguette qui l'a incité à cette démarche. «Il payait sa carte en allant chercher une autre carte, décrit-elle. Ça montait tout le temps. Ça faisait de la chicane et ça n'allait plus dans notre ménage. Je ne voulais pas de séparation à cause de ça, et je ne voulais pas le laisser dans la misère non plus, alors qu'on est ensemble depuis 19 ans.»

La veille, lors d'une première rencontre avec une collègue de Mme Pomerleau, ils ont fourni, pièces à l'appui, tous les détails de leur situation financière. On leur a alors décrit les avantages et désavantages de la faillite et de la proposition de consommateur. René a choisi la seconde. «Étant donné que j'avais déjà fait faillite, ça m'aurait coûté plus cher de faire une faillite», explique-t-il.

Selon les termes de la proposition dont Josée Pomerleau leur fait la lecture, ils devront verser 150$ par mois pendant 60 mois, soit 9000$ par comparaison aux dettes de 18 000$.

Une seconde faillite leur aurait coûté légèrement moins cher, mais les 36 versements mensuels de celle-ci se seraient élevés à environ 210$ chacun. Les mensualités de la proposition de consommateur pèseront moins sur leur budget. Les deux retraités habitent depuis 20 ans le même petit logement montréalais, et touchent à eux deux 3200$ par mois, après impôt.

Les paiements mensuels seront versés dans un compte en fidéicommis, et distribués une fois l'an aux créanciers.

La cote de crédit de René sera portée à R9 durant les cinq ans de la proposition, puis sera ramenée à R7 pour les trois années suivantes. «C'est une bonne chose que vous n'ayez plus accès au crédit pour les huit prochaines années, commente la syndic. Le crédit, ce n'est pas pour vous.»

Josée Pomerleau révise la liste des actifs et des postes de dépenses que le couple a dressée la veille avec sa collaboratrice. En incluant les versements de 150$ pour la proposition, le budget préparé par le syndic montre un surplus des revenus sur les dépenses de 50$ par mois.

«Avec 400$ par mois pour l'épicerie, vous vous en sortez? leur demande-t-elle. Il me semble que ce n'est pas beaucoup.»

«Oui, répond Huguette, on est juste tous les deux.»

Mais la syndic bute sur le coût de l'assurance vie de René, dont les primes totalisent 298$ par mois. Une part importante consiste en assurance vie au nom de ses petits-enfants, contractée à la naissance de chacun, en cadeau. «Ça fait une grosse somme, pour l'assurance-vie, ça ne vous a pas aidé pour votre insolvabilité», commente-t-elle.

Elle s'interroge: comment vont réagir les créanciers devant ce poste budgétaire hors de proportion? «On va déposer la proposition telle quelle et on va voir comment les créanciers vont réagir, décide-t-elle. Ça ne me surprendrait pas qu'ils en demandent un peu plus.»

N'importe quel créancier a 45 jours pour contester la proposition, et demander un vote de l'ensemble des créanciers sur son acceptation ou son rejet. Si aucun ne réagit à l'intérieur de ces 45 jours, la proposition est réputée acceptée. «Ça se pourrait qu'ils demandent 175$, et peut-être 200$ par mois», les prévient-elle.

Elle demande à René de faire une déclaration solennelle, indiquant qu'il a dévoilé aujourd'hui toute la vérité sur sa situation financière, à sa connaissance. René signe le document. «Il faut que vous disiez 'Je le jure'«, lui rappelle Josée Pomerleau. «Je le jure», récite-t-il.

Leurs cartes de crédit ont été remises la veille au syndic, et ont été coupées sous leurs yeux - geste symbolique autant que préventif. René ne détient aucune autre carte? s'enquiert Josée Pomerleau. «Non, je vais me faire tirer, sinon.»

Deux rencontres avec la syndic doivent avoir lieu au cours des neuf prochains mois. On convient d'un premier rendez-vous, deux mois plus tard.

«Avez-vous des questions?» lance Josée Pomerleau.

«Quand est-ce qu'il faut que j'amène les chèques?» demande Huguette.

«Je vais vous écrire quand la proposition sera acceptée», répond la syndic. Règle générale, le débiteur remet au syndic les chèques postdatés qui couvriront la prochaine année de paiements, à l'exception du premier versement, qui doit être effectué sur-le-champ, en argent comptant.

Et c'est tout. La rencontre a duré 28 minutes. René est-il soulagé? «Pas encore, dit-il. Tant que la proposition ne sera pas acceptée, je vais toujours l'avoir dans la tête.» Sa nouvelle vie commencera dans 45 jours. «Vu mon âge, j'aimerais ça aller sans stress jusqu'au moment de mourir, et vivre normalement comme un retraité.»

Ils sont sortis d'un pas lourd et les épaules voûtées. Le poids de l'âge, bien sûr. Mais un autre fardeau, aussi.

*Les deux prénoms sont fictifs