Comment laisser un héritage à sa fille sans la mettre dans le pétrin?

Lise a 60 ans. Elle possède depuis dix ans un duplex à Montréal, dont elle occupe un des deux logements. Acheté 155 000$, il vaut maintenant 500 000$. Elle compte le léguer à sa fille Sophie, âgée de 27 ans, qui habite à l'étranger.

«Je viens d'apprendre qu'à mon décès, l'impôt viendra réclamer la moitié de la valeur de la maison, ce qui constituera un montant beaucoup trop élevé pour les moyens de ma fille, qui devra sans doute vendre le duplex pour... payer ces impôts! déplore-t-elle. Cela me désespère. Ma fille adore la maison et j'aurais voulu qu'elle en hérite sans soucis. Il existe bien une assurance pour prévenir ça, mais elle coûte près de 3000$ par année.»

L'immeuble est encore grevé d'une hypothèque de 70 000$, qui court sur sept ans. Le logement rapporte un loyer de 960$ par mois.

«Puis-je vendre la moitié du duplex à ma fille pour un montant symbolique, afin qu'elle déclare le logement acquis comme domicile familial même si pour le moment elle habite à l'étranger et que l'on continue de le louer?» demande Lise.

Bref: «Que faire?»

Bonnes et mauvaise nouvelles

La notaire, fiscaliste et planificatrice financière Julie Lebreux, de l'étude Jolin Lebreux, a deux nouvelles pour Lise. Une bonne et une mauvaise. La bonne: «Lise sera heureuse d'apprendre qu'il n'y aura absolument aucune conséquence fiscale à son décès sur la valeur de la moitié de son duplex.»

La mauvaise: il faudra acquitter l'impôt sur l'autre moitié.

Mais revenons à la bonne.

Contrairement à ce que croyait Lise, l'impôt ne réclamera pas la moitié de la valeur de sa maison. Lors de la vente d'une propriété, l'impôt s'applique plutôt sur la moitié du gain en capital réalisé depuis son achat. De surcroît, la résidence principale - une seule par famille - est exemptée de cet impôt.

La moitié du duplex que Lise occupe depuis son acquisition est considérée comme sa résidence principale.

L'impôt sur le gain en capital ne s'appliquera que sur la moitié locative de sa propriété.

«Le logis loué est donc considéré comme un bien distinct avec son propre coût et sa propre juste valeur marchande», précise Me Lebreux.

Bien sûr, comme toujours en matière fiscale, il y a des subtilités. Lorsqu'un propriétaire lègue sa propriété à son conjoint, les impôts exigibles sont reportés au moment où celui-ci mourra lui-même ou vendra la maison. Toutefois, Sophie ne peut en profiter car ce report ne s'applique pas aux enfants.

Lise songe à céder dès maintenant sa propriété à sa fille pour un montant symbolique, question d'escamoter l'impôt. Fausse piste: elle devrait tout de même acquitter la facture fiscale relative à la juste valeur marchande de la partie locative. «D'ailleurs, cette juste valeur marchande n'est pas l'évaluation municipale mais bien l'évaluation immobilière d'un évaluateur agréé», indique Me Lebreux.

Il n'y aura donc aucun moyen d'éviter les impôts payables sur la partie locative de la propriété. Que Sophie habite ou non à l'extérieur du pays n'y change rien.

À l'heure actuelle, à combien s'élèveraient ces impôts? Depuis son achat, la valeur de la propriété s'est accrue de 345 000$. La moitié de cette plus-value, soit 172 500$, est attribuable à la partie locative. L'impôt s'applique sur la moitié de cette plus value, soit 86 250$. En supposant un taux marginal d'imposition de 48,2%, l'impôt à verser serait donc de 41 572$ - nettement moins que ce que craignait Lise.

Mais Sophie sera-t-elle tout de même en mesure de verser cette somme au fisc?

Précisons un peu. Au décès de Lise, ces impôts seront en fait acquittés par sa succession. Sophie est sa seule enfant, et on peut supposer qu'elle héritera de l'ensemble des biens de Lise, y compris du solde de ses économies. Si elles ne sont pas épuisées, elles pourront servir à acquitter une partie des impôts.

Pour l'instant, le solde hypothécaire s'élève encore à 70 000$. Il est vraisemblable qu'il aura déjà été acquitté au décès de Lise. Mais pour écarter ce risque, notre planificatrice, lors d'une conversation tenue cette semaine, a soulevé l'hypothèse que Lise souscrive une assurance crédit hypothécaire avec son créancier.

Restera les impôts. Quand Sophie héritera de l'immeuble, rien ne l'empêchera de demander une marge de crédit garantie par la propriété, qui lui servira à payer la facture fiscale. Cette marge pourra être remboursée avec les revenus de location provenant d'un ou deux logements, selon qu'elle habite ou non l'immeuble.

Dans les conditions actuelles, un emprunt de 41 500$, amorti sur 10 ans et avec un taux d'intérêt de 5%, produit une mensualité de 440$. Les revenus de location actuels du logement sont de 950$ par mois. On peut penser qu'au décès de Lise, les proportions seront du même ordre.