Chaque samedi, un financier différent répond à nos questions. Il donne sa lecture des marchés, offre son point de vue sur la Bourse et lance quelques conseils d'investissement. Cette semaine, Jacques Chartrand, de Selexia.





À votre avis, quel est l'événement le plus significatif des derniers jours à la Bourse?



Tout le monde parle d'assouplissement quantitatif! C'est ce qui a déclenché la remontée de la Bourse. Juste ça. Au Canada, la Bourse est en hausse de 11% depuis septembre. Elle est remontée environ 3% au dessus de son sommet du printemps dernier. On a récupéré toute la baisse de l'été dernier. Aux États-Unis, la Bourse a repris 13,5% depuis septembre, mais elle reste sous son niveau du printemps dernier.

Historiquement, l'assouplissement quantitatif a un impact positif sur la Bourse. Chaque fois qu'un gouvernement se met à imprimer de l'argent pour faire baisser les taux d'intérêt de long terme, la Bourse réagit bien.

Quel indicateur surveillez-vous le plus attentivement en ce moment?

Le taux de chômage est à surveiller. Si on réussit à l'abaisser, la confiance va revenir et le consommateur va arrêter d'appuyer sur le frein.

Il faudrait qu'on commence à voir de la création d'emplois, des investissements de la part des entreprises, car les plans de relance des gouvernements arrivent à leur fin. Et il y a de plus en plus de pression politique, notamment de la part des partisans de la droite aux États-Unis, pour réduire le déficit qui est à un niveau insoutenable à long terme. Cela drainera la croissance économique. Ça va être dur.

Je ne suis pas négatif: je ne pense pas que l'économie va retomber en récession. Mais son taux de croissance sera plus faible, autour de 1,5% à 2% réel par année. C'est facile à comprendre. Le taux d'épargne des Américains est remonté de zéro à 6%: c'est de l'argent qui allait dans l'économie, et qui s'en va maintenant dans les comptes en banque.

Que feriez-vous avec 10 000$ à investir?

Je ne suis pas porté à investir en ce moment. Je suis un peu nerveux parce que le marché a bien fait. Je ne m'attends pas à une correction majeure, mais je reste plus défensif. Il n'y a pas un seul titre dans l'indice que j'achèterais, aujourd'hui. Il n'y a plus d'aubaines fracassantes.

Quel placement évitez-vous à tout prix?

Je ne mettrais pas mon argent dans les obligations gouvernementales de plus de 5 ans. Avec les gouvernements qui impriment de l'argent, j'ai peur que ça nous revienne sous forme d'inflation.

Du côté de la Bourse, je pense qu'on ne devrait pas toucher aux titres à dividende élevé dont l'action se négocie à plus de 15 fois les bénéfices par action. Par exemple, tout le secteur des pipelines. Enbridge à 20 fois les bénéfices, je n'ai jamais vu ça de ma carrière!

Ce qui marche à la Bourse canadienne depuis le début de l'année, ce sont vraiment les titres de sociétés qui versent un bon dividende (et les actions de petites sociétés de ressources naturelles). C'est clair que ça devient dangereux: les gens regardent juste le rendement courant. C'est dangereux de courir après des thèmes d'investissement: au début, ça va bien, mais ensuite ça va très mal.

Qu'est-ce que les marchés sous-estiment le plus présentement?

Le marché surestime l'effet de l'assouplissement quantitatif. On en a tellement parlé que ça se reflète déjà à la Bourse. Mais pour être franc, je n'y crois pas beaucoup. Je crains que si la mesure adoptée n'est pas aussi importante que prévu, la Bourse le prenne mal. On pourrait tout reperdre. C'est ma plus grosse crainte.

Parce que sinon, les bénéfices sont bons, la Bourse n'est pas si chère... mais ce n'est pas cela qui fait bouger le marché. Les investisseurs ne se concentrent plus sur les ratios (cours-bénéfice, cours valeur-comptable, etc.).

En ce moment, c'est la macroéconomie qui mène la Bourse: l'assouplissement quantitatif, les devises, les déficits gouvernementaux ... Je trouve ça très aléatoire de travailler avec des facteurs comme ça.