Au début de chaque trimestre, La Presse Affaires demande à quatre stratèges d'exposer comment ils répartiraient une mise de 50 000$ destinée à un REER. Ils font ici le point avec nous sur la période tumultueuse d'avril à juin, nous expliquent ce qu'ils voient pour l'avenir immédiat et ajustent leur portefeuille en conséquence.

Au printemps, les Cassandre ont une fois de plus eu raison : leurs prophéties de malheur se sont concrétisées avec pour élément déclencheur la crise de la zone euro qui a ranimé parmi les investisseurs et les spéculateurs l'aversion pour le risque et les craintes d'une rechute en récession.

Fait rare, en pleine reprise économique mondiale, c'est l'encaisse et les obligations qui ont généré de la valeur, alors que les marchés boursiers ont battu de l'aile. Au point où le maître-indice américain, le S&P 500, est maintenant en repli de quelque 15% par rapport à son sommet de mi-avril. Il faut rappeler que ce pic marquait l'apogée d'un rallye exceptionnel.

Les investisseurs qui ont joué de prudence au deuxième trimestre sont parvenus à mieux protéger leur capital, faute de pouvoir le faire fructifier.

«On avait misé seulement 5% de nos billes dans les actions mondiales (Europe, Asie, Extrême-Orient - EAEO) à cause de l'Europe, mais on ne s'attendait pas à une correction de cette ampleur, explique modestement François Bourdon, chef adjoint des placements chez Fiera Capital. On voyait les problèmes d'une politique monétaire commune non assortie d'une politique fiscale commune.» Exprimé en dollars canadiens, l'indice Morgan Stanley EAEO a reculé de près de 10% sous l'effet conjugué de reculs des grands indices européens et d'une forte dépréciation de l'euro face aux dollars américain et canadien.

M. Bourdon avait en outre placé 45% de son portefeuille dans les revenus fixes, avec 15% en encaisse pour bien signifier qu'il jugeait la reprise fragile.

C'est parce que la correction lui paraît relativement trop forte qu'il augmente de cinq points le poids des actions EAEO. Cette répartition reste néanmoins encore inférieure de cinq points à une répartition normale, selon le portefeuille type de Fiera pour une clientèle proche de celle pour qui il se prête au présent exercice.

Vincent Delisle, stratège chez Scotia Capitaux, avait pour objectif au deuxième trimestre d'aller chercher les quelques fruits qu'il croyait encore à portée de main sur les marchés boursiers avant de déplacer quelques billes vers les obligations. «La violence de la correction va retarder ce mouvement, explique-t-il. Le défi en 2010, c'est de se montrer un peu plus défensif afin de réduire le risque du portefeuille.»

Cela dit, nos quatre spécialistes croient qu'une reprise durable, bien que chaotique, demeure le scénario le plus probable. Reste que la prudence reste plus que de mise, car les risques d'orages sont nombreux.

«Avoir été conservateur au deuxième trimestre aurait été plus payant, admet Luc Girard, directeur, groupe conseil en portefeuille chez Valeurs mobilières Desjardins. Les investisseurs ont peur d'avoir confiance à nouveau.» Ce qui n'est pas son cas, puisqu'il garde intacte sa répartition printanière caractérisée par 70% de l'ensemble en actions, dont 12,5% en titres des pays émergents. «Les nuages vont se dissiper. Cette année, la croissance mondiale va atteindre 4% dont les trois-quarts seront assurés par les économies émergentes.»

Tout en allégeant de 65% à 60% sa pondération en actions pour prudemment garder la différence en encaisse, Benoit Mayer-Godin, stratège quantitatif à la Financière Banque Nationale, estime que les marchés boursiers nord-américains sont plutôt bon marché.

«La valorisation cours/bénéfice est à un niveau non observé depuis le milieu des années 60 (exception faite de la crise-récession de 2008-2009. L'indice américain S&P 500 est à 14,6 fois les bénéfices des 12 derniers mois et le canadien S&P/TSX à 16,5 fois. En plus, la croissance des profits est très élevée pour 2010 et 2011.

Reste une grande incertitude dans ce scénario, c'est la volonté des entreprises américaines à embaucher. «Si on avait plusieurs chiffres d'emploi négatifs, on se raviserait à l'automne», assure-t-il. Les données de juin qui font état de seulement 83 000 embauches dans le secteur privé sont une déception, à coup sûr. La Financière s'attendait à deux fois plus.

Le changement majeur de sa répartition reste toutefois l'inversion des prépondérances entre les actions américaines et canadiennes. Il privilégie cette fois-ci les canadiennes, tout comme ses trois collègues d'ailleurs. «Le Canada est dans un sweet spot (situation rêvée), résume Vincent Delisle. Il bat les marchés quand les marchés montent et quand ils baissent.»

Pour le comprendre, il ne faut pas chercher midi à quatorze heures. Quand ça va bien, on a des richesses naturelles à exporter. Quand ça va mal, les capitaux ont tendance à se réfugier dans le métal jaune. Or, les titres aurifères pèsent 10% dans le S&P/TSX.

«Le Canada reste un leader économique», ajoute Benoit Mayer-Godin.

Cela signifie donc que les taux obligataires sont appelés ici à grimper alors que les intervenants sur les marchés n'en sont pas du tout certains. Si les taux augmentent, le rendement des obligations va diminuer. «Voilà pourquoi nous réduisons notre pondération en obligations», conclut François Bourdon.