Pour la première fois cette année, les actionnaires de 13 des plus grandes sociétés canadiennes ont leur mot à dire sur un enjeu toujours très controversé: la rémunération des patrons.

La Banque CIBC a brisé la glace, le 25 février dernier. Ses actionnaires ont approuvé à 93% la rémunération des dirigeants. Il faut dire que le chef de la direction avait pris soin de réduire sa rémunération totale à 6,7 millions en 2009, soit 4 millions de moins qu'en 2008, pour faire passer la pilule.

Et cette semaine, la Banque Royale, a soumis la rémunération de ses dirigeants au vote consultatif (say on pay).

Le président a obtenu 12,1 millions en 2009, soit 2,5 millions de plus qu'en 2008. Il s'agit d'une hausse de 26%, alors que le bénéfice de la Royale a fondu de 15% en 2009. L'ensemble de la haute direction a encaissé 47,1 millions en 2009, presque le double de la rémunération totale en 2004 (25,8 millions).

Malgré tout, les actionnaires ont approuvé la rémunération des patrons de la Royale, avec une écrasante majorité (91%).

De puissant investisseurs institutionnels, comme le Régime de retraite des enseignants de l'Ontario, communément appelé Teachers', ont voté en faveur de la politique de rémunération des deux banques.

Par contre, le Mouvement d'éducation et de défense des actionnaires (Médac) a encouragé les actionnaires à voter contre.

Le Médac souligne que la rémunération du patron de la CIBC représente 73 fois le salaire moyen d'un employé de la banque, et la rémunération du patron de la Royale atteint 96 fois le salaire moyen. Des ratios inacceptables.

De toute façon, ces votes sont uniquement consultatifs. Théoriquement, l'entreprise n'est pas forcée de suivre le résultat du scrutin. Mais en réalité, elle n'a pas le choix de tenir compte d'un vote de désapprobation, même s'il n'est pas majoritaire.





La percée du vote consultatif

L'an dernier, le vote consultatif a fait une percée importante en Amérique du Nord. Lors de la saison 2009 des assemblées annuelles, une centaine de sociétés ont fait l'objet de propositions d'actionnaires.

Ces propositions ont récolté un appui de 46% en moyenne, rapporte le Groupe Investissement Responsable (GIR). «C'est un taux très raisonnable. D'ailleurs, plusieurs sociétés ont accepté de leur plein gré», dit l'analyste Réjean Nguyen.

Cette année, de grandes multinationales américaines, comme Apple et Intel, soumettent donc la rémunération de leurs dirigeants au vote. Au Canada, les sept grandes banques ainsi que certaines compagnies d'assurances font de même.

Pour les autres grandes entreprises canadiennes, la pression monte. En prévision de la prochaine saison des assemblées annuelles, les Fonds communs de placement Meritas, spécialistes de l'investissement responsable, ont soumis des propositions à plusieurs sociétés, afin d'obtenir la tenue d'un vote consultatif dès l'an prochain.

Depuis le début de février, trois entreprises visées (Enbridge, EnCana et Suncor) ont accepté de se plier au vote consultatif en 2011. Dans leur cas, la proposition de Meritas a donc été retirée.

Mais d'autres entreprises se font encore tirer l'oreille. Leurs actionnaires devront se prononcer bientôt sur le bien-fondé de soumettre la politique de rémunération de leurs dirigeants à un vote.

Pour ou contre le vote?

Le vote consultatif compte sur un allié de taille: la Coalition canadienne pour la bonne gouvernance, qui regroupe plus de 50 investisseurs institutionnels avec plus de 1000 milliards de dollars. À la mi-janvier, la Coalition a même rédigé un guide pour que les entreprises divulguent de manière uniforme l'information entourant la politique de rémunération.

Mais le vote consultatif ne fait pas l'unanimité. Certains grands investisseurs sont contre. «En général, nous n'appuierons pas des propositions qui visent à mettre en oeuvre un vote consultatif sur la rémunération», note Teachers' (qui fait partie de la Coalition).

Son argument: il existe déjà d'autres façons de faire connaître son mécontentement, notamment en votant contre la réélection des administrateurs qui font partie du comité de rémunération.

L'année dernière, par exemple, 8% des actionnaires n'ont pas voté en faveur de la réélection du président du comité de rémunération de la Financière Manuvie, rapporte Share (Shareholder Association for Research and Education).

L'assureur avait été critiqué pour sa décision de verser 25 millions de dollars à son dirigeant, Dominic D'Alessandro, parti à la retraite au milieu de l'année, alors que l'assureur était en bien mauvaise posture. Par la suite, celui-ci a décidé d'attendre que l'action de Manuvie remonte pour toucher ce montant.

D'autres experts sont aussi très critiques face au vote consultatif. «C'est un concept très discutable», considère Michel Nadeau, directeur général de l'Institut sur la gouvernance d'organisations privées et publiques. Lundi prochain, il proposera de meilleures solutions, dans un rapport complet sur le vote consultatif.

Selon M. Nadeau, les investisseurs qui ne sont pas des experts en ressources humaines, auront bien du mal à décortiquer les 30 à 40 pages qui exposent la politique de rémunération des dirigeants dans la circulaire des entreprises.

Il sera encore plus difficile d'évaluer le salaire futur que les patrons toucheront, en vertu de cette politique. Et plus tard, les actionnaires ne pourront plus critiquer le salaire des patrons, puisqu'ils auront approuvé la politique.

Ça ne change pas le monde, sauf que...

Le vote consultatif n'a pas empêché le salaire des patrons d'augmenter ailleurs dans le monde, ajoute M. Nadeau.

En Angleterre, où le vote consultatif est obligatoire depuis 2002, la rémunération des dirigeants a gonflé de 350% depuis 2000, alors que les Bourses ont fait du sur-place au cours de la dernière décennie, rapporte le GIR.

Le fait est que les actionnaires ne s'opposent jamais à la rémunération... sauf exception. En mai 2009, les actionnaires se sont révoltés contre la pétrolière Shell. À l'assemblée annuelle, 60% ont voté contre le programme de rémunération des dirigeants. La société pensait verser des millions à ses dirigeants qui avaient pourtant raté leurs objectifs.

Après avoir entrepris un dialogue avec les actionnaires, Shell a décidé à la mi-février de geler la rémunération de ses patrons, et d'inclure des objectifs de développement durable dans le calcul de leur prime.

Aux États-Unis, quelque 400 sociétés qui ont reçu de l'aide du gouvernement, lors de la crise financière, sont obligées de soumettre la rémunération de leurs patrons au vote. Absolument toutes ont obtenu la majorité des voix, la plupart avec un taux d'appui assez élevé.

Même les banques d'affaires de Wall Street, à l'origine de la crise du crédit, ont reçu plus de 93% d'approbation. Même l'assureur AIG, très controversé pour le versement de ses primes, a obtenu un taux d'approbation de 98%, rapporte le GIR.

Est-ce à dire que le vote consultatif est un outil qui passe dans le beurre? Pas nécessairement.

Dans certains cas, le vote a permis d'implanter un encadrement plus strict de la rémunération. Par exemple, les mécanismes de récupération de ces primes (clawback) sont de plus en plus fréquents.

Lorsqu'une entreprise verse à un dirigeant un boni relié à la performance, mais qu'il apparaît quelques années plus tard que cette performance reposait sur une pratique illégale, ce mécanisme fait en sorte que le dirigeant doit rendre l'argent reçu.

Ce type de mécanisme est en progression aux États-Unis. Les deux tiers des 100 plus grandes sociétés américaines disposaient de tel procédé en 2008, par rapport à seulement 18% deux ans plus tôt, selon le Conference Board du Canada.

 

Photo: Graham Hughes, PC

La Banque CIBC a brisé la glace, le 25 février dernier. Ses actionnaires ont approuvé à 93% la rémunération des dirigeants. Il faut dire que le chef de la direction avait pris soin de réduire sa rémunération totale à 6,7 millions en 2009, soit 4 millions de moins qu'en 2008, pour faire passer la pilule. Sur la photo, le président du conseil de la CIBC, Charles Sirois.